Derby Girl : critique d'une série Rollerdrôle

Geoffrey Crété | 3 novembre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 3 novembre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Vous avez aimé Bliss avec Ellen Page en joueuse de derby pour Drew Barrymore ? Vous regrettez la fin de GLOW, la série Netflix sur le catch féminin ? La série Derby Girl est pour vous. Drôle, ridicule, méchante, vive : la création de Charlotte Vecchiet et Nikola Lange, menée par Chloé Jouannet, est la très bonne surprise de cette fin d'année.

FRANCE TELLE EST LA VISION

Pensée émue pour tous ceux qui résument trop vite la création française côté série à Joséphine, ange gardien, Plus belle la vie ou Marseille. La fin de Dix pour cent, Engrenages et Baron Noir, l'investissement grandissant de Netflix dans le genre (VampiresMarianne, La Révolution), et les multiples essais d'Arte (Mytho, Moloch) et OCS (MissionsMoah, Cheyenne et Lola) prouvent que la principale limite reste la curiosité du public et la sensibilisation à ces œuvres, souvent invisibles.

France Télévisions ne démérite pas. Le monstre de la télévision française (il regroupe notamment les chaînes France 2, France 3, France 4, France 5) se place depuis quelque temps sur le secteur de la série, le succès de Skam ayant bien aidé depuis 2018. Comédie, drame, thriller : Les Engagés, Parlement, Mental, Dead Landes, les escapés, La Dernière Vague ou encore Stalk ont démontré des envies et ambitions, côté chaîne et côté scénaristes.

Derby Girl arrive dans ce paysage. Née d'une envie et d'une idée de Nikola Langa et de la productrice Barbara Maubert, la série co-créée avec Charlotte Vecchiet s'intéresse à un sport encore méconnu en France, le derby. Il n'existe dans l'imaginaire collectif qu'avec James Caan dans la dypstopie Rollerball et Ellen Page dans le teen movie Bliss, et pourtant c'est bien plus. Mais inutile d'attendre une plongée réaliste et documentée dans cette discipline très féminine, très militante, et très en phase avec son temps. Derby Girl est là pour faire rire (jaune) et grincer des dents, et elle y arrive très bien.

 

photoLe Pitch Perfect sur roulettes

 

PATINAGE ABRUTIE

Derby Girl annonce les couleurs dès les premières minutes. Lumière stylisée, montage hyper dynamique, voix off légère, dialogues décalés, musique électro, quelques doigts coupés... lorsque le titre apparaît à l'écran, tout est clair. C'est une farce, mais pas n'importe laquelle. C'est une farce radicale, grotesque, assumée comme tel à tous les niveaux, où tout le monde surjoue son rôle, devant et derrière la caméra.

Tout est à l'image de Lola Bouvier, "l'héroïne" tarée de la série, incarnée par Chloé Jouannet - jusque là connue d'abord dans la galaxie Instagram et people, comme fille d'Alexandra Lamy. Ex-gloire du patinage artistique dont la carrière a été tranchée net par un léger pétage de plomb, elle se retrouve 10 ans plus tard caissière minable dans un magasin de sport de sa petite ville natale, Mézières. Sa tête a gonflé autant que son cul selon les commentaires à l'écran, et cette pouffe de province passe ses nerfs sur tout et tout le monde, de son père à ses collègues.

 

photo, Chloé JouannetRose concon

 

Comme la vie est une chienne, Lola se prend un nouveau mur en se rendant à une fausse audition pour rejoindre une équipe de derby locale, dont la capitaine est une ancienne camarade revancharde. Confiante, elle venait chercher l'admiration. Humiliée, elle est repartie avec encore plus de rage et un bad buzz sur YouTube. C'est là que le destin met sur sa route une autre équipe de derby, nulle mais gentille : les Cannibal Licornes.

Ce sera le début d'une aventure joyeuse et absurde, où Lola la peste, l'égoïste, la narcissique, l'insupportable, va apprendre de belles leçons de vie. Du moins, c'est le plan en théorie, car Derby Girl prend un malin plaisir à résister à ces codes inévitables, en ajoutant régulièrement une petite dose de bête cruauté et cruelle bêtise.

 

photo Les Black Weirdos, en noir, et bizarres donc

 

THE AIE-TEAM

Derby Girl a quelque chose de Pitch Perfect ou GLOW dans son envie d'assembler une bande de filles aussi folles qu'amusantes, comme une brochette de chaos en puissance. Entre la lesbienne ultra-libérée, la gothique à moitié apathique et sorcière, la timide complètement perchée, le patron de magasin demeuré, et les adversaires sorties d'un mauvais Disney, les curseurs sont poussés au maximum. Pas de jalousie, tout le monde en prend pour son grade, et à peu près personne n'a l'air normal dans ce monde bizarroïde.

Un flic qui essaie de négocier une contravention à coup de fellation, un gymnase qui porte le nom d'Emile Louis, une vision très étonnante du remède contre le sida... rien ne va dans cet univers, comme si des Looney Toons avait regardé John Waters, et tentait de passer inaperçu en seconde partie de soirée sur TF1. Le mélange n'a aucun sens, et c'est pour ça qu'il est aussi jouissif.

C'est d'autant plus divertissant que les actrices s'en donnent à cœur joie avec une aisance communicative, avec notamment Jisca Kalvanda (vue dans Divines), Sophie-Marie Larrouy, Suzanne de Baecque, Salomé Diénis Meulien, ou encore Allison Chassagne. Jusque dans les rôles en arrière-plan, avec par exemple Vanessa Guide et Sophie de Furst, c'est un régal.

 

photo, Jisca Kalvanda, Derby GirlAcid Cyprine, Mother Blocker, Absinthe Ni Touche et les autres

 

MOI, BELLE ET MÉCHANTE

C'est aussi et surtout le caractère extrême de l'héroïne qui donne le ton. Si la coutume est de reléguer la folie aux seconds rôles déglingués, autour d'un.e protagoniste à peu près fréquentable (ce qui marche pour la plupart des séries comiques, de Friends à How I Met Your Mother en passant par Sex and the City), c'est le contraire dans Derby Girl. Lola est la personne la plus instable, agressive, débile et grotesque de la série, qui se déambule dans son monde comme si c'était un mauvais sketch écrit pour elle.

Accent anglais forcé, insultes régulières, caprices absurdes, accès de violence et bêtise profonde : si elle n'était pas l'héroïne de la série, Lola serait clairement dans un hôpital psychiatrique, catégorie sociopathe. Bien sûr, cette éternelle petite fille a ses raisons, et le fantôme de sa mère (interprétée par Olivia Cote) plane dès l'intro de la série. Mais Derby Girl ne tourne pas en boucle sur cette psychologie sommaire, et préfère la comédie débridée au petit drama.

Dans la peau de cette folle qui gagne le pseudo de Tonya Hardwheel (hommage à Tonya Harding, la fameuse patineuse borderline incarnée par Margot Robbie dans Moi, Tonya) sur le track, Chloé Jouannet est un bulldozer. C'est-à-dire qu'elle détruit tout pour assurer la mission, en écrasant parfois ses partenaires, son texte, la scène, et en étant dirigée comme une furie par Nikola Lage, co-créateur et réalisateur de tous les épisodes. Il y a parfois des fausses notes, mais surtout la sensation d'un numéro extraordinaire, sans limite et sans peur, qui dénote encore plus dans le paysage français.

 

photo, Chloé Jouannet, Derby GirlLa Reine des merdes

 

bANDE DE FEMMES

Le derby étant un sport militant par nature, difficile pour Derby Girl de faire l'impasse sur le sujet. Mais le féminisme est traité avec la même folie et légèreté que le reste, mixé avec les autres ingrédients. Serviette hygiénique transformée en arme, débat sur les poils et leur rôle dans le patriarcat, commentaire sur les insultes homophobes et grossophobes, rapport complètement tordu à la séduction et au corps, en passant par les incontournables pom-pom boys bien connus des amateurs de derby : la série survole des motifs incontournables pour une histoire centrée sur la féminité et la sororité.

Comme le reste, c'est souvent superficiel et cantonné aux gags, mais c'est justement ce traitement léger, presque anodin, qui fonctionne. Derby Girl se passe dans un monde où le féminisme est logique et normal pour les Cannibal Licornes, et seule Lola fait tâche avec ses préjugés et ses gros sabots de demeurée. Petit à petit, la garce devient une alliée, et la grande gamine, une petite adulte. L'écriture n'est pas dans la finesse, avec des leçons énoncées, retenues et appliquées en un temps record, mais encore une fois, c'est le fun qui sert de moteur.

 

photo, Chloé Jouannet, Derby GirlRouler sur les autres, un art de vivre pour Lola

 

Et malgré les trois couches de rires gras (il y a même une parenthèse caca digne de Mes meilleures amies en plein match), il y a tout de même un petit cœur qui bat. Le sketch des joueuses laisse parfois place à un peu d'émotions, et le recyclage du cliché des enfants-qui-donnent-des-leçons-de-vie offre deux scènes très réussies, à la fois touchantes et amusantes.

Seul gros frein : les scènes de derby, plombées par un découpage maladroit et une mise en scène bancale, à peine réhaussés par des effets de montage et de la musique. Le traitement du sport dans l'intrigue laissait entendre que ce n'était qu'un prétexte, et les moments sur le track le confirment. Jamais il n'y a de vraie tension et de vrai plaisir dans ces moments, et c'est un comble pour une discipline de groupe, basée sur la vitesse et les affrontements physiques.

Malgré son nom, Derby Girl est donc moins une série sur les filles du derby, que sur une fille qui se trouve grâce à l'ambiance du derby. De quoi décevoir ceux qui auraient espéré un moment de gloire pour ce sport encore méconnu, mais offrir malgré tout une comédie particulièrement drôle, dynamique, et hors-normes. Et vu la fin de la saison, vivement la suite.

Derby Girl, saison 1 de 10 épisodes, disponible en intégralité sur le site de France.tv slash.

 

Affiche

Résumé

Derby Girl est une série absurde, grotesque, cartoonesque, qui aime plus l'humour bête et méchant que le derby. C'est aussi pour ça qu'elle est si jubilatoire, réjouissante et spéciale dans son genre.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(2.0)

Votre note ?

commentaires
Ravigote
18/11/2020 à 00:46

Série réjouissante, à prendre au second degré (au minimum !). Elle plaira à ceux qui ont ri devant "Mes meilleures amies", comme un plaisir un peu coupable et décomplexé qui fait du bien en ces temps moroses. J'ai franchement passé un bon moment et voir une série quasiment 100 % féminine avec des personnages qui explosent les codes , ça fait du bien. Vive les Cannibales licornes !

Subotaï
04/11/2020 à 13:01

Cette critique enthousiaste m'avait donné envie de voir cette petite série française
mais la médiocrité et la pauvreté des dialogues : ça ne pardonne pas en comédie
et ce n'est pas le jeu d'acteur, moyen, qui sauvera ça
Dommage, ils auraient du piquer les auteurs de "Platane" ou de "La flamme" qui elles sont bien écrites et hilarantes

Cinégood
04/11/2020 à 11:00

@Geoffrey

Vous êtes trop bon ! ;-)

Kaaro
04/11/2020 à 10:49

Vu les 7 premiers épisodes. Effectivement, même si c'est très très drôle et bien caractérisé, la quasi absence de séquences de derby ( et quand il y en a, c'est torché par-dessus la jambe) rend le tout vraiment très boiteux.
Ce serait moins grave si c'était plus assumé et si autant d'enjeux n'y étaient pas liés. D'autant que c'est la promesse du concept (jusque dans le titre, la promo, etc). Du coup ça plafonne. Dommage. Mais un auteur et des actrices à suivre, assurément !

Geoffrey Crété - Rédaction
03/11/2020 à 19:35

@Cinégood @Flash

J'ai même mis le lien direct à la fin de la critique pour aider les lecteurs :)

Flash
03/11/2020 à 17:38

Cinégood@ Merci, je vais aller voir.

Cinégood
03/11/2020 à 17:12

Vu le premier épisode, c'est rafraîchissant.
Dans le genre bonne série française, Les grands, sur OCS c'était très bien.
Moah, par contre, un désastre (à part la photo !)

@Flash
Facile, il suffit d'aller sur france.tv, c'est gratuit, sans pub.
On peut aussi y voir Craignos de Jean Pascal Zadi (autre très bonne série)

Flash
03/11/2020 à 15:09

Acid cyprine? Mouahahaha, faut vraiment que je mette la main sur cette série.

votre commentaire