The Thing : critique gelée

Julien Welter | 6 janvier 2018 - MAJ : 27/09/2023 10:09
Julien Welter | 6 janvier 2018 - MAJ : 27/09/2023 10:09

Assez mis à l'écart lors de sa période la plus productive, les longs métrages de John Carpenter ont sûrement désormais acquis la reconnaissance qu'ils méritaient. Parmi les nombreuses références que sont Christine ou HalloweenThe Thing s'est imposé comme la plus grande réussite du cinéaste.

VIDE GLACIAL

Tout commence par un vide, un creux laissé par The thing form another world, réalisé en 1951 par Christian Nyby et, en sous main, Howard Hawks. Ce « monster movie » classique, laisse en effet une empreinte cinématographique chez le jeune Carpenter. Le monstre d'alors n'est qu'une chose humanoïde, contre lequel on se barricade en vain puisque la porte s'ouvre vers l'intérieur (la scène située en fin de film est hilarante) ; mais trente ans plus tard, le réalisateur décidera quand même d'établir un pont avec ce souvenir. Il dévoile son acte lors de la visite de Kurt Russell dans la base norvégienne.

Le nihiliste barbu, pendant fictionnel de Carpenter, découvre un cercueil de glace dans lequel se dessine une empreinte indicible, celle qui marqua le futur cinéaste. Après avoir donné une vision moderne du western dans Assaut, le réalisateur se place à nouveau devant les restes du cinéma de son enfance et entame un dialogue de cinéphage. Quelle pourrait être la forme d'un monstre de nos jours, maintenant que la vision de celui-ci n'a plus la surprise charmante de l'âge d'or ? Quelle présence pourrait encore effrayer ?

 

Photo Kurt RussellKurt Russell, toute barbe dehors

 

Ces interrogations se traduisent dans le film par une paradoxale série d'absences. Absence d'explication d'abord, sur le pourquoi d'une chasse au chien-loup, armé d'un fusil à lunette. Ce renversement des proportions provoque le malaise, et ce malaise excise une ouverture fantastique dans le réel. Absence de héros ensuite, puisque Kurt Russell n'assumera ce rôle qu'au bout d'une demi-heure et dans le seul but de sauver sa propre vie. Absence de point de vue enfin, qui permet de traiter en ellipse tous les évènements fondateurs. Dans cette avancée anarchique, seule compte alors la contagion de l'effroi à la limite même du vraisemblable puisque, et ce n'est qu'un exemple, le problème de l'accès à la réserve du sang n'a toujours pas été résolu.

 

Photo Kurt RussellPrêt à tout faire sauter

LE MONSTRE DE L'ABÎME

À l'intérieur de ce récit flottant, John Carpenter oppose alors l'homme et le monstre. Pour ce dernier, au vu sûrement de la multiplication des sous-genres horrifiques et dans la continuité de son dialogue cinématographique, il opte pour une autre absence, celle de la forme. Se nourrissant des êtres environnants, la chose se distingue par sa difformité. Visqueux et sec, plissé et acéré, agressif et défensif, le monstre ne dévoile d'accrocheur qu'un œil fixant le spectateur du fond des chairs. Parce qu'inidentifiable, seul le sentiment impalpable et incontrôlable de sa présence enclenche la peur. Comme si Carpenter avait mis en images le réflexe de Pavlov du cinéma d'épouvante.

 

Photo Kurt RussellPeur du vide

 

Reste alors l'effroi, ce pic de dégoût qui surmonte toute montée de frayeur. Le réalisateur de Prince des ténèbres le dispense dans la défaite de l'Homme, le seul être auquel peut s'identifier le spectateur dans le film. Plus qu'un simple combat perdu, c'est un déchaînement sadique qui se déroule sous nos yeux : un cou qui s'étire jusqu'au déchirement, un ventre béant aux dents acérées, des bras croqués à la moitié, des joues absorbées. Si le froid du récit avait anesthésié les parties nerveuses, les pics gore agissent comme des lacérations du nerf optique et rendent douloureusement palpable pour l'audience la fragilité de la chair.

 

Affiche

Résumé

Le choix est difficile certes, mais pour nous, voici le meilleur film de John Carpenter. Désolé Halloween.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(4.3)

Votre note ?

commentaires
Flo
04/04/2023 à 16:49

D'abord la première adaptation de Christian Nyby supervisée par Howard Hawks, culte alors qu’elle est ultra blindée de désamorçages de tension, ses personnages passant énormément de temps à parler les uns sur les autres – prenez ça ! ceux qui bavent sur les blockbusters modernes… voilà le parfait contre-exemple.
C’est poussé loin la logique Hawksienne de la camaraderie virile (même avec quelques femmes dans le coin – à séduire, tranquille, malgré le danger). Y compris la défiance contre la Science, peut-être sans conscience.
Pourtant, le côté horrifique reste, à des intermittences inattendues, lorgnant sur du Frankenstein. Et ignorant étonnamment la portée paranoïaque de la nouvelle originelle que le film adaptait, alors que l’Amérique de l’époque commençait à être confrontée au Maccarthysme… une occasion manquée.

Ses remakes ne loupent pas le coche eux, en ayant tout de même leurs limites :
Celui de John Carpenter, fan de Hawks devant l’éternel, l’amitié virile (puis sa déconstruction nihiliste), mettant plus l’accent sur une ambiance Lovecraftienne – Les Montagnes hallucinées sûrement.
Mais surtout un gros jeu de piste cinématographique entre la fabrication d’événements antérieurs qui servent de présages à l’horreur à venir… Et un suspense reposant sur le hors champ (dont 20 minutes sans la moindre créature, allant au delà du tribut au film de 1951).
Toutefois ça a pris un coup de vieux, on grille facilement presque tous les rebondissements, on comprend vite que seul Kurt Russell est le héros qui n’a rien à craindre, on débusque toutes les prothèses et maquillages etc (train fantôme de fête foraine). Et la paranoïa par le Toucher est devenu indirectement parabole du SIDA, sans le vouloir.

Il y restera toujours ce côté effrayant à voir des corps exploser en des aberrations, dégoûtantes à vous remuer les boyaux. Ainsi qu’un pessimisme, à peine évacué par des conclusions aussi ambiguës que cathartiques.

Kouak
08/01/2019 à 08:28

Bonjour,
Fait exceptionnel !!!
Pour une fois !
De la rédac' aux intervenants, tout le monde semble unanime !!
(:-o)
@EL : Epinglez ce sujet SVP ! IL fera date...
;-)

Dutch Schaefer
07/01/2019 à 17:36

Cinéma + Amour + Talent + Respect= THE THING.
Il est parmi les 10 films que j'emporterai sur une île déserte!

Raoul
07/01/2019 à 15:43

Classique! L'économie de mots, de lieux, y'a que ça de vrai dans le cinéma!

Kouak
07/01/2019 à 15:13

Bonjour,
une référence en la matière.
Je le montre toujours aux "jeun's" de mon entourage qui n'ont connu que l'ère du fond vert...
Et ils sont toujours ébahis par la qualité des effets spéciaux...
Faut dire que le gars des maquillages s'en est donné à coeur joie , vu qu'il avait carte blanche.
Il a fini à l'hosto tout de même.
Je ne m'en lasse pas.

Ben
07/01/2019 à 11:41

Un film fortement inspiré des mythes lovecraftiens et notamment les montagnes hallucinées. Sans doute la meilleure adaptation de ce type de science-fiction avec Alien.

Starfox
07/01/2019 à 10:39

Un des meilleurs de Carpenter, peut-être son meilleur. Un des meilleurs des années 80 certainement. La paranoia qui se distille comme un poison. Un film nihiliste qui ferait peur au plus nihliste des gilets jaunes.

Petite réserve pour ma part, le monstre à la fin est un peu trop classique et pas trop raccord aux formes et transformations hallucinantes qu'il prend tout au long du film... La tête qui se transforme en araignée, quelle idée incroyable nom d'une pipe.

Birdy
07/01/2019 à 10:09

Combien de films aujourd'hui possèdent l'âme sinistre de ce chef d'oeuvre? L'impression de voir l'humanité s'éteindre avec ce groupe de chercheurs sur ce petit bout de banquise. Inégalable, tout dans ce film tend vers l'efficacité géniale de te faire fondre sur place de malaise et de trouille. Le nihilisme de Russel, le cadrage de Carpenter, la musique, le mystère... le monstre est nous, pas un survivant, même le spectateur sort contaminé de ce film d'un temps révolu.

Mr Vide
07/01/2019 à 10:07

Dans mes 5 films préférés, tout genre confondu.
Vu un nombre incalculable de fois.....

Atrée
06/01/2019 à 23:46

S'était vraiment un putains de film !

Plus
votre commentaire