Batman : One Bad Day - Riddler - critique d'un Killing Joke revisité

Eden David-McCrann | 13 mai 2023
Eden David-McCrann | 13 mai 2023
 

Après son run clivant sur Batman, le scénariste Tom King (Vision, Heroes in Crisis) s'est associé à son partenaire récurrent, le dessinateur Mitch Gerads (Mister Miracle, Strange Adventures) pour créer une nouvelle aventure du Chevalier Noir, intitulée Batman : One Bad Day - Riddler. Dans ce court one-shot de 64 pages, Batman et le commissaire Gordon mènent l'enquête pour tenter de comprendre le motif d'un meurtre mystérieux commis par le Sphinx, qui n'a pourtant pas l'habitude de tuer sans raison...

 
 

Dans les pas d'un classique

Souvent considéré comme l’un des meilleurs comic books Batman de tous les tempsThe Killing Joke a notamment reçu, à sa sortie en 1988, l’Eisner Award du meilleur album et du meilleur scénariste pour Alan Moore. Suivant de près les chefs-d’œuvre The Dark Knight ReturnsWatchmen et Year One, ce roman graphique est venu confirmer un changement de paradigme dans l’industrie des comics, basculant alors dans son âge moderne.

En 2022, DC a décidé de lancer One Bad Day, une série d’anthologie inspirée par une réplique fameuse de The Killing Joke, qui reprend d'ailleurs le même format : 64 pages. Chaque numéro y est dédié à un adversaire différent de Batman et revient sur la journée terrible qui les a fait basculer dans la folie. Malgré l’angle commercial évident d’une revisite de ce classique, on est agréablement surpris par la publication d’une série si conceptuelle. En effet, à l'heure des crossovers annuels apocalyptiques et pyrotechniques, les simples études de personnage intimistes se font rares. 

Batman : One Bad Day - Riddler : photoLes personnages de la série One Bad Day

 

Et s'il y a bien un scénariste qui était capable de relever ce défi, c’était Tom King, choisi pour ouvrir cette série d‘anthologie flambant neuve. C’est grâce à des twists simples que ce scénariste revisite de façon novatrice les œuvres qu’il adapte. Ainsi, le Mister Miracle fantasque de Jack Kirby souffrait de dépression et d’idées suicidaires. Adam Strange, aventurier pulp des années 1960, symbolisait le colonialisme et l’interventionnisme étatsunien. 1st Issue Special, une série loufoque et fourre-tout conçue en 1975 pour relancer les mornes ventes de DC, est devenue Danger Street, une fresque prestigieuse.

On était donc impatients de découvrir sa version de The Killing Joke : comment allait-il déconstruire le classique qui a redéfini le personnage du Joker ? Parmi la quantité d’ennemis de Bruce Wayne, c’est du Riddler que King et son dessinateur Gerads ont décidé de traiter. Un véritable boulevard pour le duo : aucun des arcs narratifs consacrés au Sphinx n’est vraiment resté dans les mémoires (on pense éventuellement à l’ambitieux Zero Year de Snyder-Capullo, un arc pulp réussi, mais qui a toujours souffert des comparaisons à Year One).

Après leurs collaborations sur Le Shérif de Babylon, Mister Miracle, ou encore Strange Adventures, on avait hâte de découvrir leur Dreadful Reins, le titre officiel de ce One Bad Day dédié au Riddler.

Batman : One Bad Day - Riddler : photoLe redesign simple de Gerads : crâne rasé et fard sous les yeux

 

L’élève dépasse-t-il le maître ?

Malheureusement, on est finalement surpris, et même déçus, de voir à quel point King est resté fidèle à The Killing Joke. On le sent presque tétanisé à l’idée de suivre cette œuvre magistrale : il n’ose jamais la remettre en question ou la déconstruire, comme il en a l’habitude. Et c'est dommage, car il y a pourtant fort à critiquer dans cette œuvre, qui a perdu de sa modernité. Barbara Gordon, le personnage féminin principal, y est notamment réduite au statut d'objet du conflit qui se joue entre les hommes. L’agression dont elle est victime n’était finalement que le moteur de la vengeance des protagonistes. 

En effet, King reprend carrément la structure narrative du comics d’Alan Moore, composée de deux intrigues principales. On se concentre tout d’abord sur l’enquête menée par Batman dans le présent, mais on en apprend aussi plus sur l’adolescence du Riddler, au cours de plusieurs flashbacks. C’est principalement par l’usage de la couleur que Gerads différencie les deux temporalités, alternant avec brio entre les planches vertes et les planches orange.

La collision entre ces deux parties est annoncée tout au long de l’œuvre par des touches discrètes de couleur dans chaque temporalité, qui les lient et les rendent inextricables : des pulls, des vestes et des cravates olive dans le passé ; des tenues de prison, des cheveux roux et un ballon de basket dans le présent. Elles finissent enfin par se rencontrer dans une planche double grandiose et automnale.

 

Batman : One Bad Day - Riddler : photoPassé et présent se rencontrent 

 

Sensationnalisme excessif

Alors que cette double temporalité empruntée à Alan Moore est réussie, on regrette en revanche la morbidité excessive du scénario. On dirait bien que si Tom King a opté pour une surenchère de gore, c’est pour essayer de dépasser le maître. Pourtant, il ne parvient jamais à égaler le choc ressenti à la lecture du récit d'Alan Moore (qui a par ailleurs affirmé qu'il regrettait certains passages, l'agression de Barbara Gordon en tête). Si cette violence ne fonctionne pas, c’est parce qu’elle n’est jamais intégrée de façon organique au récit, et qu'elle aboutit à une fin quasi-dystopique qui frise le ridicule. 

Chaque effusion de sang détonne d’autant plus qu’elles sont commises par le Riddler, un personnage qui n’a jamais été représenté de la sorte. King tente de justifier ce passage de génie loufoque à tueur menaçant, mais les 64 pages sont trop courtes pour vraiment nous faire croire à cette transformation. On aurait aimé mieux comprendre pourquoi Nygma se défait de ses « terribles rênes » (un titre qui est aussi l’anagramme de « Riddles are fun »).  

D'ailleurs, si King avait fait preuve de plus de subtilité et de retenue, le rapport de Nygma à son père et à sa mère aurait pu être plus touchant. En effet, le scénariste explore à nouveau la thématique principale de sa bibliographie : les traumas que les parents transmettent à leurs enfants. Il parvient ainsi à tisser un parallèle tragique assez solide entre Bruce Wayne et Nygma, mais qui encore une fois, aurait gagné à être mis en avant. 

 

Batman : One Bad Day - Riddler : photoChoquant certes, mais trop facile

 

Mitch Gerads s'impose en maître

Afin de s’inscrire dans la continuité des comics cités par Dreadful Reins (The Killing Joke et Year One en tête) Gerads fait preuve de plus de mesure qu'à l'accoutumée. Ses dessins naturalistes sont toujours aussi réussis, et confirment qu’il est l’un des dessinateurs actuels les plus talentueux.  

Ici, le gaufrier en neuf case de Mister Miracle a laissé la place à une composition moins rigide, qui apporte un rythme plus lent et inquiétant au récit. Gerads s'essaye ainsi à un jeu de matières et de textures : il mêle crayonnés, encrage, peinture et ornements numériques discrets. Le résultat est ainsi très atmosphérique et mélancolique. Gerads parvient de fait à insuffler un curieux sentiment de belle tristesse au sein d'un récit poisseux et macabre.

 

Batman : One Bad Day - Riddler : photoOn retrouve ici l'expérimentation graphique de Mister Miracle

 

Citons l’idée visuelle la plus marquante de l’ouvrage : dans les cases d'introduction, dessinées à la première personne, on voit à travers les yeux d’une victime du Riddler. Les deux planches finales reprennent ce point de vue, mais nous placent cette fois-ci dans la peau du tueur.

Le lecteur se surprend alors à craindre pour la vie du criminel. Une fin réussie, mais symptomatique d’une œuvre qui ne parvient jamais à se défaire du carcan de son aîné. The Killing Joke suggérait déjà notoirement la mort du Joker aux mains du Chevalier Noir, grâce à l’utilisation brillante de simples onomatopées.  

Batman : One Bad Day - Riddler est disponible depuis le 17 mars 2023 chez Urban Comics

 

Batman : One Bad Day - Riddler : photo

Résumé

 

Dans l’ensemble, Dreadful Reins est une œuvre de très bonne facture, mais le duo King-Gerads aurait pu faire preuve de plus d’ambition. Même si Dreadful Reins est à la hauteur de ses inspirations au niveau de l'écriture, il souffre en définitive de son statut de copie. C’est une bande dessinée qui ne surprend jamais et au vu de la bibliographie de ses auteurs, c’est donc une légère déception.

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