Jujutsu Kaisen : le manga qui exorcise le shonen

Flavien Appavou | 16 février 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Flavien Appavou | 16 février 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Une nouvelle année commence et c'est aussi le moment pour les éditeurs de sortir les gros titres qui sont attendus de pied ferme par les lecteurs. Un des titres qui se faisait attendre est Jujutsu Kaisen, une des séries qui décolle le plus au Japon, aussi bien dans le Shonen Jump, qu'en vente en volume. Et c'est avec les éditions Ki-oon que la série voit le jour en France. 

Ce manga fait les beaux jours de son magazine de prépublication, le célèbre Shonen Jump de la Shueisha. Il a même devancé à un moment l'incontournable One Piece, dans les votes de popularité. C'est dire que cette série a vraiment le vent en poupe comme son compère Demon Slayer (suite aussi à la diffusion de l'animé).

Bref, c'est un nouveau monument de Shueisha qui arrive dans le catalogue de Ki-oon, au côté d'un autre phénomène : My Hero Academia. 

Avec ces deux grosses licences, Ki-oon confirme de plus en plus son rôle de challenger indépendant pour les grosses maisons d'éditions.

 

Couverture Tome 1, Gege Akutami

 

Mais attardons-nous, sur le petit nouveau Jujutsu Kaisen qui mêle exorcisme, aventure et combat. L'histoire est simple :

Yuji Itadori est un lycéen et membre du club de spiritisme. Même s’il ne croit pas forcément aux esprits, il aide ses camarades dans leurs différentes taches du quotidien. Jusqu'au moment où le groupe tombe sur une ténébreuse relique ressemblant à un doigt. Celle-ci n'a d'autre pouvoir que d'attirer les monstres venus accaparer ce doigt pour augmenter leur puissance. Du coup, Yuji se dit qu'il n'a qu'à becqueter la relique pour conjurer le sort. Ce qu'il fait le bougre !

Ni une, ni deux, il se trouve possédé par le plus puissant et célèbre démon à deux visages : Ryomen Sukuna. Mais comme Yuji est très fort, il arrive à reprendre le contrôle de son corps et de la puissance de ce démon pour ainsi terrasser les monstres. Et comme ça ne suffit pas, l'organisation des exorcistes le voit à l'œuvre et décide de le condamner à mort. Car oui, il a quand même un monstrueux démon en lui. Il pourra y échapper qu'à une condition : trouver et finir ce qu'il a commencé, manger les autres parties de Sukuna. Et pour contrôler tout cela, il faut qu'il s'initie à l'exorcisme.

Une balade de santé en somme.

 

photoYuji Itadori et Ryomen Sukuna en couverture du premier tome

 

MANGEZ-MOI, MANGEZ-MOI, MANGEZ-MOI

Même si au premier abord, la couverture du premier tome ressemble un peu à celle du manga Parasite - ressorti il y a peu - l'histoire est tout autre, comme vous avez pu le lire au-dessus. On est plus sur de la possession d'âme et donc corporel qu'un parasite qui n'en fait qu'à sa tête.

Il faut dire que Gege Akutami est un jeune mangaka qui a tout absorbé de ses pairs et plus particulièrement par les intrigues et les personnages de Yoshihiro Togashi, connu pour le célèbre Hunter x Hunter ou bien Yuyu Hakusho et Level E (publié chez Kana pour les deux premiers, et Kazé pour le dernier)

Décidément, ce jeune auteur a réellement de bons goûts

 

Planche 1, Gege AkutamiUn goût pour la narration

 

Il devient par la suite l'assistant de Yasuhiro Kano sur la série Kiss X Death (publié chez Delcourt) où il apprend vraiment le métier de mangaka. Il réalise ensuite le pilote de sa future série dans un genre un peu plus seinen, donc plus noire. Le style graphique et l'histoire piquent la curiosité des éditeurs de Shueisha qui lui demande de mettre son univers dans un style plus shonen et à l'école. N'ayant rien à perdre, le jeune Gege s'attelle à la tâche. Et ainsi naît Jujutsu Kaisen

L'auteur a ingurgité les codes des shonen comme Naruto, Bleach et même Dragon Quest - La quête de Dai, c'est donc avec une aisance et une certaine virtuosité qu'il mélange tout cela dans son premier manga.

 

Planche 7, Gege AkutamiOn met le doigt sur quelque chose.

 

UNE NARRATION QUI A DU DOIGTÉ

Malgré le jeu de mots vaseux, Jujutsu Kaisen surfe bien sur la vague de récit d'exorcisme et de fantôme qui sort en ce moment dans les magazines de prépublication tout en apportant son petit plus.

Rien n'est manichéen dans cette œuvre et c'est là qu'elle trouve son attrait. Les héros et les méchants ne sont pas tous tout blanc ou tout noir. Comme dans My Hero Academia, on doit se faire nous-mêmes une opinion de la morale et de l'éthique des personnages qui vivent leurs vies comme ils l'entendent (tout en étant tous très caractériels).

Le héros n'est pas quelqu'un de faible et qui doit se surpasser. Il est juste là, car il a décidé d'être là et qu'il a choisi son destin. Sans être vaniteux, il découvre le monde qu'il entoure sous un nouvel angle, celui des esprits et des monstres. Ces camarades, eux, sont tous excentriques et ont un défaut attachant. Certains personnages nous rappelleront énormément des héros que nous adorons aussi bien dans le design que dans le caractère. En prenant par exemple le mentor Satoru Gojo (au début), avec un autre mentor exceptionnel : Kakashi. Tous les personnages aussi bien gentil que moins gentil ont quelque chose à défendre et ils y tiennent mordicus.

Même dans l'histoire en elle-même, le postulat de base est que le héros doit mourir après avoir effectué ses bonnes œuvres, ce n'est pas tous les jours qu'on voit un manga, surtout shonen, commencer par nous dire que le héros va surement mourir à la fin.

(Hein quoi ? Mais c'est du spoil !

Tututut, on se calme, c'est écrit dans le pitch de l'histoire)

 

Planche 8, Gege AkutamiLa traditionnelle mise à l'épreuve

 

Le premier chapitre de Jujutsu Kaisen est très sombre et nous met dans une ambiance où le danger peut à tout moment guetter les personnages et où la mort est omniprésente. Histoire d'être vraiment dans le thème.

Puis, on arrive progressivement dans une construction de shonen classique avec la présentation des personnages, de l'univers, de la création de la team, de la mise à l'épreuve et enfin des enjeux globaux, tout en étant ultra punchy dans le découpage et la narration. Les cases et les dialogues oscillent entre humour et phase dark, ce qui donne beaucoup plus d'ampleur au récit.

La tome 1 s'achève sur un cliffhanger sympathique pour mieux continuer sur le tome 2 plus posé et qui définit encore plus l'univers où se plonge l'action du récit. Tout en apportant aussi sa pierre à l'édifice pour ne pas laisser le lecteur sur sa faim.

Ce n'est pas pour rien que les deux premiers tomes sont sortis ensemble en France, car le premier tome est plus sur le mode "on en met plein la vue" et sur le deuxième "on installe l'univers". Les deux volumes permettent vraiment de s'immerger dans l'univers de Gege Akutami qui maîtrise son œuvre d'une main de maître.

 

Planche 3, Gege AkutamiUne planche plus que convaincante

 

UN GRAPHISME AUX PETITS OIGNONS

Comme son héros qui doit manger des bouts de démon pour être complet, Gege Akutami a dû aussi en manger du manga pour écrire et dessiner son histoire. Du coup, il maîtrise parfaitement l'équilibre et le découpage des cases et cela dès le premier chapitre (ce qui est assez rare pour le noter), c'est efficace, brut et sans fioriture.

Dans Jujutsu Kaisen, on voit bien que la composition des pages est primordiale pour l'auteur. Tout va à l'essentiel. Les moments de combats sont intenses, rythmés avec ses moments de violence pure et ses moments de calme absolu avant la tempête.

Les traits efficaces donnent énormément d'ampleur dans la personnalisation des personnages principaux et de leurs antagonistes. Les esprits malins sont tantôt bien monstrueux, voire horrifique, tantôt bien humains, mais avec cette notion de dangerosité propre aux œuvres de Yoshihiro Togashi - dont on voit encore la grande influence. Des êtres très beaux en surface, mais qui cachent une partie vraiment sale et démoniaque en eux.

 

Planche 6, Gege AkutamiPas une parole, juste un beau découpage

 

Le dessin très intense retranscrit à merveille les émotions des personnages. On a l'impression que Gege Akutami se balade dans son manga, tellement on y sent de la ferveur, de l'enthousiasme et surtout de l'amusement. Les passages humoristiques sont aussi empreints de malice et d'espièglerie. L'auteur est à ce moment-là en économie de dessin, ce qui est totalement en rupture avec le reste, qui est assez chargé et très pointilleux, ce qui donne un contraste saisissant et qui force le sourire. On est sur du dessin presque "enfantin", crayonné et ça fonctionne.

C'est en ça que l'auteur de Jujutsu Kaisen est un virtuose. Il connaît parfaitement les temps de rupture et amène du rythme dans son œuvre.  Mention aussi spéciale aussi sur l'architecture dans le manga qui prend une belle place, et qui sert énormément le propos. Rien n'est inutile dans son dessin, c'est juste incroyable.

 

Les personnages, Gege AkutamiTous les héros réunis, pour la bonne cause ?

 

Tout en suivant les traces du shonen laissées par ces prédécesseurs, Gege Akutami arrive à donner à son manga, une empreinte singulière et marquée, beaucoup plus "adulte" qu'il n'y parait. Comme le dit si bien Ki-oon, Jujutsu Kaisen c'est le seinen pour adolescent et le shonen pour adulte.

Jujutsu Kaisen c'est actuellement deux volumes en France chez Ki-oon, et neuf au Japon, toujours en prépublication dans le Shonen Jump. Il préfigure de temps en temps dans le top 5 des ventes en volumes sur le classement Oricon. Il est aussi le prolongement de cette nouvelle génération d'auteur qui arrive sur le magazine, plus mature, qui ont beaucoup appris de leurs aînés, moins consensuel et dont la limite entre seinen et shonen est beaucoup moins tangible.

Avec sa personnalité, son humour et son graphisme à toute épreuve, il est sûr que ce manga trouvera son public. D'autant plus qu'une adaptation en animé a été confirmé au Japon, ce qui permettra de booster encore plus la notoriété - déjà grandissante - de l'œuvre ainsi que ses ventes !

 

Couverture Tome 2, Gege AkutamiL'exceptionnel tome 2

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commentaires
Mozdogg
17/02/2020 à 07:41

Ce mangé est génial et cache tellement bien son jeu.
Il joue subtilement avec les codes du shonen sous pour autant les dénaturer et c'est certainement une de ses plus grandes forces !