Critique : Pater

Sandy Gillet | 18 mai 2011
Sandy Gillet | 18 mai 2011

Pendant un an, Alain Cavalier et Vincent Lindon se sont vus pour faire un film. Jusque là rien de délirant si ce n'est que depuis Thérèse en 1986, Cavalier n'a pas fait grand-chose et encore moins en s'adossant au « star system » français. La rencontre était donc déjà en soi excitante. Que dire alors de la proposition de cinéma qui en résulte ? Le projet sur le papier était simple. Faire un film qui raconte les relations très fortes entre deux hommes de pouvoir. Le premier, joué par Alain cavalier, dans le rôle du Président de la République, qui propose au second, patron d'une entreprise « modèle », de devenir Premier Ministre. Mais c'est sur la forme que le projet est en fait le plus déviant et spectaculaire puisque Cavalier, armé de deux caméras HD semi pro, décide de mêler sa fiction avec une sorte de documentaire/making-of de sa collaboration avec Lindon (ce qui nous évitera au moins cela sur le DVD au rayon bonus).

Cavalier surfe ainsi et dès les premières images (une première rencontre autour d'un diner fait de cèpes et d'une bonne bouteille le tout filmé en gros plans caméra subjective) sur le mélange d'une réalité travestie par les coquetteries de l'interprétation des rôles attribués. Et si la règle du jeu semble au début facile et évidente, on est délicieusement perdu à la fin ne sachant plus trop quoi penser de ce que l'on voit à l'écran. Une scène au demeurant résume bien cette perte de repère : Vincent Lindon est dans sa cuisine en train de parler à des amis (ses gardes du corps dans le film) et se plaint de ne pas avoir reçu de coup de fil de Cavalier/Président pour lui dire si son interprétation convenait et de prononcer cette phrase « Qu'il n'appelle pas Vincent Lindon c'est une chose, mais le Premier Ministre quand même... ». Tout est à l'avenant et d'assister médusé aux coulisses d'un pouvoir où les coups bas se succèdent aux déceptions et autres exaltations politiques, le tout filmé dans l'appartement (somptueux ceci-dit) de Cavalier himself.

Le plus fort dans tout cela est que le film ne se fait ni le contradicteur mais encore moins le défenseur du système politique français. Son propos, certes caustique et extralucide (extraordinaire épisode de la photo compromettante pour le leader de l'opposition qui ne peut avoir que des résonnances avec l'affaire DSK qui secoue le monde politique français depuis quelques jours) ne s'approprie aucun discours sinon celui de l'utopie et du romantisme. Pour autant la vision du pouvoir par Cavalier n'est pas anodine et participe à une réflexion de nos institutions mais aussi de celles des autres pays disposant d'un régime démocratique. De fait la démarche fait penser à la série The West Wing (A la Maison Blanche), dans cette propension à révéler d'une manière naturelle et osée des pratiques, des us et coutumes d'un monde qui nous est habituellement fermé.

Au sein de ce système hiérarchisé, Vincent Lindon est extraordinaire. Entre colère intime suite à une conversation houleuse avec l'administrateur de son immeuble au sujet du nouvel ascenseur et endossement d'un rôle qui le propulse à la limite de la schizophrénie, l'homme est profondément touché et se repait d'une expérience littéralement déstabilisante. En cela il montre définitivement qu'il est l'acteur emblématique de sa génération. Et Cavalier de renouveler et de rajeunir sans en avoir l'air d'y toucher un medium qui en avait bien besoin.   

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