L'Exercice de l'État : critique qui s'exerce

Simon Riaux | 20 mai 2011 - MAJ : 14/04/2019 15:04
Simon Riaux | 20 mai 2011 - MAJ : 14/04/2019 15:04

Le début des années 2010 aura marqué une renaissance du cinéma politique, un genre dont on n'avait plus vraiment de nouvelles dans nos contrées depuis les années 70. Après Pater, et La ConquêteL'Exercice de l'État de Pierre Schoeller s'attaque à l'oligarchie républicaine, traçant une voie qui lui est propre.

LE MINISTRE NOUS TRANSPORTE

Bertrand Saint-Jean est ministre des transports. Balloté entre une actualité qu'il tente de dompter, et la lutte pour survivre dans un milieu où chaque projet relève autant de l'opportunité que du traquenard, la folie guette. Un point de départ que le spectateur découvre de la plus intense des manières, après une introduction en forme de rêve éthéré et poétique, vision surréaliste auquel le reste du scénario donnera tout son sens. C'est l'immense surprise de L'Exercice de l'État, ce mélange inédit de romanesque, voire de poésie, allié à un constat clair, parfaitement crédible, du fonctionnement de nos institutions, confère au travail de Pierre Schoeller une ampleur que l'on n'osait plus espérer sous nos latitudes.

 

Allô, le cinéma ? On arrive.

 

Tout aussi impressionnante est la capacité du scénario à jongler avec des notions souvent complexes et rarement abordées par la fiction. Du rapport privé/public, aux effets pervers du haut fonctionnariat, en passant par l'influence pernicieuse des médias, la quasi-totalité des tares et dysfonctionnements de notre régime politique sont passés au crible, avec une précision qui ne s'embarrasse jamais de raccourcis.

 

Autre prouesse, ce réquisitoire n'est jamais verbeux, ni abscons, mais intégré à une histoire passionnante, dont l'intensité n'a absolument rien à envier aux fleurons du genre, et pourrait même donner des leçons à nombre de cinéastes anglo-saxons.

 

 

Dans la gueule du croco

 

LEVIATHAN

 

Ces qualités fondamentales apparaissent évidentes, car portées par des comédiens tous au sommet de leur art, du plus petit rôle, jusqu'à Olivier Gourmet, fascinant en bête politique, obligé de gérer une « compromission acceptable ». Michel Blanc est tout aussi impressionnant, composant un énarque en permanence au bord de l'implosion, qui tentera envers et contre tous de sauver ses derniers vestiges d'idéalisme. Chacun s'échine ici à réussir un impossible grand écart entre ses intérêts personnels et ceux de la nation, inconscients de se débattre au sein d'une toile d'araignée qui ne rompra jamais.

 

Pierre Schoeller a le mérite remarquable de ne jamais transformer son film en tract, préférant, plutôt que d'indiquer où se trouve le bien et la marche à suivre, révéler où réside le mal, le cercle vicieux qui le perpétue. Tout cela, sans jamais verser dans le manichéisme ou le « tous-pourris, » mais bien en nous donnant à comprendre la mécanique qui broie implacablement ces hommes et ces femmes.

 

Olivier Gourmet et Michel Blanc

 

La place manque pour évoquer la mise en scène tour à tour virevoltante et chirurgicale du réalisateur, capable de passer à l'intérieur d'une même séquence de la dissection glaciale au cauchemar éveillé. La découverte d'un bus accidenté se mue ainsi en un précis de communication politique, balayé en un instant par une vision surréaliste, que chasse la minute d'après une sortie de route, qui remettra brusquement l'humain au centre du jeu. Tout l'art de L'Exercice de l'État est là, dans cette alternance de virtuosité et d'intelligence. 

 

 

Résumé

Un film exemplaire, qui n'aura jamais la prétention de vous dire pour qui voter, se contentant de vous démontrer sans aucun cynisme, que dans un monde où le politique ne peut plus rien, le citoyen est déjà mort, mais ne le sait pas.

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