Gros plan sur Amazing Grace : la BD post-apocalyptique avec un coeur gros comme ça

Christophe Foltzer | 22 mai 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 22 mai 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

L'être humain possède cette capacité terrifiante tout autant que fascinante de fantasmer sa propre extinction. Si cela est inquiétant lorsqu'il s'agit de politique, d'économie ou d'écologie, cette propriété humaine prend une toute autre dimension et un tout autre sens lorsque l'art décide de se pencher sur elle car, comme chacun le sait, c'est dans l'obscurité que l'on peut trouver la lumière.

 

GRINDHOUSE STORIES

Avant de nous pencher plus précisément sur la bande-dessinée Amazing Grace dont le premier tome vient de paraitre, il convient avant tout de la contextualiser un minimum parce qu'elle se voit publiée dans des conditions un peu particulières. Elle est en effet le fer de lance d'une toute nouvelle collection de l'éditeur Glénat baptisée Grindhouse Stories.

Une collection entièrement dédiée aux histoires dites de genre, qui touchent ainsi plusieurs domaines spécifiques comme l'horreur, l'aventure, le policier ou encore le thriller.

 

photo Amazing graceDifficile, en temps normal, de se faire une place dans un genre aussi prolifique

 

Dans un geste similaire au cinéma d'exploitation de la grande époque, la mention "Grindhouse" constituant à ce titre un gros indice, Glénat décide donc d'investir un champ narratif populaire et très en vogue dans le comics américain (Walking Dead, The Boys, 100 Bullets et tant d'autres) et de l'implanter dans le paysage dessiné français en lui créant un espace dédié pour qu'il puisse pleinement s'exprimer et trouver naturellement sa place.

Prises indépendamment des autres, ces oeuvres n'auraient que peu de chances de tirer leur épingle du jeu, parce que plongées au milieu d'une masse concurrentielle impitoyable et en expansion constante. On ne peut donc que saluer l'initiative de Glénat de leur créer un label dédié, de les regrouper et ainsi leur donner une vraie occasion d'exister dans les rayons de nos libraires et dans nos bibliothèques.

 

photo Amazing GraceBienvenue dans le désert du réel

 

LE FUTUR N'EST PAS POUR LES ENFANTS SAGES

Mais revenons-en à Amazing Grace, d'Aurélien Ducoudray et Bruno Bessadi, dont le premier tome sort le 22 mai dans une édition couleur puis, le 5 juin, dans une édition collector en noir et blanc limitée à 999 exemplaires.

Les histoires post-apocalyptiques ne sont plus des événements isolés, elles sont aimées par le public et il devient donc très difficile d'y faire preuve d'originalité. Lorsqu'en plus en parallèle, dans le monde réel, les curseurs éthiques volent en éclat, la théorie de l'effondrement gagne en popularité et que les tensions entre les peuples gagnent de l'importance de façon exponentielle, c'est le genre tout entier qui s'en retrouve limité.

On saluera donc la décision du scénariste Aurélien Ducoudray de prendre un chemin de traverse, en mélangeant volontiers des influences a priori incompatibles. Amazing Grace raconte avant tout l'errance d'un père, John, et de sa fille de huit ans, Grace, en 2035, quelques années après qu'une apocalypse nucléaire ait ravagé les 3/4 des Etats-Unis. Par miracle, l'hiver nucléaire a épargné une bande transversale allant de New-York à la Californie et notre duo tente donc de gagner le Sud du pays pour y reconstruire un semblant de vie normale.

 

photo Amazing graceLa grosse cata

 

Jusque là, nous sommes en terrain connu et les premières références nous viennent à l'esprit : The Walking Dead bien entendu, sans les zombies, pour le côté "caravane du courage" mais surtout La Route de Cormac McCarthy, chef-d'oeuvre littéraire sur un père et son fils lancés sur les routes américaines d'un pays dévasté pour y trouver un salut qui ne peut que passer par le sang versé.

L'originalité et l'excellente idée d'Amazing Grace est d'y ajouter un élément totalement inédit qui relance complètement l'intérêt dramatique d'un postulat classique : les retombées atomiques de l'attaque nucléaire ont eu des conséquences désastreuses sur la jeune génération, celle née au moment de la catastrophe, surnommée "les enfants de la bombe".

Ils ont subi des mutations diverses et terribles qui en font les cibles principales des survivants. Une nouvelle menace, issue de l'intérieur, une mutation (ou une évolution ?) qui terrorise parce qu'elle échappe à tout contrôle et symbolise la catastrophe survenue, tout autant qu'elle constitue un rappel culpabilisant de nos propres erreurs.

 

photo amazing graceLorsque la peur pousse à l'inacceptable

 

La petite Grace est évidemment atteinte de cette altération génétique puisque son corps se recouvre de poils, que des crocs apparaissent et que sa force et sa sauvagerie n'en sont que décuplées. On le voit, tout l'enjeu, et l'intérêt, d'Amazing Grace sera moins une question de survie en territoire hostile que d'un combat incessant entre la part animale et l'humanité de la petite fille.

En en faisant le coeur de son récit, Aurélien Ducoudray apporte ainsi du sang neuf dans un genre aujourd'hui très balisé et touche le lecteur en dressant avant tout le portrait d'une famille endeuillée qui tente de se reconstruire à répétition tout en refusant de céder aux pulsions sauvages inhérentes à la situation dramatique dans laquelle elle est plongée malgré elle.

 

photo amazing graceGrace, irrésistible enfant de la bombe

 

THE RETURN TO INNOCENCE

Pour étayer son propos, Aurélien Ducoudray est épaulé par le dessinateur Bruno Bessadi. Il fait déjà figure de vétéran dans l'industrie puisqu'il a participé aux Chroniques de Sillage en 2004, puis au film Prodigy : la nuit des enfants rois en 2008 avant de signer l'adaptation BD de Boucles d'Or et les Trois Ours en 2011 pour finalement s'attaquer en 2013 à la série Bad Ass en compagnie d'Hérik Hanna.

Et son apport est capital dans Amazing Grace tant il joue sur deux styles différents et, a priori, antinomiques. Si les paysages dévastés sont légion, en descendance directe de Cormac McCarthy ou de Robert Kirkman, que les humains sont sales, violents et désespérés, Bessadi y confronte un trait tout en rondeurs dès qu'il s'agit d'illustrer la petite Grace.

Frimousse irrésistible, grands yeux innocents et animés, expressions enfantines efficaces et réalistes, il nous donne l'impression de plonger une princesse Disney en plein chaos et il faut bien reconnaitre que ce mélange inattendu fonctionne à merveille et crée immédiatement l'empathie que nous éprouvons à l'égard de ce personnage.

 

photo Amazing graceMais faut pas trop la chercher non plus quoi

 

Il est d'ailleurs extrêmement rassurant, et gratifiant, de voir que, si Amazing Grace ne dévie jamais d'un certain classicisme dans ce qu'il raconte, qu'il se plie volontiers aux figures imposées du genre, jamais il ne se limite à cela et aurait plutôt tendance à se servir de ces clichés pour nous raconter tout autre chose.

Là où The Walking Dead nous questionne sur notre humanité et la décision de la conserver ou non pour survivre, Amazing Grace nous amène sur le rapport de l'enfance à un monde de plus en plus dur et où toutes les règles sont bouleversées. Car il s'agit bien de cela, dans cette oeuvre.

L'histoire ne semble être qu'une métaphore de ce que nous vivons actuellement, avec les jeunes générations plongées en plein chaos moral, de notre point de vue, mais qui l'abordent comme une situation normale parce qu'elle est constitutive de leur personnalité et du façonnement de leur esprit intellectuel et culturel.

 

photo Amazing GraceTracer sa route ou chercher bêtement la confrontation, telle est la question

 

Symbole d'un pulsionnel exacerbé et irrésistible encouragé par son environnement, le parcours de la petite Grace émeut autant qu'il fait réfléchir, d'autant que ce premier tome ne rechigne jamais à nous confronter à de vrais drames humains et à des questionnements moraux et éthiques fondamentaux.

S'il ne dit jamais que l'innocence est la réponse à tous les maux de la terre, le récit fait par contre preuve d'une grande intelligence en ne divisant pas les différents personnages en deux camps : il n'y a ni "gentils", ni "méchants" dans Amazing Grace, mais simplement des hommes et des femmes qui tentent de survivre, à leurs peurs et à leurs traumatismes en premier lieu. Au milieu, une nouvelle génération cherche à prendre ses marques, à trouver un sens à son existence et au fossé qui la sépare de la génération précédente. Un récit on ne peut plus actuel donc, dont ce premier tome pose des pistes passionnantes tout autant qu'essentielles.

 

Amazing Grace est donc une découverte particulièrement intéressante dans un genre que l'on pensait de plus en plus sclérosé. S'il ne parlera pas forcément aux plus anciens, rompus à l'exercice et qui pourront se sentir limités dans leur lecture par les quelques clichés scénaristiques présents, il constitue cependant une excellente passerelle pour un public peu au fait de cet univers.

En tous les cas, il intéressera de fait, par les nombreux thèmes qu'il aborde, tous les lecteurs qui cherchent quelques clés et nourritures intellectuelles sur notre positionnement actuel par rapport à notre avenir et au monde que nous laisserons aux générations qui viennent.

Amazing Grace T.1 est disponible en couleurs depuis le 22 mai et sortira en version collector noir et blanc limitée à 999 exemplaires le 5 juin prochain.

 

photo Amazing Grace

 

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commentaires
JayT
22/05/2019 à 14:24

De Ducoudray surtout ne loupez pas The Grocery, une série géniale et audacieuse.

Opale
22/05/2019 à 13:53

Ah, franchement ça donne envie. Je vais tester je pense...