Critique : De rouille et d'os

Sandy Gillet | 17 mai 2012
Sandy Gillet | 17 mai 2012

Convaincu mais pas enthousiaste. Sentiment diffus mais tenace à la sortie du De rouille et d'os engendré par un Jacques Audiard dont la consécration mondiale d'Un prophète est encore vivace dans toutes les mémoires. C'est d'ailleurs à Cannes que le film est venu chercher une nouvelle fois son adoubement pour enchainer directement par sa sortie nationale. Comme si, au passage, son distributeur ne croyait déjà plus à la Palme d'or. On ne saurait au demeurant leur jeter la pierre tant il est évident ici que cette adaptation très lointaine du recueil de nouvelles signé Craig Davidson n'a pas la maturité affolante de son précédent long ou l'étrangeté onirique de De battre mon cœur s'est arrêté et encore moins la force brut de Sur mes lèvres.

En cause déjà, le spectateur cinéphile ou non dont les attentes sont à la mesure de ce que le cinéaste véhicule dorénavant dans le paysage cinématographique. Un mélange porteur entre le meilleur de notre cinéma composé d'artisans brillants, d'auteurs et de raconteurs d'histoires. Une telle espérance irrationnelle pervertit forcément le ressenti et la critique à qui l'on ne demande rien d'autre au passage que d'être subjective. En cause ensuite l'architecture d'un scénario que l'on attendait plus fluide, moins mécanique. Comme si Audiard et son acolyte Thomas Bidegain n'avaient pas su ou pas voulu prendre à bras le corps un bouquin dont la qualité principale était de montrer une société en crise par le prisme de personnages confrontés à la tragédie de corps qui les trahissent, de chairs meurtries ou d'esprit ayant lâché prise. Préférant ne choisir que deux nouvelles pour mieux les tordre et distordre afin de ne garder que « la force et la brutalité du récit », Audiard réalise pourtant un film puzzle où les deux personnages principaux se croisent et se recroisent sans que l'on comprenne très bien et très vite le positionnement et l'utilité de chacune des pièces.

Le liant et donc le salut viendront de ses acteurs à commencer par Matthias Schoenaerts que l'on avait découvert minéral dans Bullhead et qui perpétue ici cette image en jouant ce boxeur en devenir englué dans un rôle de père qui le dépasse. Quant à Marion Cotillard, la dresseuse d'orques au destin tragique, elle semble pour une fois se reposer sur la direction artistique d'Audiard qui très clairement s'appuie sur elle pour affirmer sa mise en scène en apparence invisible mais d'une précision diabolique. Véritable réussite du film et tour de force à la fois visuelle et technique, elle insuffle in extremis une direction à l'histoire où les enjeux d'abord flous deviennent évidents, où l'artificialité des destins croisés prend sens et où l'empathie d'abord déficiente devient efficiente. Où le goût de rouille que l'on avait dans la bouche se transforme enfin en appétence de vie. Il était temps.

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Flo
19/09/2022 à 14:37

Regarde les hommes violents.

Un film qu’on peut difficilement détacher de la filmographie de Jacques Audiard, sous peine de passer pour un beau drama un peu cru, au service de la star Marion Cotillard.
Mais ce serait plutôt l’inverse : comme toujours d’ailleurs, on prend plaisir à voir Cotillard s’injecter en une fois dans la filmo d’un auteur, dans son rôle de prédilection de femme dure et énigmatique auquel elle apporte à chaque fois de nouvelles variations.
Elle s’y retrouve à égalité d’importance avec Matthias Schoenaerts dans un rôle de bête humaine, qui lui a collé beaucoup trop à la peau… Mais qui serait ici plutôt un automate, agissant sans réfléchir et sans conscience, l’enjeu du film étant de le voir enfin se mettre du plomb dans la tête sans que ça ne paraisse trop forcé.
On est donc toujours bien chez Audiard, et ses moments suspendus « aux yeux mis-clos » : son adaptation avec Thomas Bidegain de diverses nouvelles de l’écrivain Craig Davidson a beau mettre en avant sa vedette féminine et son cheminement rédempteur, ça se met quand même à égalité, puis au service, de l’itinéraire de son anti héros simple et primaire, véhicule d’une masculinité agressive ordinaire des basses classes. Sans jugement aucun.
Mais pour devenir un homme (un vrai), on a souvent besoin d’une femme, d’échecs terribles et de cicatrices profondes… Jusqu’à fendre enfin l’armure, montrer sa part de vulnérabilité pour rattraper au vol ses protagonistes (Audiard ne va jamais trop loin avec eux, il s’y attache autant que nous).
Il y avait déjà ça d’ailleurs dans « Sur mes lèvres », la femme au handicap et la brute épaisse érotisée… Qui serait ici délocalisé dans le Sud de la France, où l’imagerie ensoleillée devient brûlures aveuglantes, sans annihiler l’ambiance Noire dangereuse, polardeuse.
Le film rebondit aléatoirement de son histoire à elle, puis à lui, puis aux deux… Ça alterne les instants extrêmement attendus (on voit venir à des kilomètres la scène sur la glace), et d’autres nous prenant complètement par surprise.
C’est Imprévisible, et en même temps d’une évidence folle.

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