Gros plan sur Aposimz : le nouveau cauchemar de Tsutomu Nihei, le créateur de Blame !

Christophe Foltzer | 7 novembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 7 novembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Mangaka plutôt discret mais ô combien incontournable dans le monde de la bande-dessinée japonaise, Tsutomu Nihei nous a déjà offert plusieurs chefs-d'oeuvre : Blame ! évidemment, mais aussi Biomega et Knights of Sidonia. Alors quand son dernier effort, Aposimz, sort en France, forcément, on vous en parle.

 

photo AposimzVision d'apocalypse. (NINGYO NO KUNI © 2017 Tsutomu Nihei / Kodansha Ltd.)

 

ENFER BLANC

Si le monde du manga semble actuellement calquer ses univers sur les codes en vigueur du cinéma et du comics américain, en capitalisant à mort sur des propriétés intellectuelles bénéficiant d'une grande popularité au détriment d'une vraie créativité, il ne faudrait pourtant pas se leurrer. Des auteurs intransigeants, radicaux et sourds aux sirènes mercantiles existent toujours. Mieux encore, ils poursuivent leur oeuvre dans leur coin et ne semblent pas décidés à mettre de l'eau dans leur vin.

C'est en 1999 que Tsutomu Nihei se fait connaitre du grand public avec sa série Blame !, magnifique cauchemar urbain post-apocalyptique et acte de naissance d'un auteur incontournable bien décidé à faire sien les codes du cyberpunk. Avec Blame !, il nous présentait son univers fortement dépressif et tentaculaire, à base de mégastructures, d'architectures impossibles et suffocantes dans lesquelles ce qui restait de l'humain tentait tant bien que mal de survivre.

Publié chez Glénat entre 2000 et 2004, le manga a fait forte impression tout autant qu'il nous a présenté un auteur à part, un de ceux que nous sommes prêts à défendre bec et ongles.

 

photo BlameBlame ! Chef-d'oeuvre intemporel (BLAME DELUXE © 2015 Tsutomu Nihei / Kodansha Ltd.)

 

La sortie de son dernier opus Aposimz, one-shot de 3 volumes toujours chez Glénat, constitue donc un petit événement pour les amateurs de vraie bonne science-fiction. Et si nous retrouvons un univers post-apocalyptique encore une fois, Nihei a cependant décidé de le jouer en miroir par rapport à son oeuvre culte.

En effet, cette fois nous nous retrouvons sur l'astre artificiel Aposimz, malmené par les glaces. L'humanité a été chassée du coeur de l'astre par l'empire de Libedoa et les survivants se cachent tout comme ils essayent de survivre. Un jour, un groupe d'humains en plein entrainement, guidé par Esserow, vient au secours d'une mystérieuse jeune femme qui leur confie, avant de disparaitre, un mystérieux Code et sept projectiles étranges. Pourchassés par Libedoa, ils subissent une attaque contre leur QG, un affrontement terrible durant lequel Esserow décide de fusionner avec le Code pour espérer sauver sa vie et celles de ceux qui restent.

 

photo AposimzNINGYO NO KUNI © 2017 Tsutomu Nihei / Kodansha Ltd.

 

LE DESERT DU REEL

Ce qui frappe d'emblée, lorsque l'on découvre les premières pages du manga, c'est la densité de l'univers qui nous est proposée. Ceux qui connaissent les travaux antérieurs de Nihei ne devraient pas être surpris, et pourtant le fait qu'au bout de 20 ans de carrière, l'auteur nous offre encore et toujours de véritables récits-univers nous ravit au plus haut point.

Bien entendu, Aposimz ne dévoile pas ses secrets au premier venu mais la maestria dramaturgique de l'auteur, si typique de son oeuvre, fait encore son effet comme au premier jour : nous sommes embarqués dans un monde inconnu, qui ne nous ménagera pas, et cela se fait naturellement. A l'image de son personnage principal Esserow, nous découvrons les différentes strates d'Aposimz avec brutalité et douceur, en comprenant immédiatement que le tout sera cohérent et passionnant. Oui, le monde d'Aposimz, cauchemar blanc, symbole d'une planète endormie, nous hypnotise dès les premières cases, nous enveloppe et ne nous lâchera plus avant la fin de ce premier volume.

Tsutomu Nihei ne ménage d'ailleurs pas ses efforts pour faire exister son monde dans notre coeur. Prenant le contre-pied de Blame !, il joue la carte des grands espaces, du ciel ouvert, anxiogène au possible comme l'étaient les coursives étroites et les perspectives vertigineuses de son oeuvre matricielle. Si les détails des décors ne sont pas aussi pointilleux et obsessionnels que dans Blame !, l'effet est le même. Il semble d'ailleurs que ce soit une volonté artistique réelle de ne pas être aussi précis qu'avant, pour que le monde d'Aposimz ne soit qu'une impression. Et c'est logique quand on y pense. Là où Blame ! nous proposait une évolution fataliste de notre civilisation, Aposimz nous plonge dans un autre monde, aux contours mal définis et énigmatiques pour les terriens que nous sommes, un univers nouveau à apprivoiser et qui ne se laissera pas faire.

 

photo AposimzTitania, derniers recours d'une humanité à bout de souffle. (NINGYO NO KUNI © 2017 Tsutomu Nihei / Kodansha Ltd.)

 

MARIONNETTES D'UN DESTIN CAPRICIEUX

Si nous ne dévoilerons rien de l'histoire, puissante et marquante, parce qu'elle fonctionne par de multiples traumatismes, se révèle implacable et que nous voulons à tout prix vous garder la surprise, nous ne pouvons faire l'impasse sur la plus grande qualité du manga : sa mise en scène. Qu'il s'agisse de son découpage cinématographique, des angles choisis, audacieux et cohérents, Aposimz nous offre le meilleur de son auteur. Sa formation initiale d'architecte fait encore des merveilles puisqu'il nous concocte, une fois de plus, de superbes tableaux muets sur lesquels nous passons plusieurs secondes pour en saisir les détails.

Une volonté artistique qui ne va cependant jamais contre l'histoire que l'on cherche à nous raconter et qui s'imbrique naturellement dans le récit, fonctionnant à la fois comme respiration obligatoire dans un drame humain terriblement tragique et oppressant, tout comme elle fait fonction d'ancrage du lecteur dans cet univers inconnu dont il a tout à apprendre. Là où Blame ! travaillait les noirs, les tunnels, la verticalité et les architectures en angles improbables, donnant un sentiment de vertige existentiel assez fantastique, Aposimz fait l'inverse en jouant sur les blancs, l'espace, l'horizontalité et le désert pour au final arriver au même point : l'errance de l'humain dans un univers urbain qui ne veut pas de lui et qui cherche à l'éliminer pour continuer son existence. Vertigineux est encore une nouvelle fois le mot.

Au final, Aposimz est l'un des grands rendez-vous de cette année pour les fans de mangas et de l'auteur. Un récit impitoyable, surprenant tout autant que rafraichissant et anxiogène (oui, c'est possible), bénéficiant d'une direction artistique au cordeau. Une oeuvre-monde qui compile les grandes thématiques de Tsutomu Nihei en les amenant toujours plus loin. Le premier volume sort chez Glénat le 7 novembre et, pour nous, c'est un achat obligatoire. Rien que ça.

 

photo AposimzNINGYO NO KUNI © 2017 Tsutomu Nihei / Kodansha Ltd.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Deny
20/07/2019 à 22:49

Je suis au tome 3, un régal!

Adam
08/11/2018 à 13:20

Bonjour,
Merci pour cette article.

La description du titre me fait pensée au manga " Fire Punch "

Intriguée...

Zapan
07/11/2018 à 21:20

Merci pour l'article, je ne crois pas que j'aurai pu apprendre la sortie du nouveau Nihei là où je suis.