Le Fléau : critique vaccinée sur Canal+

Simon Riaux | 3 mars 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 3 mars 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Dans le monde du Fléau, il aura suffi d'une erreur de confinement dans un laboratoire pour que la Super-grippe prenne son envol, et décime l'humanité. Et alors que les survivants errent, terrifiés, d'étranges visions les rassemblent, et les enjoignent à choisir leur camp pour un ultime combat. Affrontement qui a eu lieu ces jours-ci sur StarzPlay et Canal+ sous la houlette de Whoopi Goldberg et Alexander Skarsgård.

GROS-VIDE-19

The Stand (Le Fléau sous nos latitudes) est un texte à part au sein de l’œuvre de Stephen King. Premier roman-fleuve, premier récit à l’ambition le menant aux confins des genres, du récit apocalyptique, en passant par l’horreur puis la quête millénariste, ainsi qu’une exploration de l’eschatologie chrétienne. Un défi herculéen, que l’écrivain sut relever non sans quelques maladresses, mais avec un fantastique panache.

Son odyssée cauchemardesque est d’autant plus admirable qu’elle demeure, plusieurs décennies après sa rédaction, invraisemblablement crédible dans sa description du chaos rampant puis exponentiel résultant d’une pandémie ultra-létale. Inévitablement, alors qu’une crise sanitaire sans équivalent dans l’histoire occidentale récente a bouleversé les habitudes de millions d’individus, l’arrivée d’une nouvelle adaptation du Fléau semblait aussi pertinente qu’excitante. Et c’est pourquoi l’ampleur du ratage est si criante.

 

photo, Whoopi GoldbergEt bah ça a changé Sister Act

 

Tout d'abord, on a bien du mal à comprendre pour quelle raison les créateurs de la mini-série, Josh Boone et Benjamin Cavell, ont décidé de bouleverser totalement la structure narrative de l'oeuvre originale. Il est entendu que les plus belles trahisons sont souvent de profondes trahisons, mais il n'est pas question de ça ici, plutôt d'un éparpillement façon puzzle de la temporalité, pour créer artificiellement un sentiment de nouveauté, ou faire naître des questionnements extrêmement superficiels sur la nature des relations entre les personnages.

Ainsi, dès le premier épisode, le scénario fait de nombreux allers-retours entre des situations distantes de plusieurs mois. Non seulement le procédé annihile une grande partie du suspense lié aux destinées de chacun, se montrant instantanément transparent sur qui rejoindra quel camp, ou ce qu'il advient du monde après la pandémie, mais cela a également pour effet de ruiner la première source de sidération du fléau.


photoJoies du camping

 

À savoir sa description d'une maladie monstrueuse, condamnant les humains à mourir dans leur propre morve. Peu importe que différents épisodes nous ramènent à ces quelques semaines de bascule, on a irrémédiablement le sentiment qu'elles sont dénuées de gravité (un comble). Il n'en résulte aucun enjeu scénaristique (une triste prouesse), mais surtout, jamais on ne sent le sentiment délétère et menaçant de voir une société se disloquer, pourrir sur pied et finalement s'effondrer.

La faute en incombe indiscutablement à l'écriture, mais aussi à la direction artistique, qu'on devine souvent amoindrie par les fonds verts et la propreté de l'image. La vision d'un pont new-yorkais croulant sous les carcasses de voiture est parfaitement dénuée de réalité, et quand le malheureux Larry Underwood voit le cadavre boursoufflé de sa mère se déformer alors que des rats la dévorent, le résultat est curieusement générique.

Symptôme primaire de cette déroute conceptuelle, le premier chapitre de la mini-série altère les origines de la super-grippe, et jette aux toilettes les premiers chapitres du roman, quand il constituait un démarrage remarquable et aisé à adapter. D'une inexorable progression vers un cauchemar intime jusqu'à une abomination collective, on passe ici à un puzzle absurde, qui leur oppose une intervention maligne. Mais pourquoi faire simple, quand on peut commettre inutilement compliqué ?

 

photo, Ezra MillerEzra Miller, contemplant les restes de sa carrière

 

NAZE-KOF-2

Malheureusement, les personnages ne sont pas mieux servis. On espérait que Whoopi Goldberg bénéficierait avec ce rôle de messie d'une partition à la hauteur de son talent trop rarement convoqué. Hélas, on sent bien que la série, en essayant de gommer certains aspects datés de l'oeuvre de King, notamment un mysticisme candide ou un peu trop appuyé par endroits, a retiré beaucoup de son charme et de sa bizarrerie à l'ensemble. Or, comment accrocher à ce récit de super pandémie mutant jusqu'à une confrontation surréaliste entre émissaires du bien et du mal, si on la passe à la lessiveuse ?

La réponse ne viendra pas de la vaste galerie de personnages, tous prétendants au titre de champion régional d'ablation de charisme sauvage. Dans la peau du viril Stu Redman, James Marsden rappelle à la galaxie que Darwin en faisait un peu beaucoup sur la survie du plus adapté, tandis que Jovan Adepo déploie des efforts infinis pour émuler le magnétisme de la limande au soleil. S'ils sont les comédiens les plus manifestement incapables de provoquer une quelconque émotion chez les spectateurs, ils ne sont pas les seuls à échouer dans cette voie.

 

photo, Alexander SkarsgårdRandom Flagg

 

En dépit de bons débuts, Owen Teague ne parvient guère qu'à grimacer. Quant à Amber Heard, si elle n'est pas mauvaise à proprement parler, elle doit se dépatouiller avec une structure dramaturgique qui ne donne jamais sa pleine ampleur au personnage de Nadine, dont les choix seront pourtant essentiels à l'impact de l'intrigue. Et on pourrait égrener encore longtemps la liste des artistes perdus dans l'entreprise qui parvient à assécher de remarquables comédiens tels que J.K. Simmons et Greg Kinnear. Mais bien souvent, c'est une nouvelle fois la structure narrative, aberrante en termes de dramaturgie, qui est en cause.

En choisissant de se focaliser au cours de chaque segment sur l'essentiel de la destinée d'un des protagonistes, le scénario en évente systématiquement les enjeux ou les conflits. Pire, il prive surtout la mini-série d'installer une quelconque progressivité, notamment du côté des habitants de Boulder. Ainsi, dès la fin du premier épisode, le spectateur sait tout de la Super-Grippe, de son issue, de sa cause, et de l'affrontement qui présidera aux destinées de l'humanité.

 

photoEt en plus les survivants sont des vandales

 

Le peu d'espoir restant se situera du côté de Vegas et du territoire de Randal Flagg, L'Homme en Noir. Sans surprise, Alexander Skarsgård lui offre tout son talent, sans pouvoir toutefois lutter contre l'orientation terriblement pudibonde de cette relecture du Fléau. Plutôt que le refuge des malheureux, des aigris et des désespérés, enivrés par la grandiloquence mégalomane de Flagg, la mise en scène trop propre et la direction artistique superficielle les métamorphosent en jouisseurs à la petite semaine bien incapables de symboliser les ténèbres de l'âme humaine. Ni chair ni horreur, tout cela s'évente avant la mi-saison, et l'apocalypse a dès lors des airs de soupe réchauffée. 

Ultime signe d'incompréhension du matériau originel, là où King se plaisait à reprendre plusieurs grands motifs de mythologie judéo-chrétienne pour mieux les détourner et livrer une vision terriblement caustique et cruelle de l'Amérique, Josh Boone et Benjamin Cavell retombent au contraire dans la bonne vieille opposition vice/vertu, morale/dépravation.

Une simplification et un contresens dommageables sous-tendant que pour échapper à l'apocalypse mieux vaut être un fermier bigot qu'un fornicateur du dimanche. Un appauvrissement de la mythologie définitivement souligné par l'absence de tension, comme de puissance horrifique.

Le Fléau est disponible en intégralité sur Canal+ et StarzPlay en France

 

Affiche

Résumé

S'il n'y avait pas le charisme d'Alexander Skarsgård, voilà un Fléau qui n'aurait tout simplement rien épargné à son spectateur. Relecture pataude, souvent stupide, du tour de force littéraire de King, cette nouvelle adaptation traite l'apocalypse avec la mollesse d'un chamallow défraîchi.

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Lecteurs

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commentaires
Rip
04/03/2021 à 17:02

Comme le film Ça , même problème, direction artistique bien lisse , l’aspect bien dégueulasse du livre est mis de côté.

Birdy'n Hell
04/03/2021 à 14:51

Le soucis dans les adaptation du king, ce sont ces personnages. Des archétypes à tous les coups, qu'il approfondit avec son talent inimitable ( Salut Maxime Chattam...) pour les sortir du cliché du gentil/méchant/jolie nana en détresse/bon copain/schyzo...
Il hante ses personnages de pensées qui font mouche, de réflexion sur leur quotidien, leurs rapports humains, leurs failles.
Et dans les adaptations, par manque de temps, de talent, et de qualité d'adaptation, on retrouve uniquement les archétypes. L'ambivalence a disparu. L'obscur qui surgit en chacun de nous dans les moments déchirants de la vie, souvent illustrés par le fantastique, se fait la malle. Ne reste qu'un personnage cliché, mal incarné par un acteur qui surjoue souvent.

Et puis il y a les vrais auteurs, qui savent qu'il faut investir les personnages d'une âme, et ça passe par un interprète de talent. Les Evadés, Shining, Carrie, Dead Zone, la Ligne Verte, Misery, profitent d'un grand réal + un grand casting.
Y a pas de secret. On ne peut passer derrière un maitre que si on est soi même un grand. Ou on se fait bouffer tout cru par l'oeuvre.

Cinégood
04/03/2021 à 11:00

Cette série fait vraiment l'unanimité contre elle et c'est justifié !
Seule la photo est à sauver et quelques VFX, le reste est un ratage complet : scénario, personnages, casting, montage, rythme, mise en scène, rien ne fonctionne. Cette série est comme un cupcake : jolie, mais sans saveur et indigeste. Du genre qu'on a le sentiment de ne pas s'être respecté en la regardant.

MARMELIN
04/03/2021 à 09:54

Entièrement d'accord avec vous....Qu'est ce que c'etait nul Et on en parle de la fin a l'avant dernier episode pour un dernier episode qui ne sert a rien.

Au moins sur le telefilm on avait stu redman, ici on s'attache a personne (perso, un peu a Nadine).
Comme dirait l'autre, je m'attendais a rien mais je suis quand même déçu !

Qu'on laisse seulement Darabont et Reiner adapter le King, ca sera plus simple pour tout le monde !

Monsieur Vide
04/03/2021 à 09:12

Belle époque.. du talent à revendre. Le respect total des visions des auteurs ( King en l'occurrence)et des spectateurs par la même occasion.. vivement que les salles ferment définitivement et on aura que du bon manger après, miam.
Je voudrais retourner en 85 ou 90...Doc où êtes vous ?

FredDoBrasil
04/03/2021 à 08:05

Merci monsieur Riaux pour le sous-titre Gros-Vide 19. Il a fait ma journée.
A part cela en effet quel dommage, j'ai lu le bouquin à 20ans et malgré quelques longueurs, c'est vraiment un monument de la littérature américaine.

Trcat
04/03/2021 à 00:08

Et une adaptation du king de plus et une purge de plus ... Rien à sauver dans cette version aucune émotion aucune intensité aucune profondeur des acteurs en roue libre mal réalisé mal monté franchement c'est limite une honte de proposer une telle chose en 2021 on parle de fin du monde ta l'impression c'est une colonie dvacances

Birdy mort et enterré
03/03/2021 à 23:22

@ Pat Rick : d'où ma décision de m'immoler. J'attendais sans espoir cette adaptation, conscient de l'immensité de la tache. Et puis depuis La Tour Sombre, et Dôme, je me rends à l'évidence : le King est bien trop grand pour eux. Il faut être sans concession pour adapter ses livres. Et un casting hors pair.

Jango567000
03/03/2021 à 20:49

"le charisme d'Alexander Skarsgård" Vous plaisantez !!!! tout est mauvais et c'est un fan du livre qui vous parle !
Mention spécial pour le plus mauvais acteur "Stu Redman" James Marsden ! ca fait longtemps que je n'ai pas vu un aussi mauvais acteur !
Le film est un puzzle, on part dans le futur on revient dans le présent !!! c'est fait n'importe comment !
Pas vraiment de budget, encore une adaptation raté, limite je préfère le téléfilm de 1994 !!!

Pat Rick
03/03/2021 à 20:13

@ Birdy suicidé

"Ce livre est grandiose. Il y a tout dedans. Il y a même trop vers la fin."

C'est vrai vers la fin, ça tire un peu en longueur mais Le Fléau demeure une œuvre importante de S. King.

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