Primal Saison 1 : critique qui donne sa langue au T-Rex

Déborah Lechner | 19 octobre 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Déborah Lechner | 19 octobre 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Primal est une mini-série d’animation signée par le fantastique Genndy Tartakovsky, à qui on doit Le Laboratoire de DexterLes Supers NanasStar Wars: Clone Wars, la trilogie Hôtel Transylvanie ou encore Samurai Jack. La série de 5 épisodes (pour l'instant) est diffusée sur Adult Swim et raconte comment Spear, un homme des cavernes, et Fang, un T-Rex, sont amenés à tisser une étrange amitié pour tenter de survivre dans un monde préhistorique réinventé qui veut clairement leur faire la peau.

LE TARTAROVSKY SUPRÊME

C’est un véritable plaisir de retrouver cette patte magnifiée de l'artiste. Connu pour son dessin d’une apparente simplicité avec des corps et formes anguleuses et disproportionnées, Genndy Tartakovsky a fait appel au studio d’animation français La Cachette et a laissé au placard l’animation 3D et les images de synthèses d’Hôtel Transylvanie pour revenir à de la bonne vielle 2D des familles. Le retour des contours noirs dans la même veine que Le Laboratoire de Dexter ou Les Supers Nanas (qu’on avait perdu avec ses films et Samurai Jack) garantit un effet madeleine de Proust immédiat qui ravive les souvenirs des dimanches après-midi devant Cartoon Network. 

Pour autant, Tartakovsky ne livre pas une série enfantine, bien au contraire. Avec des personnages qui partent en expédition punitive, Primal revient sur le thème de la vengeance qui était central dans Samurai Jack. Il a également poussé la violence, déjà bien présente dans la série de 2001, à l'extrême en la rendant littéralement plus viscérale. Les combats de Spear et Fang contre toutes sortes de créatures du Crétacé sont toujours baignés dans l’hémoglobine et les organes, même s’il ne faut pas uniquement rapporter la dureté de la série à son goût prononcé pour les boyaux et les entrailles.

Primal, c’est surtout l’histoire d’un drame et d'un traumatisme qui unissent deux êtres vivants ayant tout perdu en l’espace de quelques secondes et qui ne peuvent compter que sur l’autre pour garder la rage de vivre. Malgré la beauté de la scène, un des personnages en viendra même à penser au suicide tant son désespoir est profond et forcément très poignant pour les téléspectateurs. Quand c'est nécessaire, la tristesse du récit surpasse sa violence et c'est ainsi que malgré un combat d'une rare sauvagerie, la fin du dernier épisode nous prend davantage au coeur qu'aux tripes, tant le drame annoncé nous rappelle le monde hostile, voire cruel, dans lequel les deux protagonistes évoluent.

 

photoEt encore, c'est sans les boyaux qui se baladent dans les airs

 

SOUFFRE EN SILENCE

Par logique ou par défi, Primal s’enferme dans le mutisme, Spear n’ayant pas encore la connaissance du langage. Tartakovsky s’était déjà fait la main sur la saison 5 de Samurai Jack avec ses combats muets. Avec Primal, il a visiblement décidé d’aller au bout de son idée. Les interactions sonores se font donc par grognements, principalement quand l’homme des cavernes engage le combat, mais aussi quelques soupirs ou éternuements et inclinaisons de tête pour Fang.

Pour autant, la série parvient à introduire comme il se doit ses personnages, à leur donner une personnalité complexe et de l'expressivité avec une animation plus travaillée qu'à l'ordinaire, sans pour autant exagérer les gestes ou expressions faciales comme le ferait un mime. Le dessin est détaillé, mais ce sont surtout les situations qui sont évocatrices et permettent de saisir précisément le ressenti et les pensées des protagonistes, qu'ils soient humains ou non.

C'est par exemple sans aucun moyen de communiquer que Spear et Fang s'allient, uniquement parce qu'ils se rendent compte qu'ils attaquent le même ennemi et protègent la même chose. Spear est d'ailleurs très stoïque, à l'image de Jack, ce qui donne à ses rares sourires, froncements de sourcils ou expressions contemplatives beaucoup plus de justesse et d'importance que s'il bavardait sans cesse. 

 

photoUne animation plus soignée

 

Du fait qu'il n'y ait aucun dialogue, la musique de Tyler Bates qui a composé la bande originale de John WickLes Gardiens de la GalaxieDeadpool 2 ou encore Samurai Jack, est un personnage à part entière qui suit ce duo hors du commun. Les airs doux et les bruitages de la faune accompagnent les rares moments d'accalmie, tandis que des percussions, synonyme de montée d'adrénaline, nous informent qu'un combat se profile et qu'il sera violent.

Mais Primal ne cherche pas à combler le silence par une dose inutile d'action. Même si le format des épisodes est d'une vingtaine de minutes seulement, le récit prend le temps de... prendre son temps. Les personnages s'autorisent à souffler, ce qui donne à la série des scènes beaucoup plus douces, colorées et apaisantes, qui font d'autant plus écho à l'état d'esprit des protagonistes pour qui le calme est toujours de courte durée.

 

photo"Ta mère ne t'a jamais appris à ne pas montrer du doigt ?"

 

DIPLO DOCU

Même si certaines créatures présentées sont totalement fantasmées, Primal nous pousse à remettre en question notre vision de l'humanité. Si le duo Fang et Spear peut au départ paraître complètement aberrant, on réalise petit à petit que Fang n'est pas plus animal que Spear et qu'à l'inverse, Spear n'est pas plus humanisé que Fang. Au-delà du fait qu'aucun des deux ne peut parler (mais ils peuvent communiquer), le dessinateur s'amuse souvent à les représenter de façon quasi symétrique pour accentuer leur ressemblance, que ce soit pour des actions anodines (faire ses besoins) ou plus sérieuses (les bastons).

Si Spear laisse souvent ses émotions s'exprimer entre colère, désespoir, peur ou même dépit et qu'il fait preuve de beaucoup d'inventivité, il sait également se montrer très bestial quand il doit se protéger ou au contraire attaquer. Ses grognements et son visage sont parfois ceux d'un animal et la sauvagerie de l'homme des cavernes n'a alors plus rien à envier aux dents acérées du dinosaure. Ils ne se considèrent d'ailleurs pas supérieurs aux autres créatures, il suffit de voir son regard triste lorsqu'il tue un mammouth par nécessité.

 

photoFang dans Primal

 

À l'inverse, Fang n'est pas traitée comme un T-Rex de compagnie. Si elle est assez douée pour croquer tout ce qui lui passe sous la mâchoire, elle a également des sentiments qu'elle partage avec Spear et sait surtout faire preuve d'ingéniosité et de maladresse. Si Spear n'est pas supérieur, elle-même ne se considère pas inférieure à l'homme qu'elle transporte sur son dos, notamment quand elle refuse de trainer un chargement de provisions comme une vulgaire bête de somme et laisse Spear s'en charger.

Primal nous introduit également d'autres personnages au comportement proche de celui de Spear et donc des hommes. Que ce soit un groupe de mammouths qui entame un rituel funéraire, des gorilles qui respectent des traditions ancestrales et une hiérarchie sociale ou un groupe cousin des Homo Sapiens qui se sert aussi d'outils pour chasser, le monde de Tartakovsky regorge de créatures tout aussi humanisées que le seul homme de l'histoire.

Pour l'instant, seuls cinq épisodes de Primal ont été diffusés sur Adult Swim, cinq autres sont encore à venir courant 2020

 

photo, Primal Season 1

Résumé

Primal s'impose comme l'oeuvre la plus mature de Genndy Tartakovsky, avec une animation plus travaillée, mais qui revient aux fondamentaux de son art. Le récit, puissant, violent et paradoxalement apaisant par le manque de dialogue, est une véritable ode à la survie et à l'entraide qui chamboule l'idée qu'on se faisait de l'humanité.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(2.0)

Votre note ?

commentaires
BATMALIEN
19/04/2024 à 18:44

Je viens de terminer la S1 : bilan très moyen.

Oui on retrouve bien les grandes qualités de la dernière saison de Samurai Jack (direction artistique, animation, musique, ambiance..) ce qui représente déjà un miracle comparé à la concurrence, mais à part ça ?

La série nous fait suivre deux persos qui s'allient après avoir vécu le même trauma et tentent de survivre ...et c'est tout. Il faut attendre le dernier épisode pour avoir un début de lore !

Bref la S1 ne raconte (presque) rien. Je vais mater la S2 parce que j'aime le style de Tartakovsky et pour voir si ça décolle enfin (sachant qu'une 3ème saison finale est en développement).

Elbe
24/11/2019 à 23:24

Je viens de mater, ça vous remue les tripes dans tout les sens a et l’animation est a couper souffle !

StarLord
01/11/2019 à 16:44

Quelle claque! Je viens de terminer les 5 épisodes c’est excellent. Merci beaucoup pour la découverte!

Ken
21/10/2019 à 02:16

D’accord avec ecranlarge 5/5 vraiment bien

Koito44
19/10/2019 à 20:58

Cette série est une petite merveille, à ne rater sous aucun prétexte !!!

Meh
19/10/2019 à 20:41

Ça donne envie !

Cruz
19/10/2019 à 16:09

@jesuisici

Oui Toonami et adult swim se partagent la même chaîne en France (les deux appartenant à Warnermedia)

Primal débute dans la nuit de mardi à mercredi je crois savoir (à vérifier)

Hasgarn
19/10/2019 à 14:52

Je trépigne…

Rahan Chamallow
19/10/2019 à 13:40

Ce point de départ tragique... J'ai vu le premier épisode... J'ai failli pleurer tellement que c'est triste... Un mélo' d'une beauté qui vous va droit dans le cœur...

Manufonti
19/10/2019 à 13:38

Ça sera bientôt diffusé en France?

votre commentaire