Critique : It's Such a Beautiful Day

Nicolas Thys | 7 juillet 2013
Nicolas Thys | 7 juillet 2013

Le cinéma d'animation américain est à l'image du cinéma en prises de vues réelles. On ne connait guère que ce qui sort des grosses manufactures hollywoodiennes : Pixar, Disney, Dreamworks and Co. Evidemment, certains studios produisent de meilleurs films que d'autres et certains parviennent à créer la surprise avec des produits qu'on qualifiera toutefois toujours de lisses. Et la 3D n'aura pas arrangé les choses, apportant du relief aux œuvres comme on déposerait une couche de maquillage sur un mannequin en plastique, tentant de leur donner une contenance humaine alors que ça ne fait que ressortir leur artificialité. L'intérêt n'est pas dans le formatage mais dans la différence, dans ce qui accroche, qui sort des sentiers battus et qui propose autre chose, quitte à choquer dans la forme et paraître bancal car expérimental. Mais ces films là, qualifiés d'indépendants, passent trop souvent à la trappe.

Et alors qu'Hollywood tente de faire des produits hybrides, mi-animés, mi-live action avec des ajouts informatiques souvent importants, le cinéma indépendant résiste en s'engouffrant dans les extrêmes. La prise de vues réelles part à la recherche d'un réalisme total : hors des studios, hors des trucages. L'animation rejoue ses formes originelles : la ligne et le point, ou elle mélange, dans des films malades et magnifiques, des techniques qu'on imaginait plutôt solitaires. C'est le cas de Consuming spirits de Chris Sullivan et de It's such a beautiful day de Don Hertzfeldt, les deux plus beaux longs-métrages animés que les Etats-Unis ont produit depuis plus de 10 ans, et qu'on risque fort d'attendre longtemps sur le sol français.

Quel est le point commun entre ces deux films forts différents ? Réalisés pratiquement sans ordinateur, ils ont chacun été intégralement écrits, animés, réalisés, produits par une seule personne. Sullivan a même mis plus de 15 ans à terminer son film, qui dure plus de 2h05. Le scénario est complexe et alors qu'on ne perçoit qu'un mélange d'idées désordonnées, tout fait sens peu à peu pour devenir clair à la fin. Et l'histoire comme les techniques sont d'une densité telle que malgré sa longueur, on ne peut qu'avoir le souffle coupé. Evidemment, il faut tenir jusqu'au bout et cela semblera certainement un parcours du combattant à certains, trop habitués à la linéarité et l'infantilisme des productions habituelles et qui imaginent ne rien pouvoir suivre.

De plus, les personnages de Consuming spirits sont moches, mais ils dévoilent au monde leur être profond en ne se chargeant d'aucun désir de paraître réalistes. Ils sont en cela bien plus vrais et humains que beaucoup. Ce film est une expérience sensorielle et visuelle forte. Il donne l'impression d'un voyage mystérieux dans les confins d'une vie torturée à base de secrets de famille dans une Amérique profonde totalement déconnectée, du Todd Solonz en bien plus terrifiant. Et le malaise s'amplifie à mesure que le film dévoile ses atours : 35mm, 16mm et HD numérique côtoient marionnettes, dessins animés, peinture sur verre, papiers découpés et autres. Les formats sont variés, les techniques aussi, on a ici un condensé d'existence et un condensé de cinéma.

On est dans une démarche parallèle bien qu'avec un rendu totalement différent chez Don Hertzfeldt. Producteur de ses propres films chez Bitter films, il s'occupe même de leur promotion, vendant les DVD des films sur son site et parcourant l'Amérique dans des tournées pour les montrer. A l'origine, It's such a beautiful day est le titre d'un court-métrage autour d'un personnage nommé Bill, le troisième d'une trilogie qu'il a ensuite regroupée pour en faire un long, n'apportant que quelques légères modifications. Déjà auteur de plus d'une douzaine de films en 17 ans, il réalise tout image par image sur un banc-titre Richardson 35mm, l'une des dernières de son acabit en parfait état de fonctionnement aux Etats-Unis. Ses personnages ne sont que de simples bonhommes allumettes, dignes d'un enfant de quelques années sur un fond uni, le plus souvent blanc. Mais la simplicité n'empêche aucunement la profondeur.

En rejouant ses gammes d'animateur à la manière d'Emile Cohl, Hertzfeldt réinvente le dessin animé et le retravaille, essentiellement dans ce film ci. L'identification est aisée et voir à quel point il peut aller loin avec si peu de choses est impressionnant. En suivant Bill et son histoire, parfois drôle, parfois tragique, ses amours et ses angoisses, on entre dans l'intériorité d'un être humain en pleine phase existentielle, d'un malade qui a des problèmes mentaux. Et le cinéaste s'amuse en multipliant les split-screen et les ouvertures dans l'images, on peut suivre jusqu'à une dizaine de points de vues différents quand son esprit explose. Et chaque couleur, chaque détail fait sens. Rien n'est laissé au hasard jusqu'aux images photographiques, souvent abstraites, qu'il ajoute. Hertzfeldt se situe ainsi dans un courant underground expérimental new-yorkais mais également à sa marge en narrativisant encore beaucoup trop.

It's such a beautiful day et Consuming spirits ne sont clairement pas pour les enfants alors que l'allure même du premier et les techniques, utilisables par tout un chacun, de l'autre les rendent enfantins. Ils ne sont pas non plus pour "adultes" comme pouvaient l'être les longs-métrages de Ralph Bakshi dans les années 70-80. Ils sont ailleurs. Ils résistent, cherchant de nouvelles perspectives, de nouvelles représentations, et surtout ils vont toujours plus loin dans la création d'un mouvement et d'une animation différents de format long à mesure que les raz-de-marée hollywoodiens cherchent à tout emporter sur leur passage.

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