Nocterra : critique qui roule dans les ténèbres

Arnold Petit | 19 janvier 2022 - MAJ : 19/01/2022 19:48
Arnold Petit | 19 janvier 2022 - MAJ : 19/01/2022 19:48

Lancé durant la pandémie grâce au financement participatif sur Kickstarter, premier titre de son label chez Image Comics (baptisé Best Jackett Press), Nocterra est la dernière création indépendante de Scott Snyder aux côtés d'un autre grand nom de l'industrie, le dessinateur Tony S. Daniel. Un comics post-apocalyptique disponible en France depuis le 19 janvier chez Delcourt, qui ressemble à beaucoup d'autres oeuvres du genre, mais qui ne raconte rien d'aussi passionnant qu'elles.

PITCH BLACK

Comme Scott Snyder le raconte dans la postface, Nocterra était un moyen pour lui de se libérer de ses cauchemars d'enfance et de sa peur primale du noir, mais c'est aussi une occasion pour le scénariste de s'éloigner de Batman et des héros de DC qui l'ont fait connaître pour revenir à l'horreur. Un genre qu'il affectionne depuis ses débuts et qu'il a exploré de différentes manières dans sa carrière, avec son passage sur Swamp Thing, The Wake, Wytches, Severed ou encore American Vampire.

Cependant, contrairement au comics vampirique emprunté à Stephen King (qui en a d'ailleurs écrit les prémisses), Nocterra est beaucoup moins inspiré ou stimulant. Après les premières pages, qui introduisent efficacement le contexte et les personnages grâce à un flashback et une scène d'action, le scénario prend rapidement une forme convenue. Scott Snyder et Tony S. Daniel ne font que reprendre ce qu'ils ont déjà fait ailleurs en se contentant du minimum, ni plus, ni moins.

 

Nocterra : photoAccrochez-vous, ça va faire mal

 

Dans le futur dystopique de Nocterra, la Terre est privée de Soleil depuis dix ans et les êtres vivants qui restent trop longtemps dans le noir se transforment en créatures monstrueuses appelées des Ombres. Dans cet univers où les ténèbres règnent, l'humanité survit grâce aux lumières artificielles et aux avant-postes, des villes de fortune abritant des survivants et des passeurs, des routiers prêts à tout pour faire circuler des gens ou de la marchandise, du moment que ça rapporte.

L'histoire suit l'un d'entre eux, Val Riggs, qui parcourt la surface à bord de son poids lourd bardé de lampes et de gadgets. Afin de sauver son frère adoptif Emory, atteint par la "Gangrène Noire", elle accepte de transporter une petite fille et son grand-père, un homme qui prétend pouvoir sauver l'adolescent en les guidant jusqu'à un sanctuaire, mais aussi être celui qui a "éteint la lumière".

 

Nocterra : photoLes derniers refuges d'humanité

 

LA ROUTE

Présenté comme un "Salaire de la Peur version post-apocalyptique", Nocterra tient plus du Mad Max : Fury Road horrifique, ou plus exactement d'un Dying Light sur route avec des monstres à la place des zombies. Le comics semble puiser dans tout un tas d'autres oeuvres du genre pour se forger une identité (y compris celles qu'a écrites Snyder) et le scénario et l'esthétique évoquent sensiblement le jeu vidéo, avec des étapes à franchir, des armes à fabriquer, des confrontations face à différents monstres sur le chemin de la mission et des checkpoints pour se réapprovisionner en nourriture et en munitions.

 

Nocterra : photoSauvegarde en cours, veuillez patienter...

 

Comme une cinématique, chaque chapitre commence par un bond dans le passé destiné à révéler les premiers jours de la catastrophe et étoffer la relation entre Val et son frère Emory, mais ces flashbacks viennent surtout casser le rythme et surcharger un récit déjà dense et inutilement complexe. Sans surprise, le personnage principal est une jeune femme badass avec un gentil frère qu'elle veut sauver, et c'est à peu près tout ce qui est répété pendant plusieurs pages.

Son traumatisme d'enfance, les aptitudes qu'elle a développées ou sa relation avec Emory et les autres passagers du convoi ne sont que partiellement explorés dans un scénario qui préfère déballer des concepts simplistes et enchaîner les moments de bravoure en comptant sur Tony S. Daniel pour les illustrer. Malheureusement, lui aussi semble avoir abandonné l'envie de proposer quelque chose d'original.

 

Nocterra : photoTutoriel de combat

 

Avec son trait typique des années 90, fait de poses forcées, de courbes parfaites et de contours épurés, le style du dessinateur est tiède et aseptisé, en adéquation avec le reste : effectif et divertissant lors des scènes d'action, mais pas assez audacieux pour totalement captiver ou basculer dans l'horreur.

Même si la violence est graphique lorsqu'il le faut, les monstres ne sont que des formes obscures sur lesquelles tirer et l'atmosphère oscille entre survivalisme et légèreté, comme si le dessinateur ne savait pas comment l'aborder et faisait preuve de retenue au lieu de pleinement s'approprier et exploiter l'univers qu'il crée sur sa planche.

 

Nocterra : photoRègle n°32 : savoir apprécier les petites choses

 

Quand ils ne sont pas lisses, les visages sont inexpressifs ou quelconques, comme les costumes et les décors, et la plupart des planches reposent essentiellement sur le travail de Tomeu Morey autour des couleurs et de la lumière. Des teintes de rouge, de bleu ou d'orange qui viennent habiller les arrière-plans et souligner l'importance de la lumière au sein du récit.

De nombreux éléments graphiques rappellent Spawn ou Batman : Death Metal (en moins délirant) et il aurait peut-être été plus judicieux pour Scott Snyder de s'associer à son vieil ami Greg Capullo, ne serait-ce que pour apporter un aspect plus dynamique et organique aux dessins.

 

Nocterra : photoTirer, recharger, recommencer

 

LIGHTS OUT

Pourtant, au détour d'un dialogue ou d'une case, Scott Snyder est parfois capable d'apporter un peu de profondeur, en dressant un parallèle avec la pandémie de Covid quand la population découvre l'infection ou avec une analogie entre les passeurs et les marins, la conduite étant désormais une sorte de navigation à travers des vagues de ténèbres.

Des idées qu'il délaisse pour user des mêmes ressorts narratifs que dans les comics de super-héros, avec un sombre antagoniste (littéralement) et un affrontement symbolique entre le bien et le mal. Et alors qu'elle servait d'abord à exprimer les pensées et les souvenirs de Val, la narration s'étale dans d'interminables monologues d'exposition et finit même par directement s'adresser au lecteur, comme si Scott Snyder implorait son attention, son assentiment et essayait désespérément de l'impliquer.

 

Nocterra : photoLe Rider Qui Rit

 

En revanche, la mythologie que les deux auteurs déploient au fil des pages possède une étonnante richesse, entre religion et physique quantique, et la conclusion de ce premier volume confirme bien qu'il n'est que l'introduction d'une histoire qui va dans plusieurs directions et nulle part à la fois. Delcourt a déjà annoncé que la publication sera divisée en trois tomes, en espérant seulement qu'ils soient plus exaltants que celui-ci et que Scott Snyder et Tony S. Daniel trouvent un chemin dans l'obscurité.

 

Nocterra : photo

Résumé

Aussi distrayant que décevant, Nocterra s'oublie presque aussi rapidement qu'il se lit. Un comics qui pourrait plaire à ceux ayant une affinité pour l'écriture de Scott Snyder et les dessins de Tony S. Daniel, mais qui risque de décevoir ceux à la recherche d'un frisson, d'une émotion ou d'un tout petit peu d'originalité.

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commentaires
Numberz
19/01/2022 à 21:35

Scott Snyder a encore frappé. Sérieux, a part le cycle de la cour des hiboux, je trouve ce mec sans talent

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