La Tour : entre Snowpiercer et L'Incal, la BD de Jan Kounen frappe fort

La Rédaction | 9 juin 2021 - MAJ : 09/06/2021 14:45
La Rédaction | 9 juin 2021 - MAJ : 09/06/2021 14:45

Un impitoyable monde post-apocalyptique. Une atmosphère entre Blueberry, L’Incal et Snowpiercer - Le Transperceneige. Bienvenue dans le premier tome de La Tour

Toutes les bandes-dessinées n’ont pas la chance de pouvoir imprimer sur leur couverture le patronyme d’un cinéaste rompu aux expérimentations prometteuses et aux trips au-delà des limites du genre. Mais si la gourmandise et la volatilité de Jan Kounen sont sans doute pour beaucoup dans la réussite de La Tour, il faut néanmoins s’attarder sur ses diverses qualités et sur tous ses auteurs pour entrevoir le degré de réussite de la BD publiée par Comix Buro dès le 9 juin 2021. 

 

photo© 2021 Comix Buro / Editions Glénat 

 

DESSINER C’EST GAGNER 

Survivre à la fin du monde n’est pas un sort enviable. Et c’est même encore plus galère quand le jour d’après se déroule à Bruxelles. C’est en effet dans les ruines de la cité européenne que s’élève la tour qui donne son titre à la bande-dessinée qui nous intéresse. Un vaste bâtiment régi par une I.A. prénommée Newton, laquelle a permis à ses quelque 2746 habitants de survivre. 

Mais à quel prix ? Coupés d’un monde devenu synonyme de mort immédiate depuis que l’air y est saturé par une bactérie provoquant chez les humains des fièvres hémorragiques particulièrement salissantes, les humains demeurent confinés, attendant une improbable issue, la mort, ou tout simplement que le jour se termine. Au sein de cette micro-société qui se désigne pompeusement comme la “Fédération des États-Unis d’Europe”, les tensions arrivent à un dangereux niveau d’incandescence. 

 

photoL'ambiance n'est pas au beau fixe © 2021 Comix Buro / Editions Glénat 

 

Les “anciens”, qui ont connu quelques décennies plus tôt, un monde où l’air était respirable et l’occident un des espaces les plus développés de la planète, font ce qu’ils peuvent pour tenir leur “civilisation” à bout de bras. Les “intras”, eux, sont nés au sein de la tour et voient dans l’héritage de la génération précédente un mélange de règles absurdes, de nostalgie perverse et de limitations oppressantes. Une situation qui ne demande qu’à dégénérer, mais intéresse bien peu Aatami, fils d’un légendaire ingénieur, promu “chasseur”, mais qui compte bien s’aventurer hors la tour plus longtemps que ne le réclameront ses dangereuses missions de ravitaillement. 

Un point de départ qui sur le papier ne révolutionne pas la science-fiction post-apocalyptique, ou le récit écolo-futuriste, mais qui doit sa plaisante réussite à son trio de créateurs. Et pour cause, il s’agit de pas moins que Jan Kounen, Omar Ladgham et Mr Fab. 

 

photoUne vilaine toux © 2021 Comix Buro / Editions Glénat 

 

IL FAUT (PAS) QUE TU RESPIRES 

Pensé comme une trilogie, le scénario de La Tour ne perd pas son temps et à l’issue de ce premier tome, non seulement les enjeux sont posés, mais les personnages sont caractérisés, les conflits installés et la narration déjà bien entamée. Les hostilités s’ouvrent sur une partie de chasse à contretemps qui nous familiarise aussi bien avec la charte esthétique de l’ensemble que sa narration. Elle est simultanément ample et resserrée, capable de travailler l’atmosphère au détour d’une planche inattendue, pour revenir avec intensité au déroulé de l’action. 

Kounen n’en est plus à son coup d’essai en matière de narration, et après avoir préalablement collaboré à la transposition de Doberman sur grand écran puis avec Ladgham sur l’adaptation du Vol des cigognes, on le sent très à l’aise. Le découpage est clair, accompagne l’action et ne souffre pas de la dimension plus “statique” de la bande-dessinée, comparativement au 7e Art. Car, côté dessin également, La Tour fait quelques détours par le grand écran.

C’est le fruit de l’expérience de Mr Fab qui a travaillé deux décennies durant dans la haute couture, du côté de Jean-Paul Gauthier, mais également comme créateur de costumes pour le cinéma. Une expérience qui apparaît évidente quand on parcourt La Tour tant la direction artistique en apparaît cohérente, précise, évocatrice.  

 

photoUne certaine marque jaune... © 2021 Comix Buro / Editions Glénat 

 

A BOUT DE SOUFFLE 

Des images saisissantes de chasseurs aux allures de cosmonautes, en passant par des hordes de soixantenaires tentant de maintenir en ordre un semblant d’ordre bourgeois, jusqu’aux jeunes rebelles leur faisant face, tous les ingrédients fonctionnent de concert. On notera même ici et là, dans l’agencement des couleurs et la conception des espaces, quelques petits éclats de Syd Mead (célèbre designer qui a œuvré sur les décors de Blade Runner) particulièrement bienvenus. 

Enfin, Mr Fab, grand amateur de Blueberry (coucou Jan Kounen), injecte ici son amour pour le gigantesque dessinateur Jean Giraud. Son trait affleure partout, mais surtout, c’est bien son art de la mise en scène qu’on retrouve, sa manière de capter la tension des corps, l’inflexion d’un visage, ou de dévoiler, en une image incantatrice, un nouveau pan de son récit. Et ainsi, quand le taiseux Aatami nous révèle une bien étrange combinaison, c’est une attente décuplée qui se saisit du lecteur, bien conscient d’être embarqué dans ce qui pourrait bien être un des récits de SF les plus prometteurs depuis un moment. 

Voilà une belle réussite pour un projet pensé initialement comme une série, qui semble trouver ici un format parfaitement adapté, et dont il nous tarde déjà de lire la suite.

Ceci est un article publié dans le cadre d'un partenariat. Mais c'est quoi un partenariat Ecran Large ?

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commentaires
Omar Ladgham
10/06/2021 à 17:47

Merci pour cette belle critique !
ça fait chaud au cœur de se sentir aimés ! ;)

Pour répondre à la question des références, elles sont nombreuses.
Jan et moi biberonnont depuis tant d'années à la SF.

Pour celles que vous n'avez pas cités, il y a aussi : Battlestar Galactica, 2001 et Asimov (pour l'IA), Silo que nous avons adoré... moins, Snowpiercer que je n'avais ni lu, ni vu avant de commencer à bosser sur ce projet.

Mais en réalité, à moins d'une référence directe, c'est souivent difficile de faire la part de ce qui nous influence précisément.

Merci encore !!

Omar

Anderton
10/06/2021 à 17:30

Certaines idées de cette BD me font penser à la sage "Silo" de Hughes Howey : la Terre devenu irrespirable, une partie de la civilisation recluse dans un bâtiment (silo vs tour), une lutte des classes, un personnage qui s'aventure au-delà du bâtiment "salvateur"...
Mais rien que pour Jan Kounen, la SF et le postulat de base, ça me tente bien ! :-)

Numberz
09/06/2021 à 19:06

Merci @simon @geoffrey

Très bonne façon de procéder. Offrir un partenariat à une œuvre que vous avez aimé, je vois et comprends tout à fait l'intérêt des deux parties. Je m'en vais lire du coup la critique et je lirais les autres.

Bien à vous messieurs.

thierry A
09/06/2021 à 17:03

Merci pour la mise en lumière de l'œuvre.
Si le concept est éculé ( à voir comment l'histoire se développe ), l'ambiance et les dessins sont vraiment attirants.
(hormis le fait que ce qui est dessiné au premier plan ne bénéficie pas d'un contour plus gras, ce qui mettrait plus en valeur les différents plans, et améliorerait la lisibilité. Ici tout est de la même valeur et c'est dommage car la patte est très bonne. Mais bon, c'était mon retour en tant que simple graphiste à la con qui aime bien respecter les règles de base :)).

Geoffrey Crété - Rédaction
09/06/2021 à 16:51

@Numberz

Je rajoute qu'on affiche clairement le processus de partenariat sur le site, car effectivement ça soulève de questions légitimes. Mais je peux vous assurer qu'on a déjà dit non à des partenariats car on n'aimait pas le film, et que notre avis n'est pas à vendre.

https://www.ecranlarge.com/partenariats

Simon Riaux
09/06/2021 à 15:17

@Numberz

Bonjour !

En fait, on procède dans l'autre sens. On voit quelles sont les oeuvres à sortir qu'on apprécie et avec lesquelles on pourrait solliciter un partenariat. L'idée centrale, c'est que personne n'ait à écrire un truc qu'il ne pense pas, ni nous collectivement à défendre des créations qui ne nous conviennent pas.

Numberz
09/06/2021 à 15:09

Salut la Redac.

J'ai jamais trop lu de critiques quand elles sont sponsorisées. Je ne critique absolument pas ce droit, et même ce devoir et besoin pour le site, mais j'aimerais savoir si, par le passé, vous vous êtes interdits de faire une critique négative avec quelque chose que vous sponsorisez ? Ce qui m'empêche de lire, c'est le fait que je me dise que la critique pourrait être biaisée par ce sponsoring. Merci de votre réponse.