Doomsday Clock : que vaut la suite de Watchmen autour de Superman et du Dr Manhattan ?

Arnold Petit | 24 octobre 2020 - MAJ : 28/09/2021 01:22
Arnold Petit | 24 octobre 2020 - MAJ : 28/09/2021 01:22

Annoncé il y a presque trois ans, Doomsday Clock aura connu un développement chaotique aux États-Unis, avec de sempiternels retards qui ont mis à mal la publication mensuelle prévue à la base jusqu'au dernier numéro. Le comics de Geoff Johns et Gary Frank est (enfin) disponible en France depuis le 23 octobre chez Urban Comics, mais est-ce que cette suite de Watchmen dans l'univers de DC méritait de se faire autant désirer ?

LIFE ON MARS ?

En 2016, DC réalise son traditionnel nettoyage de printemps et décide de mettre fin à l'ère des New 52 (ou Renaissance en France), lancée quatre ans auparavant avec Flashpoint, pour relancer tous ses titres. DC Univers Rebirth, un one-shot de Geoff Johns et Gary Frank, marquait alors le début d'une nouvelle continuité, directement liée à l’univers de Watchmen, en partant du principe que le Dr Manhanttan serait parti dans l’univers de DC et aurait causé tous les changements apparus durant la période New 52, comme la disparition de différents personnages, de leur héritage ou de certaines relations entre des héros.

Alors que les dernières pages montraient un paysage martien avec une montre disloquée et reprenaient les derniers mots de l’œuvre d'Alan Moore et de Dave Gibbons avec la fameuse réplique « Rien ne finit Adrian. Rien ne finit jamais », Batman découvrait le badge ensanglanté du Comédien au fond de la Batcave (puis menait ensuite son enquête avec Flash dans DC Univers Rebirth : Le Badge).

 

photo« … We're being watched »

 

Geoff Johns annonçait ensuite l’arrivée de Doomsday Clock, une série en 12 numéros qui répondrait à toutes les questions restées en suspens depuis DC Univers Rebirth et amènerait les personnages de Watchmen à rencontrer Batman, Wonder Woman et compagnie, avec une confrontation entre Superman et le Dr Manhattan déjà pressentie. Le premier numéro est publié en novembre 2017, sauf que les retards de publication se succèdent et le dernier numéro ne sort finalement que deux ans plus tard, en décembre 2019, anéantissant au passage toutes les répercussions qu’aurait dû avoir le récit sur la continuité de DC.

Attendu de pied ferme par chez nous après tout ce temps, Doomsday Clock est enfin là. Étant donné qu'il raconte ce qu'il se passe après la fin de Watchmen, le comics de Geoff Johns et Gary Frank souffre forcément de la comparaison avec le chef-d'œuvre d'Alan Moore et Dave Gibbons, mais aussi avec la série Watchmen de HBO, une autre version de la suite de Watchmen, dont le dernier épisode est sorti quasiment au même moment que le dernier numéro. Mais derrière les apparences, Doomsday Clock est plus qu’une simple suite de Watchmen.

 

photoNever compromise

 

NOTHING EVER ENDS

Doomsday Clock se déroule en 1992, sept ans après les événements de Watchmen et la catastrophe causée par la créature qu’Adrien Veidt a conçue et lâchée sur New York pour amener la paix et la prospérité en poussant les nations à mettre fin à la Guerre froide et à s’unir contre une même menace.

Depuis, le monde a découvert la vérité et mène une chasse à l'homme contre Ozymandias, qui se cache dans sa base au beau milieu de l’Antarctique. Les États-Unis et la Russie sont sur le point de s’engager dans une guerre nucléaire apocalyptique, mais il croit toujours pouvoir instaurer une paix durable et décide de partir à la recherche du seul être capable d’éviter que son monde se consume : le Dr Manhattan. Accompagné du nouveau Rorschach ainsi que du Mime et la Marionnette, un couple de criminels aussi cinglés que dangereux, il se rend donc dans l’univers de DC, qui est lui aussi sur le point d’être plongé dans le chaos.

 

photoQuand le hibou rencontre la chauve-souris

 

C’est dans ce contexte uchronique aussi funeste que celui des premières pages de Watchmen que démarre Doomsday Clock, avec une histoire à laquelle Geoff Johns donne immédiatement une portée géopolitique et tente de dresser un portrait de la société moderne. Au lieu de la Guerre froide, le scénariste utilise la « théorie des surhommes » pour exacerber les tensions entre les États-Unis et la Russie. Une théorie complotiste relayée par les journaux qui voudrait que le gouvernement américain ait secrètement créé des super-héros après l’apparition de Superman et pousse la Russie à se lancer elle aussi dans la création de ses propres super-héros.

Alors que dans notre monde, l’horloge de l’Apocalypse n’a jamais été aussi proche de minuit, la réflexion reste pertinente, mais manque de profondeur et de subtilité, comme à peu près tout le reste. Après un début poussif, mais encourageant, le scénario devient vite confus, multiplie à foison les références à Watchmen et passe son temps à mettre au point des sous-intrigues qui n'auront finalement que peu ou pas d'impact sur un récit qui ne dévie pas de son objectif.

 

photoGet the party started

 

Même s'il est toujours excitant de voir Batman faire face à Rorschach ou Lex Luthor rencontrer Ozymandias, la plupart des personnages sont développés de manière superflue ou ne sont présents que pour servir les intérêts d’une intrigue qui ne prend jamais le temps de se poser et s’intéresser à eux. Certains, comme le Joker ou le Comédien, n’apportent même absolument rien au récit, hormis une dose encore plus généreuse de fan-service, tandis que d’autres, en revanche, comme le nouveau Rorschach ou la Marionette et le Mime, sont des personnages intéressants, qui auraient mérité un traitement plus approfondi pour pouvoir pleinement les apprécier.

Malheureusement, tous sont rapidement éclipsés afin que l'histoire se concentre sur Superman et le Dr Manhattan, sur lesquels repose l’existence même de Doomsday Clock.

 

photoDouble Face

 

Sans arriver à la hauteur et au niveau de minutie de Dave Gibbons en termes de composition et de narration, Gary Frank réalise une prouesse remarquable en s’appropriant les personnages et le style de Watchmen, tout en y apportant de l'originalité et de la fraîcheur avec sa patte graphique.

En plus du découpage des planches en gaufrier de 9 cases et de l'atmosphère sombre et lugubre, le dessinateur reprend aussi certaines cases du roman graphique original, des couvertures emblématiques de DC et termine également ses numéros avec des documents qui viennent étayer le récit. Avec ses superbes illustrations, dont les couleurs de Brad Anderson viennent ajouter de la noirceur et du réalisme, l’artiste élève le scénario bancal de Geoff Johns et contribue un peu plus à faire de Doomsday Clock une imitation de Watchmen, aussi bien narrativement que visuellement.

 

photoPut on a happy face

 

Hope for the Hopeless

Geoff Johns parvient quand même à se rattraper avec la fin de son récit, auquel il donne une dimension meta surprenante lors de la fameuse rencontre entre Superman et le Dr Manhattan, qui prend conscience qu’il est devenu le super-vilain de l’histoire malgré lui.

Le scénariste s'intéresse alors à la dichotomie entre les deux personnages : un alien arrivé sur Terre qui est devenu omnipotent et a choisi de dévouer sa vie à l'humanité et un être humain ayant acquis des pouvoirs dignes d’un dieu qui s'est totalement désintéressé de l'espèce humaine, au point de se réfugier sur Mars, puis de mener des expériences sur l’univers de DC, sans se soucier des existences qu’il bouleverse et des souvenirs qu’il efface.

 

photoL'Effaceur

 

Doomsday Clock émet alors l’idée que Superman serait une constante dans l'univers de DC et que l’espoir qu’il incarne a influencé, influence et influencera des générations de super-héros, quelle que soit la continuité ou les origines qui lui sont attribuées. Une pierre angulaire sur laquelle repose l’immense édifice bâti depuis le 18 avril 1938 et ce moment où un super-héros habillé d’un costume bleu et d’une cape rouge a soulevé une voiture au-dessus de sa tête, révélant ainsi son existence aux habitants de Metrolopis et du reste du monde.

Ce dénouement cohésif relie non seulement l'univers de Watchmen à celui de DC, mais aussi toutes les précédentes crises qui ont eu lieu au sein de la continuité et rappelle d'une certaine façon le moment où Jon se rend compte que Laurie Juspeczyk est le résultat de ce qu’il considère être un miracle thermodynamique. Une conclusion sous forme d’hommage à Watchmen, mais surtout de déclaration d’amour pour Superman et ce qu'il représente dans l'histoire de DC.

 

photoMaster of Puppets

 

Le scénario voudrait nous faire croire que tout avait été prévu depuis le début par Ozymandias, mais enchaîne surtout les facilités pour permettre à l’intrigue tentaculaire et alambiquée de se dérouler sans encombre. Cependant, malgré une narration verbeuse et complexe, l’histoire reste captivante de bout en bout et parvient à exploiter toute la richesse des univers de Watchmen et DC pour offrir des moments marquants, des scènes d'actions impressionnantes et des rencontres qui débordent de fan-service, mais surtout former une antithèse de Watchmen.

Alors que le récit d'Alan Moore et Dave Gibbons était profondément cynique, nihiliste et remettait en cause la figure des super-héros, en montrant qu'ils seraient incapables de résoudre les problèmes sociaux et politiques du monde réel, Doomsday Clock vient au contraire soutenir qu'ils sont là pour incarner l'espoir, le rêve, l'imaginaire et permettre aux lecteurs de se confronter à la réalité, mais aussi (et surtout) de s'en évader.

 

photo

Résumé

Malgré ses défauts d'écriture et son manque de profondeur, Doomsday Clock est une suite satisfaisante et efficace, qui ne se contente pas seulement de recopier les codes de Watchmen et d'apporter des réponses sur la continuité de DC, mais agit comme un miroir tendu à l'oeuvre d'Alan Moore et Dave Gibbons pour délivrer un scénario efficace et inspirant, avec de superbes dessins de Gary Frank.

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commentaires
Flo
23/03/2021 à 15:22

Et l’on voit alors que le but de Geoff Johns était le plus clair et « carré » possible…
SPOILERS !
Tout est limpide dans son récit, qu’on peut suivre sur deux axes : au premier degré, l’un qui invente de nouveaux vilains amusants et exploite des idées de complots et d’enquêtes (typiquement « DC »), dont la principale a été teasée de longue date – même si l’arc sur les métahumains américains méritaient une histoire à part.
Ainsi qu’une sorte de nouvelle théorie permettant de mieux cartographier la chronologie mouvante des publications DC, sous un angle assez cohérent…

L’autre qui pousse le concept (auto-contenu) de Watchmen au delà du récit d’origine: Contrairement aux Before Watchmen, qui n’étaient surtout que des exercices de dessins et de narration mais sans apporter autres chose que de l’explicite, là tout prend sens en étendant cette histoire plus loin… Ce qui amène celle-ci à forcément annihiler la boucle pragmatique et assez cynique qui concluait le tout.
En somme, si on continue cette histoire, alors le plan d’Ozymandias ne peut que s’écrouler, et le détachement de Manhattan aussi, qui ne pourra ainsi s’empêcher de passer vraiment à l’action, de manière concrète, au lieu de laisser les choses se faire…
Ce qui vient modifier aussi l’utilisation de Superman et Batman dans un récit, lesquels devront ici cesser de tenter d’agir car toutes leurs tentatives échouent… Pour devenir à la place ce qu’ils représentent dans notre monde réel (qui ressemble plus à celui de Watchmen): des Inspirations, des modèles métaphoriques qui conseillent sur la bonne marche à suivre ceux qui ont les seuls pouvoirs utilisables.
On n’est aussi pas très loin de la méthode de la série tv Watchmen, qui étendait aussi la réflexion vers des pistes plus fouillées et modernes.

Tout ça avec une partie graphique qui ne fait pas que réutiliser toutes les idées originelles de Watchmen (gaufrier, gros plans, images récurrentes sur des cases proches ou éloignées, références populaires, citations, « documentaires bonus » etc)…
Elle en retourne aussi le sens, d’un Veidt qui n’est plus un sosie de Ryan O’Neal mais de… Tom Cruise !?… À la véritable teneur de la couleur rouge se déversant sur l’horloge qui ferme chaque chapitre de la série…
Et bien d’autres encore.

Certes, il y a sûrement eu des changements apportés au fur et à mesure, nourries des divers réflexions récentes dans la Pop Culture…
Sans compter que les comics DC de ces dernières années ont une utilisation problématique de la synergie, puisqu’au final chaques auteur écrit son histoire dans sa propre temporalité… Laquelle n’a aucune cohérence avec celle des autres – par exemple, dans les autres comics il y a eu le signe de la Fatalité dans le ciel, censé être simultané dans tous les numéros du même mois… mais qui au final ne peut pas l’être quand des personnages sont censés le voir à la fois dans leur série solo Et dans celle de la Ligue de Justice.
Pareil, ici Doomsday Clock (supposé se passer dans un futur proche) « annule » certaines morts et changements récents, puis imposent à sa manière les siens, publiquement connus chez l’auteur (JSA – Superman – Légion !!!), en attendant que tout finisse par mieux s’aligner sur le même tempo.

On peut toutefois l’apprécier pour le fait qu’il s’agisse surtout d’un récit plutôt direct, avec des personnages qui savent ce qu’ils disent et qui le font…
Récit qui voudrait bien lutter contre l’abus de tergiversations…

Jean Neige
16/11/2020 à 13:01

mais "il" (???) croit toujours pouvoir instaurer une paix..

Accompagné du nouveau Rorschach ainsi que du Mime et la Marionnette, un couple de criminels aussi cinglés que dangereux, "il" (???) se rend donc dans l’univers de DC..

De qui on parle là ?

Rorov94
24/10/2020 à 22:12

Pas mieux.


24/10/2020 à 21:14

@kyle

N'hésite pas un jour où on se croise sur d'autres articles pour me dire ce que tu as pensé de Flashpoint. Moi j'adore mais bcp détestent. C'est ce qui a été fait après que je n'ai pas aimé avec les new52.

Green arrow
24/10/2020 à 20:53

Pour moi, ce sera toujours très difficile de faire aussi bien qu'Allan Moore et Dave Gibbons. Mais bon, le duo Geoff Johns et Gary Frank ne se refuse pas. A la limite, ne lisez les critiques des rédacteurs qu'après avoir lu le comics books, car ils ne peuvent décidément pas s'empêcher de spoiler.

RobinDesBois
24/10/2020 à 20:46

Très bonne critique. Nuancée, mitigée et pourtant ça me tente à mort alors qu’avant de la lire je ne voyais aucun intérêt à une suite de Watchmen et encore moins à un cross over DC. Je vais me laisser tenté.

Kyle Reese
24/10/2020 à 18:04

@Leprisonnier

Merci pour toutes tes précisions.
C'est vrai qu' aujourd'hui je me limite aux grandes œuvres de Batman (dernier en date la superbe Cour des hiboux). Mais comme là il y a une réunion fantastique avec les Watchmen je ne saurai laisser passer ça. Du coup je vais suivre tes indications. ;)
Quelques achats en perspective avant le prochain événement DC qui m'intéresse: le JL Snyder's Cut.

@Arnold Petit

Merci pour l'info à vous aussi.

Arnold Petit - Rédaction
24/10/2020 à 16:54

@Kyle Reese

En plus de DC Univers Rebirth et DC Univers Rebirth : le Badge, des indices autour de la présence du Dr Manhattan dans l'univers de DC ont été disséminés dans d'autres titres comme Titans ou Superman Reborn, mais il n'est pas nécessaire de les avoir lu pour comprendre et apprécier Doomsday Clock.


24/10/2020 à 16:19

C'était en réponse à Kyle


24/10/2020 à 16:19

Je suis fan de l'univers dc et n'ayant pas aimé renaissance, j'ai rien lu depuis. Du coup, quand j'ai vu qu'il retournait à une pseudo ancienne continuité, je me suis pris le gros one shot dc universe. Il est très bon. Histoire courte mais chouette. Après, si tu n'es pas réellement coutumier de dc et que tu veux lire doomsday, les parties nécessaires du one shot sont celui de Batman, superman et flash. Le reste osef un peu. Et oui, le badge est nécessaire. En plus plutôt pas mal, les deux enquêteurs que sont Barry et Bruce font plaisir à lire. Pareil que toi, je vais m'acheter doomsday clock.

Oooh et si tu peux lire avant tout ça Flashpoint.

Du coup : Flashpoint > (quelques petites recherches sur l'univers new52 sur le net mais pas d'achats particuliers) >DC rebirth one shot (batman-superman-flash) >le badge>doomsday clock

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