Critique : Balada triste

La Rédaction | 7 septembre 2010
La Rédaction | 7 septembre 2010

Le nouveau film d'Alex de La Iglesia est à l'image de l'accroche du dossier de presse : « Un film à propos de l'amour et de la haine, une métaphore de l'Espagne - un pays maudit et tragique - où l'humour et le tragique se confondent souvent ». Bref tout et n'importe quoi (une véritable auberge espagnole), servi avec une grande générosité et une maestria technique dont le réalisateur avait déjà faite preuve dans ses précédents films. A l'image du superbe générique qui mêle photos historiques à des images iconiques des monstres de la Universal (Lon Chaney et Boris Karloff en tête), le réalisateur essaie ici de nous livrer sa version de 30 ans d'histoire espagnole à travers le portrait « monstrueux » d'un duo de clowns.

Le film démarre fort avec la réquisition de la troupe bigarrée d'un cirque itinérant pour lutter contre l'ennemi fasciste en 1937. S'en suit une fusillade sur les barricades où un clown armé d'une machette découpe à tout va sous le regard ahuri des soldats ennemis. Emprisonné le clown héroïque meurt, et son fils Javier reprend alors les armes et le nez rouge. Fin de la première bobine. Alors que l'on pensait que le film allait ausculter l'histoire politique espagnole d'après guerre, Iglesia fait une ellipse de 25 ans et fait (re)démarrer le récit en 1970 sous Franco. Un nouveau cirque où Javier est engagé comme clown triste pour servir de souffre-douleur à la véritable vedette, Sergio un clown alcoolique, coléreux et violent qui partage la vie de la belle trapéziste sado-maso Natalia, dont Javier tombe instantanément amoureux. Le trio se déchire au milieu d'une faune bigarrée : dompteur d'éléphant malheureux, cascadeur à moto en quête d'un record, un festival de trogne qui n'aurait pas dépareillé dans un Sergio Leone. Un combat de coqs entre les deux clowns pour les beaux yeux (et le reste) de la belle. Combat qui se terminera dans le sang, à coup de trompette (!), laissant Sergio défiguré, le cirque ruiné et Javier errant hirsute dans les bois tel l'enfant sauvage. Fin de la troisième bobine. On prend le temps de respirer.

Car si le réalisateur enchaîne à bonne allure les scènes, le spectateur lui ne sait plus trop à quel saint se vouer... Film historique, comédie romantique trash, Iglesia  semble avoir du mal à tout mener de front. Le trio de freaks est mis en avant au détriment de la logique installée initialement (un vieux général franqusite permet in extremis - dans une scène que Bunuel n'aurait pas renié - de raccrocher les wagons à la première partie du film). Iglesia fait muter son trio (transformation physique, errance, folie) sans se soucier d'une quelconque temporalité (un mois, un an, un jour... impossible de savoir à quelle vitesse le temps s'écoule entre deux séquences) à moins de connaître l'histoire de l'Espagne par cœur, le film étant émaillé d'écrans télévisées relatant des attentats et événements connus (même procédé employé par Michael Mann dans Ali pour marquer des ellipses). Les séquences s'enchaînent, étonnantes et réjouissantes, mais sans souci de vraisemblance, avec pour seule logique d'en rajouter dans la démesure et le grotesque ; à peine une situation est-elle amorcée qu'elle est de suite sacrifiée pour laisser place à une nouvelle.

Spectacle jouissif mais frustrant, en dépit de personnages attachants et pathétiques le film ne laisse aucune prise émotionnelle et enchaîne les morceaux de bravoure ultra-référentiels (La mort aux trousses est largement cité à la fin). Seule la toute dernière scène - quasi muette - cueille le spectateur par son émotion et laisse augurer de ce qu'aurait pu être le film si le réalisateur n'avait pas tant pêché par excès d'ambition. Constat globalement positif mais peut-on encore parler d'erreur de jeunesse ? Le Jour de la Bête date quand même de 1995.

Sébastien de Sainte Croix

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