Critique : Film socialisme

Thomas Messias | 18 mai 2010
Thomas Messias | 18 mai 2010

Il y a un an, Cannes redécouvrait la liberté absolue de Monsieur Alain Resnais, doyen du festival mais cinéaste absolument juvénile, plus libre que n'importe lequel de ses congénères. L'impression qu'un âge avancé, loin de constituer une dernière étape vers le tombeau, est en fait la clé de la plus grandes des libertés artistiques, ne fait que se confirmer avec ce Film Socialisme extrêmement attendu car émanant d'un Jean-Luc Godard n'ayant jamais été attiré par la norme, mais explorant désormais la marge avec une absence totale de contraintes stylistiques ou rhétoriques. JLG filme ce qu'il veut comme il le veut, mélangeant les supports et les thématiques au gré d'une oeuvre puissamment poétique, au souffle politique intense et discret, riche en lectures diverses et variées, mais s'affranchissant sans arrêt de toute nécessité de faire sens. Faisant perpétuellement l'objet de la fascination des étudiants et enseignants en cinéma, le cinéaste semble avant tout faire des films pour lui-même et a le bon goût de ne pas les concevoir comme de futurs sujets d'études. Le film doit sa beauté à cette absence de calcul.


Trois parties. La première se déroule sur un paquebot, et Godard y filme des groupes de gens déambulant, se croisant sans vraiment se voir. Le décalage entre la voix off et ce qui se passe - ou ne se passe pas - à l'image est saisissant : nous ne serions que des spectres bourrés d'intentions, de questions que l'on aimerait existentielles mais ne le sont que trop rarement, de convictions ressemblant bien vite à des feux de paille pour qui les regarde de trop près. Les images se suivent et ne se ressemblent pas, tout juste reliées par les vagues que le cinéaste aime à filmer comme un leitmotiv nauséeux. La deuxième, plus conventionnelle sur le papier, voit une famille se battre et se débattre autour de la question politique : tandis que les parents souhaitent se présenter à des élections cantonales, les enfants demandent à comprendre leur programme et à connaître leur valeur en tant que citoyens. On est moins dans le sensoriel que dans le réel, le traitement décalé créant une sorte de malaise pas si inconfortable qui donne à réfléchir sur la transmission entre générations, l'avenir de notre société, la disparition possible de la question politique.


Sur la fin, Godard part explorer les terres fondatrices du monde tel qu'on le connaît aujourd'hui. Le film se fait alors plus sombre, mais encore plus beau, parvenant à mêler sociopolitique et poésie de l'absolu, comme si l'histoire de la Palestine et de ces autres territoires blessés était quelque chose d'ancré en chacun de nous, vecteur de nos doutes et de nos (dés)espoirs. Ce cadavre exquis de plans et de mots est aussi déconcertant que bouleversant, tant la science du montage de Godard accouche d'un cauchemar rythmé et plein de souffle, qui n'est pas loin d'être l'oeuvre la plus marquante de la dernière partie de sa filmographie. Chacun trouvera ici le socialisme qu'il veut, ridiculement béat ou atrocement réaliste, mais personne ne pourra en tout cas passer à côté de cette heure et demie de cinéma parallèle, foisonnant et pas loin d'être addictif. Godard a 80 ans mais il n'a jamais été aussi vivant.

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