May : Critique

Julien Welter | 16 septembre 2004
Julien Welter | 16 septembre 2004

Dès l'ouverture, un cri qui n'aurait pas déplu à l'ingénieur du son de Blow Out capte l'attention. Suit un plan fixe, sobre et sombre, dans lequel une jeune femme en pleurs empoigne son visage en sang. La douleur est palpable, le malaise visible, et les mains se crispent imperceptiblement sur le fauteuil. Car en répondant si tôt aux espérances de l'amateur du genre, Lucky McKee le surprend à peine installé dans l'histoire par une scène en forme de coupure de rasoir : rapide, intense et douloureuse. Le reste peut commencer à couler.

 

 

Ce dernier n'est cependant pas pressé. Il préfère installer en premier lieu son héroïne livide dans le petit monde cliché du cinéma indépendant américain. Elle est assistante d'un vétérinaire au fort accent étranger, son amoureux est garagiste, les rencontres se font à la laverie ou dans la banlieue désertique de Los Angeles. Anna Faris (Scary Movie) et Jeremy Sisto (Détour mortel) surjouent de leur côté la petite comédie et se placent en faux par rapport au jeu énervé d'Angela Bettis. Toute cette mise en scène permet alors de faire astucieusement évoluer cette cousine éloignée de Carrie (elles partagent le même rapport destructeur avec la mère) dans un univers au premier degré. Le morbide grandguignolesque et le glauque réaliste, qui se nouent à l'intérieur du film, enlèvent dès lors imperceptiblement le voile du fantastique qui permet habituellement une réception au second degré. De ce fait vulnérable et encore sous le coup d'une ouverture tranchante, le spectateur prend douloureusement conscience que chaque objet aiguisé qui tombe dans la main de cette femme-enfant peut mener à un carnage. À l'image de ce son grinçant de verre qui travaille, la tension et le suspense s'insinuent ainsi graduellement à mesure que la folie et le fantastique pénètrent cette réalité.

 


Empruntée, la réalisation l'est trop, évidemment, pour ne pas en jouer. De Palma, Argento, Scorsese sont ici convoqués par ce jeune cinéphile conscient de marcher dans les pas de ceux qui l'ont influencé. Il ne manque d'ailleurs pas d'élégance et de poésie quand il raconte une enfance entrecoupée de bouts de poupées tombant en pluie ; mais en illustrant cette fragilité mentale par un survol onirique et caricaturé de l'enfance, il salue avant tout l'efficacité cabotine et l'atmosphère grave d'un De Palma période 70's. Se jouant des périodes et des genres cinématographiques, il va jusqu'à intégrer Tim Burton au milieu de ses influences. Comment ne pas voir Frankenweennie dans l'histoire de cette femme qui se coud un ami à partir des meilleurs morceaux d'autres ? Toutefois, la jolie horreur burtonesque traitée sur le mode réaliste en devient terrifiante. Le massacre qui suit l'acceptation du destin cinématographique de cette tueuse est une explosion de violence vive et marquante, peut-être autant que le monstre qu'elle crée subséquemment. Dans ce final où réalisme et onirisme se mêlent, Lucky McKee conclut alors magistralement que l'ensemble des influences, aussi diverses soient-elles, peuvent donner naissance à une nouvelle identité cinématographique. La sienne, en l'occurrence.

 

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