Marvel : critique d'un Multivers réussi (enfin) avec Jessica Jones

Multiverse of Jessica Jones

Que ce soit Batman ou Spider-Man, chaque super-héros a un événement traumatique qui le définit en son for intérieur. Pour Jessica Jones, c’est d’avoir été manipulée par l’Homme Pourpre, un vilain capable de plier à ses envies la volonté de sa victime. C'est à cette emprise atroce que s'intéresse The Variants, ou plutôt aux séquelles de celle-ci des années après. Et chose incroyable, il n'y a nul besoin de connaître les précédentes aventures de l’héroïne pour apprécier celle éditée par Panini Comics. Avoir vu la première saison de la série Netflix Jessica Jones est suffisant, c'est pour dire.

D’autant que le principe du Multivers est judicieusement utilisé pour faire se rencontrer plusieurs Jessica Jones, certaines avec des traumas différents, d’autres sans. Ainsi, malgré sa centaine de planches, c'est toute la psychologie de la détective qui est traitée avec soin dans un récit introspectif aux antipodes des attentes liées à une crise interdimensionnelle. Le comics n'est ni plus ni moins que parfait pour découvrir le personnage sans avoir le sentiment d'être lâché au milieu d'une conversation entre personnes se racontant trente ans d'exploits.

Un café frappé

power-woman

Pour raconter cette histoire, le choix de Gail Simone était le meilleur possible. En effet, l'autrice est très influente dans l'industrie des comics. D'ailleurs, c'est en pointant le traitement problématique des femmes dans ce média qu'elle se fait remarquer en 1999. Dans son blog Women in refrigerators, elle a critiqué cette manie narrative de torturer, tuer ou violer la gent féminine pour permettre à un héros d'évoluer. Ainsi, qu’elle scénarise ce récit de Jessica Jones et sa douloureuse reconstruction apparaît comme une évidence. Car The Variants raconte brillamment comment une super-humaine brisée pense se protéger en contrôlant son image, voire en s'effaçant.

De fait, dès les premières pages, l’image de l’apparence est omniprésente avec cette incroyable illustration de Phil Noto où la détective bataille pour trouver le rouge à lèvres lui allant le mieux, elle qui ne se maquille pas et se vêtit de noir. D’ailleurs, que ce soit dans sa discussion avec Tigra, héroïne féline en bikini, ou une She-Hulk en justaucorps, l’enquêtrice bourrue est confrontée à des femmes puissantes en pleine possession de leurs apparences sexualisées. Sans jugement sur aucune d'elles, Jessica Jones constate surtout cette différence et essaie de la comprendre.

Pretty super-woman

dans les yeux

Logiquement, la super-héroïne n'est pas tant le sujet de ce comics que la femme en détresse qui se cache derrière. Alors que Phil Noto soit aux illustrations ne fait que renforcer cette intention. En effet, l’artiste que l'on connaît pour ses splendides couvertures peintes possède un style capable de faire ressortir l’humain en chaque justicier qu’il représente.

Sous son trait, on ne retrouve donc pas de muscles hypertrophiés ou de poses exagérées, le coup de crayon de Noto tend plutôt vers le réalisme avec des compositions simples aux dessins épurés et aux décors sobres. Évidemment, son art rentre complètement en adéquation avec ce traitement du Multivers comme machine à sonder l’âme. De plus, Noto contribue à cette plongée dans le cœur de Jones grâce à son talent tout particulier pour poser des émotions sur les visages, que ce soit dans les moues de la bouche ou les regards. Ainsi, Jones nous apparaît plus qu’attachante, humaine et surtout fragile.

Les spectateurs en revoyant Daredevil dans She-Hulk

C’est donc sans explosion ni délires colorés que Gail Simone et Phil Noto nous racontent ce combat intérieur que mène Jessica Jones. Au milieu de cette convergence de dimensions parallèles qui avait tout pour être un foutoir, les deux artistes n’en oublient jamais l’héroïne prise dans cet étau. En revanche, difficile en tant que lecteur de ne pas finir happé par la justesse de cette aventure intérieure.

The Variants : Jessica Jones Vs. Jessica Jones est disponible depuis le 26 avril 2023 en France chez Panini Comics.