The Affair saison 5 : une conclusion pas à la hauteur pour une série de haut vol

Geoffrey Crété | 11 novembre 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 11 novembre 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

C'est la fin de The Affair. La cinquième saison de la série Showtime, créée par Sarah Treem et Hagai Levi, devait se conclure avec un enjeu de taille : l'absence de Ruth Wilson et Joshua Jackson suite aux événements de la saison 4. Dominic West et Maura Tierney sont donc seuls maîtres à bord pour ces 11 derniers épisodes.

ATTENTION SPOILERS

THE DEPARTED

Le défi des scénaristes dans cette saison 5 était semblable à celui de plusieurs personnages endeuillés. Comment continuer après la disparition de quelqu'un de si central ? Comment continuer une série construite sur un quatuor, quand deux pièces sont retirées ? Comment The Affair peut revenir, alors même que le titre évoque la liaison entre deux personnages dont l'un est désormais absent ?

Si la mort d'Alison à la fin de la saison 4 était un choc inimaginable, brillamment mis en scène, elle traduisait aussi une réaction brutale à une situation en coulisses : l'actrice Ruth Wilson a souhaité quitter la série sans donner ses raisons, obligeant les scénaristes à réagir. Ce personnage autour duquel la série a été en grande partie construite, a donc été évincé, et Cole a été emporté avec elle.

La saison 5 se recentre sur les rescapés Noah et Helen, mais pas que : Joanie, la fille de Cole et Alison, est l'autre pilier. L'intrigue se découpe ainsi en deux parties, entremêlées au fil des épisodes : d'un côté, le présent de Noah et Helen, repris directement après la saison 4 ; de l'autre, le futur un peu apocalyptique avec Joanie, devenue une adulte (interprétée par Anna Paquin). Le spectre du meurtre d'Alison maquillé en suicide plane sur les personnages, et sert de fil conducteur tandis que le chasse-croisé sentimentalo-sexuel continue.

Sans surprise, ce demi-changement de camp a un effet évident sur l'équilibre des forces en place, et malgré le talent des scénaristes, et l'excellence des acteurs toujours aussi fins et puissants, cette saison 5 souffle le chaud et le froid, et accentue tous les défauts présents les dernières années.

 

photo, Maura Tierney, Dominic WestRetour à l'envoyeur : Helen et Noah, au premier plan

 

LE MIROIR DE L'EAU

Tout fonctionne en reflets et échos dans cette saison 5. Le film adapté du roman Descent remet en scène des moments marquants de la série, alors qu'Helen tombe dans les bras de Sasha Mann, la star qui incarne Noah à l'écran. Janelle quitte Noah pour se remettre avec son ex, expliquant que ces retrouvailles étaient quasi inévitables à mesure qu'ils avaient avancé dans la vie. Whitney s'apprête à épouser un artiste fauché, qu'elle entretient comme Helen entretenait son père au début de sa carrière. En parallèle, Joanie, devenue une jeune femme totalement instable et autodestructrice, revient à Montauk. La maison de Cole, les plages et le Lobster Roll reviennent eux aussi, comme pour boucler la boucle.

Impossible de ne pas sentir très vite que la série va vers une issue inévitable : les retrouvailles de Noah et Helen. Chacun porte le deuil d'un amour, le poids du succès, et leurs chemins se croisent sans cesse. La vie a emporté leurs compagnons de route, et ne reste plus qu'eux et leur famille en morceaux.

Tout concourt à faire de cette dernière saison l'ultime chapitre, avec une intention très forte de tout redire, réunir, et rappeler pour que ce monde fasse sens. Ce n'est pas un hasard si le motif de l'eau est là, tout le temps : l'enfant de Cole et Alison était mort à cause de l'eau, la mort d'Alison avait été masquée en suicide dans l'eau, et Joanie évolue dans un monde qui tombe en ruines, où elle travaille à freiner l'érosion des côtes par les océans. Le générique aquatique de la série, sur les notes de Fiona Apple, résonne dans l'existence des personnages. Les amours, les crises, les drames reviennent par vagues dans leurs vies, pour les user et les forcer à abandonner, se résigner, et accepter de ne plus lutter - contre eux, ou le monde.

 

photo, Anna PaquinJoanie dans un Montauk sinistre et sans vie

 

BOIRE LA TASSE

Mais cette volonté de faire sens force les scénaristes à créer des liens, des sous-intrigues et des coïncidences parfois grotesques, qui dénotent avec la finesse d'écriture de la série. Whitney qui prend le même avion que la femme qui accuse son père et juste après une dispute hautement symbolique avec son ex, Noah qui croise Luisa le jour de son départ de Montauk et voit Ben dans un journal qui traîne sur une table... cette saison 5 frôle le ridicule lorsqu'il s'agit de placer quelques éléments.

C'est particulièrement frappant dans les parties autour de Joanie, puisqu'elle tombe sur un expert en génétique qui connaît très bien sa famille et son histoire, et permettra aux scénaristes d'expliciter lourdement un discours sur les traumas hérités de ses parents. Qu'il se révèle être le fils de Sierra et Vic, en partie élevé par Helen donc, est un coup fatal porté à la suspension d'incrédulité. Et Anna Paquin a beau être talentueuse, elle peine à sauver ce récit décousu, qui veut trop raconter en trop peu de temps. Joanie manque cruellement d'espace pour exister, et face aux personnages tous très complexes et nuancés, elle semble très artificielle.

 

photo, Maura Tierney, Dominic West, Julia Goldani TellesMise an abyme intéressante mais peu exploitée

 

Cette cinquième saison traîne plus globalement les limites de la formule de The Affair, et a bien du mal à justifier le découpage en deux (voire trois) parties de chaque épisode. Hier utilisée pour confronter les points de vue, créer de nouvelles dimensions dramatiques autour des situations et décors, cette ficelle ressemble désormais à une contrainte, qui coupe chaque épisode en deux parties qui n'ont presque plus rien à voir.

Que la série offre plusieurs parties à Whitney (qui gagne son visage au générique, plus par remplissage qu'autre chose) est révélateur. Pas que la fille de Noah et Helen soit un personnage inintéressant ou que Julia Goldani Telles ne soit pas suffisamment solide pour porter son récit solo. D'ailleurs, les scénaristes parviennent à rendre passionnant n'importe quelle histoire, avec n'importe quel personnage. Mais Whitney n'a jamais été centrale dans l'équation principale, et sa présence au premier plan ressemble plus à un joker pour rééquilibrer la série.

 

photo, Julia Goldani Telles, Max FowlerScène de la vie conjugale

 

LA VRAIE AFFAIRE

Surgit alors quelque chose dans la dernière ligne de la saison : la tornade MeToo frappe Noah, suite à la publication d'un article et de multiples accusations de harcèlement sexuel. C'est un coup de fouet pour l'intrigue et le rythme, qui remet en perspective les protagonistes, à mesure que Noah se dédouane, que Helen le défend, que Whitney se demande.

Et c'est là que la série, qui donnait l'impression de s'être perdue, revient à son essence : le point de vue. À ses débuts, The Affair croisait les regards des personnages sur de mêmes scènes, et c'était le principe même de la narration. Dans les yeux de Noah, Alison était une femme séduisante et aguicheuse dès leur rencontre, tandis qu'elle se racontait comme une personne timide, simple, aux antipodes de ce stéréotype. Parfois, seuls les vêtements changeaient d'une partie à une autre ; parfois, c'était toute la responsabilité, tout le libre-arbitre d'une personne, qui étaient remis en cause.

La dramaturgie reposait sur ces doutes, ces nuances, ces décalages, poussant le spectateur à prendre parti, à accorder sa confiance, et à s'installer dans une bulle autour des personnages.

 

photo, Maura TierneyI love you, me too

 

Brutalement, la bulle explose. Le spectateur fait appel à ses souvenirs d'anciennes saisons, remet en question ces points de vue. Cette pauvre scripte que Noah a laissé à moitié nue à Halloween n'était qu'une figurante dans l'action, et le spectateur comme Noah l'a oubliée. Même chose pour Audrey, et d'autres. A t-il été complice malgré lui de ces agissements, en voyant sans être indigné ? A t-il vu la vérité ou une version de la vérité ? Et si le point de vue de Noah était vraiment problématique ? Ce scandale pousse soudainement le public à voir le monde autour de ces gens, et les replacer parmi les mortels.

C'est l'un des traitements les plus intéressants de MeToo, désormais omniprésent dans les fictions. Viser et renverser un personnage principal, dont le comportement potentiellement douteux n'a jamais été caché, met en jeu autre chose que les simples mots manichéens. Alors que les deux protagonistes sortent les pires raisons pour balayer le scandale ("Elles mentent", "Elles font ça pour l'attention", "Ont-elle conscience qu'elles détruisent une vie ?"), le discours n'est plus dans la guerre de camps, et prend en compte toute la complexité humaine et l'émotion des deux côtés de la ligne.

Aussi forcé soit-il, le dialogue entre Whitney et Audrey dans l'avion aborde avec intelligence toutes les questions pertinentes et complexes. Le traitement de Helen est là aussi remarquable, et témoigne de la finesse d'écriture des protagonistes, jamais épargnés pour paraître fort et beaux et justes.

 

photo, Dominic WestNoah, destiné à la solitude absolue

 

IMPASSE FINALE 

Mais que cet arc narratif arrrive si tard, et soit au centre de plusieurs épisodes avant d'être éjecté, illustre bien les grosses limites de cette saison. Privée de Cole et Alison, The Affair tente de s'accrocher à de nouvelles branches pour ne pas tomber, mais sans vraiment y parvenir.

L'idée d'avoir Joanie dans un futur qui divise le récit entre deux époques est intéressante, et aurait pu ramener la série sur les terres du thriller, comme à ses débuts. Mais l'enquête est si molle, si bête, si grotesque (en une scène et une sombre histoire de marée que Joanie maîtrise, tout est remis en doute, avec quelques décennies de retard), que même les scénaristes ne semblent pas y croire. Il n'y a qu'à voir comment la révélation est traitée, et n'a à peu près aucun impact réel à l'écran sur Noah à la fin ("Cole s'en doutait"), pour se dire qu'Alison n'a pas eu la justice qu'elle méritait.

C'est un énorme frein à cette ultime saison, qui dépense beaucoup d'énergie d'une bien étrange manière de ce côté. Et tout l'aspect futuriste de ce pan de l'intrigue attire tellement l'attention, pour si peu de développement, que ça l'alourdit encore plus. L'histoire de Joanie aurait pu et dû être belle, forte, haletante, et mais elle laisse un arrière-goût d'inachevé.

 

photo, Anna PaquinTuer ou ne pas tuer, telle est apparemment la question

 

C'est d'autant plus dommage que le fantôme d'Alison est là, remis sur la table quand la responsabilité de Noah est questionnée, tout comme la puissance de la fiction capable de ravager les vies et les esprits. Leur histoire et le livre qui en est né sont présentés comme les causes du suicide, et une rupture dans le continuum de leur amour véritable, qui résonne à travers le temps et s'amplie au fil des générations. L'enjeu de la saison 5 aurait pu être de remettre les pendules sentimentales à l'heure, pour que les personnages et les spectateurs soient en paix avec cette tragédie qui a brisé la série.

Mais The Affair ne prend pas ce chemin, et n'en prend quasiment aucun jusqu'au bout. Beaucoup de pistes sont évoquées, beaucoup de directions sont envisagées, mais tout se boucle trop vite, et trop simplement vu le chaos en place autour de Noah et Joanie. Avec en plus une écriture souvent grossière (en pleine incendie catastrophique, Helen doit avoir confiance en Noah pour ne pas chuter et mourir), cette cinquième saison n'est pas à la hauteur d'une série qui a surmonté bien des obstacles, et presque toujours trouvé une parade pour avancer avec force.

"J'essaie d'empêcher le monde de se noyer", dit Joanie pour présenter son travail et sa mission symbolique. Malgré les efforts et idées des scénaristes, et le talent intact de Dominic West et Maura Tierney, personne n'a pu sauver The Affair saison 5 d'une lente et trop douce noyade.

 

Affiche officielle

Résumé

Cette saison 5 a beau protéger les personnages, avec des acteurs toujours excellents et une écriture souvent solide ou même brillante, elle fait figure de conclusion trop hâtée, bricolée et fragile pour être à la hauteur. Continuer sans deux des quatre personnages principaux était un défi de taille, et The Affair boîte jusqu'à la fin sans parvenir à surmonter cette blessure.

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Lecteurs

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commentaires
Sam01
05/07/2023 à 11:01

Je trouve cette saison 5 riche, malgré l'absence de Cole et Alison. Pour Joanie, c'était une idée intéressante ce passage dans le futur mais on s en serait bien passé. Voir Noah et Helen renouer ensemble avec les enfants qui attendent devant le Memory Motel était une belle image de fin, plus réjouissante que de découvrir un Noah dans le futur seul devant la tombe d'Helen même si on comprend en voyant la date de décès sur la pierre tombale qu'ils ont vécu ensemble de nombreuses années.

Marjo22
04/08/2020 à 23:35

Je nai pas du tout aimé la saison 5, tellement que je nai pas reussi a regardé plus loin que l'épisode 3. La serie aurait du s'arrêter a la saison 4... alison manque bcp... et cole nen parlons pas ! La serie sans ces 2 personages ne rime a rien et na aucun intérêt... et puis passé de noah et helen juste quelque mois apres la fin de la saisob 4, a plusieurs décennies apres avec joanie ... je nai pas vraiment compris non plus ! Il ny a pas d'intérêt, elle ne sert a rien joanie la dedans.... alison , cole , noah et helen etaient lhistoire complète. Sans les 2 personnage il ny a plus rien. La fin de la saison 4 etait parfaite pour cloturer cette saga..

Nina
30/12/2019 à 00:52

Pour moi, la série aurait dû s'arrêter à la saison 4, qui nous a offert un beau final, très émouvant, avec la mort tragique d'Alison et les funérailles de Vik. Un dernier épisode bouleversant, en forme d'épilogue, sur le devenir de chaque personnage. La saison 5 est de trop, à part peut-être l'épisode 1. Le reste est inutile, souvent grotesque. Quel dommage ! Quant à Joanie, c'est vrai qu'elle n'est pas du tout attachante. Elle est même souvent antipathique, une intruse dans la série, à mon sens. Et puis Sasha, le film, Whitney, l'incendie... Aucun intérêt ! J'oublie.

Marie-suzanne
13/11/2019 à 14:48

J’attendais bcp plus de cette dernière saison : rendre justice à Allison ce qui n’est pas fait.... le personnage de Cole est également maltraité (il aurait menti à sa fille toutes ces années!) luisa , elle , est présentée comme une manipulatrice par noah . Tout ça est bâclé!!!!

75 movie
12/11/2019 à 10:02

La saison 5. Termine bien l histoire de ces personnages tortures dans la culpabilité et fort attachants Noah et Helen en tête. Bien interprétés Seul bémol la partie dans le futur ne me semble pas incontournable On est triste de les laisser ………………

Arie
12/11/2019 à 07:40

Moi je suis très surprise lorsque je lis autant de mauvaises critiques de cette saison finale.
Moi je l'ai adoré, c'est toujours excellemment joué, les personnages de Sierra et Whitney ont donné un peu de renouveau dans cette "affaire" très tournée vers Noah, juste un point noir on aurait très bien pu faire l'impasse sur le personnage de Joanie, antipathique et sans intérêt pour l'histoire. Et puis on a ce moment ici iconique du flashmob au mariage de Whitney et Colin avec la musique des Waterboys ????

Stef
11/11/2019 à 22:30

Très bonne critique même si en aillant adoré les 4 saisons précédentes, je serai un peu plus positif sur cette conclusion. Évidemment il manquait 2 personnages mais il a fallu faire sans, et je trouve qu’ils s’en sont bien tirés.

Sonia
11/11/2019 à 20:07

Bien sůr qu ' il y a des faiblesses dans le rhythme mais quelle magnifique ėcriture et quels acteurs!

ni3o
11/11/2019 à 15:24

Pour continuer dans la référence a l'eau il y a aussi le morceau des Waterboys qu'on retrouve plusieurs fois et qui la clos avec sa reprise par Fiona Apple.

Fred_NTH
11/11/2019 à 15:20

Bravo pour cet article. L'intrigue la plus "forte" de cette saison étant vraiment l'aspect #metoo de l'histoire de Noah. Elle nous renvoie (l'homme) à notre perception de la femme et de "l'autre" de manière plus générale. Qu'il n'y ait pas eu de justice pour Allison, ni pour Joanie, (axe narratif qui promettait un final excitant, tout en tension) est vraiment regrettable. Je ne crois pas en la justification de la "showrunneuse" qui affirme que ça n'a jamais été "le sens de la série". Tu ne peux pas poser une intrigue sans la résoudre, à moins de le faire de manière géniale et de provoquer une satisfaction émotionnelle intense (la toupie d'Inception, l'ultime plan de Last night). Reste ce final frustrant malgré des moments d'écritures brillants et une Maura Tierney très juste dans l'introspection silencieuse de son personnage.

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