Tribes of Europa saison 1 : critique européenne sur Netflix

Mathieu Jaborska | 19 février 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Mathieu Jaborska | 19 février 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Netflix avait promis de nous ensevelir sous le "contenu" en 2021, sans toutefois certifier sa diversité. Les abonnés croulent donc désormais sous une déferlante de séries young adult, moteur économique évident, au mépris de la pauvre rédaction d'Ecran Large, qui tire à la courte paille chaque semaine le rédacteur chargé de traiter la dernière portée. Heureusement, la série allemande Tribes of Europa, créée par Philip Koch, reste dans le haut du panier du genre, sans toutefois réinventer le post-apo dystopique.

kids with guns

Si toutes les séries mettant en scène des adolescents et produites ou distribuées par le géant du streaming ont tendance à se ressembler, Tribes of Europa parvient finalement à donner le change, en s’éloignant de certaines conventions du genre, et en faisant même preuve d’un peu d’audace. Bien sûr, elle ne répudie pas ses thématiques et ses règles. On suit trois jeunes adultes élevés reclus, au sein d’une Europe sauvage, qui sont forcés de faire face à leur destin, et accessoirement transformer le monde autour d’eux.

Néanmoins, l’intrigue s’éloigne très rapidement des récits d’introspection classiques pour faire de la violence et de la noirceur de leur environnement les clés de leur changement, ne s’embarrassant d’ailleurs – et c’est sa caractéristique la plus étonnante – d’aucune romance. Le premier épisode prend bien soin de contrecarrer nos attentes, en pervertissant les prémisses habituelles dans une brutalité rare, laquelle donne le la au ton général de la série.

Un curieux détail ironise carrément sur ce choix : en revenant dans son village, un des héros embrasse une charmante jeune femme qu’on devine importante dans la suite des évènements, mais celle-ci est très rapidement évacuée par le scénario. La tension sexuelle habituelle ne va pas se manifester de la même manière, et elle aussi va s’envisager sous l’angle de la violence.

 

photoThe Crow

 

La principale qualité de Tribes of Europa est donc sans conteste la noirceur étouffante de son univers, générée par une caractérisation originale des différentes forces en présence. Certaines font preuve d’un manichéisme abyssal (Les Origines sont très gentils, les Crows très méchants), tandis que d’autres laissent transparaître une certaine ambiguïté idéologique. Une dualité désarmante pendant les premiers épisodes, mais peu gênante dès lors qu’elle sert la conception d’un terrain de jeu bourré de chausse-trappes et d’ennemis, où la confiance est synonyme de naïveté et où les objectifs optimistes se muent en impossibilités tragiques.

Un vent de fraîcheur sur un genre aussi balisé et éreinté, soufflé par des techniciens désireux de légèrement transgresser les tics feignants des essais se succédant dans le top 10 de la plateforme. Pas de folie au programme, comme en témoigne la bande originale, d'une banalité synthétique totale. Mais la mise en scène ne se contente pas de retranscrire le scénario pour parfois insuffler un peu d’ampleur au tout, surtout dans les trois épisodes réalisés par Koch. C’est dans ceux-ci, et notamment dans le pilote guerrier, qu’un style émerge de temps à autre, conférant à la série un mince intérêt visuel.

 

photo, David Ali RashedLes jeunes font le mur

 

Certes, Tribes of Europa n’échappe pas aux griffes de son propre genre, mais sa tendance à évacuer les travers les plus irritants du young adult contemporain peut convaincre le cinéphile en quête d’une aventure post-apocalyptique simple, et surtout courte. Le format 6 épisodes de 45 minutes, encore allégés par un générique de 7 minutes, va droit à l’essentiel, refuse les égarements d’un The Walking Dead : World Beyond ou d’un Outer Banks, pour prendre des exemples récents.

Néanmoins, c’est aussi là que se terre la plus grande concession de la série envers les standards du moment : il ne s’agit ni plus ni moins que d'une introduction géante, tablant sur une prolongation, Graal que Netflix n’accorde pas à l’emporte-pièce. Les abonnés convaincus par ces six épisodes devront prier pour son succès, tant la fin, multipliant les cliffhangers et donnant l’impression que le récit ne fait qu’effleurer son potentiel, peut sembler frustrante.

 

photo, Emilio Sakraya

 

Highlight tribes

Le relatif dédain de Tribes of Europa pour les canons de la série young adult n’en fait cependant pas une œuvre originale, loin, très loin de là. Son futur manque en fait cruellement d’identité, tant ses inspirations sautent aux yeux. Difficile de ne pas repérer la part de The 100parfois cité littéralement (« l’arche »), la référence au cliffhanger de saison 6 de The Walking Dead ou même l’apport d’Iñárritu dans le pilote, aussi bien dans la photographie que dans la réalisation.

Tous les poncifs du cinéma et de la télévision post-apocalyptiques s’y donnent rendez-vous, quand ses archétypes ne font pas du pied à l’intégralité des divertissements grand public de ces dernières années. L’évident McGuffin est - ô surprise - un mystérieux cube, rappelant à peu près toutes les boites mystiques mises en scène avec cynisme par l’industrie hollywoodienne (même Star Wars y est passé). Sur la fin, son utilisation adapte presque le jeu Destiny, la voix de Peter Dinklage en moins.

Tribes of Europa prend tellement de soin à ressasser la noirceur de son univers qu’elle en oublie de s’assurer de son originalité, et par conséquent de sa crédibilité. Et c’est bien dommage, tant les trajectoires des personnages pourraient s’avérer plus intéressantes si elles ne se conformaient pas à une servitude esthétique étouffant l’attention qu’on peut leur porter. En l’état, et malgré un vrai investissement des comédiens et comédiennes Henriette Confurius et Emilio Sakraya, leur destin verse dans le schématisme, surtout dans le cas d’Elja, traditionnel élu chargé de transporter une babiole d’un point A à un point B.

 

Photo David Ali RashedLe Tesserac... euh, la Mother bo... euh, le cube !

 

Désunion européenne

Comme souvent avec le genre, le monde post-apocalyptique montré prétend agglomérer les tares du monde moderne. Une intention louable, encore une fois directement héritée de tout un pan du 7e art ou même de la littérature (Métro 2033 dans nos cœurs), et qui se concrétise parfois admirablement. À cet égard, le camp des Crimson parvient sans mal à incarner le rêve d’une Europe unie, utopie propre au XXe siècle animant encore des débats politiques féroces, forcément cannibalisés par des différences d'opinions internes, forcément dangereuses, et l’absolutisme de ses ennemis idéologiques.

C’est dès qu’on s’éloigne un peu de cette partie du récit que la métaphore laisse transparaître sa maladresse. Caricaturé à outrance, le fascisme représenté par les Crows et leurs rites nihilistes peine à vraiment explorer les faiblesses de son architecture, même si tout est fait pour forcer le parallèle (l’industrialisation, le culte de la personnalité). Son absolutisme montre des failles évidentes dans le dernier épisode, au cours duquel l’aspect complètement bancal des aspirations politiques de la série est exposé.

Parfois alourdie par des commentaires pas franchement nécessaires sur le communautarisme promettant le pire pour la suite (les Femens, vraiment ?), l’analyse des conflits qui traversent ce continent si particulier est bien trop handicapée par les défauts cités plus hauts. Coincée entre un nécessaire rejet des codes du teen movie et des références promptes à l’anonymiser, la série fait passer sa note d’intention au forceps, et laisse derrière elle un discours bien trop inégal pour gagner sa légitimité.

La saison 1 de Tribes of Europa est disponible depuis le 19 février 2021 sur Netflix en France

 

Affiche française

Résumé

Tribes of Europa s'émancipe timidement des séries young adult du moment tout en laissant transparaître des références évidentes. Un paradoxe cristallisant aussi bien ses qualités que ses défauts et qui butte un peu sur ses aspirations politiques.

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commentaires
Omegaton
25/02/2021 à 14:17

plaisant pour le public de netflix qui est majoritairement fait d'ados...et ça se sent dans tout ce que netflix propose d'ailleurs

Jerem
22/02/2021 à 23:03

Encore une grosse daube Netflix, pleine de clichés visants une fois de plus à dégrader toujours plus l'image des occidentaux!
Entre le grand chef de tribu ultra con et violent, sapé comme une drag-queen, les jeunes hommes maquillés et sapés avec des fringues moulants ou fait avec du filet, soumis tels des chiens à une femelle dominante qui en fait ses esclaves sexuels, et j'en passe...
Voilà une belle production remplissant le cahier des charges imposé par Netflix et toutes les minorités dictants les préceptes de leurs idéologies décadentes et déviantes.
Il est évident que les européens se comporteraient de la pire des manières en cas d'effondrement de notre modèle de société.
On voit bien que l'entreprise de propagande anti occidentale et de conditionnement de masse, tourne encore à plein régime!
C'est vraiment pitoyable!!!

Math
22/02/2021 à 12:36

Je suis tout à fait d'accord avec cette critique.
Une écriture plus abouti de la série serait un vrai plus. En l'état, cela risque de ressembler à un amalgame de ce que l'on connait déjà alors que les failles, les ambiguités des personnages, des civilisations qui s'affrontent pourraient ouvrir sur un monde du type de GOT.
Il y a du GOT en puissance dans cette série, à condition de vraiment s'en donner les moyens bien sur ;)

Bab'zh
21/02/2021 à 20:45

Bonne critique mais j'attends la saison 2 avec impatience malgré tout.

Titi
21/02/2021 à 15:23

Que de triste commentaires, j ai adoré et dévoré les épisodes en 2 jours. Il n'y a que WITCHER qui m'avait captivité autant. Vivement la suite.

Fikers
21/02/2021 à 10:06

Merci pour cette critique. Il fait beau, j'ai pas beaucoup de temps pour regarder une série, c'est donc plié grâce à vous : je vais chercher autre chose à regarder ! J'ai pas de temps à perdre avec des concepts comme "les goûts et les couleurs" ou encore "il faut se faire son avis" : je dois être certain que ce que je vais regarder est réussi, point barre. Et tant pis si je rate un truc qui aurait pu potentiellement me plaire : le choix est maintenant suffisamment vaste pour se contenter du meilleur !

GuillaumeMT
20/02/2021 à 13:09

Ouais j'ai regardé 1 épisode et j'ai arrêté de regardé.

C'est The 100 en moins bien, les personnages sont fades et la direction artistique n'est pas terrible.

Je ne la conseil mais pas du tout un truc pour adolescents.

Kelso
20/02/2021 à 00:42

J'ai tenu 10min du coup je fais partie des gens qui ont "vu" la série, zut.

Filou
19/02/2021 à 22:13

Des poncifs , des caricatures, des lieux communs, du politiquement correct avec les femmes aux commandes et les inévitables diversités. On est bien sur Netflix...

Pascal
19/02/2021 à 17:04

Cette série me fait penser a "Revolution", saupoudré de "100", avec l'impression que "Jericho" pourrait s'en méler, en plus gentille.
Ce n'est pas que ce soit raté mais au 3eme épisode je sens que l'ova devoir attendre avant d'avoir de grosses surprises créatrices.

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