Test A Plague Tale : Requiem – une absolue réussite pour le jeu français

Léo Martin | 18 octobre 2022 - MAJ : 13/02/2023 15:48
Léo Martin | 18 octobre 2022 - MAJ : 13/02/2023 15:48

En 2019, les studios Asobo ont jeté un pavé dans la mare – et d'une audacieuse façon – avec A Plague Tale : Innocence, sublime plongeon vidéoludique en plein Moyen Âge bordelais. Sans être issue d'une franchise bien connue, ce brave petit jeu (à l'âme d'un grand) a étonamment connu un gros succès bien mérité. Une occasion pour Asobo de revenir trois ans plus tard avec la suite : A Plague Tale : Requiem.

fin de l’innocence

Dans l’industrie du jeu vidéo, les miracles sont rares et on les recense avec soin. En 2017, les français d’Asobo Studio – jusque là connu, entre autres, pour le jeu Ratatouille (ironique) ou Monopoly Plus – décident de se lancer, en partenariat avec Focus Home Interactive, dans un mystérieux jeu d’aventure sur fond de peste noire et de guerre de Cent Ans. Une entreprise hasardeuse qui aurait pu être dévastatrice pour la compagnie si elle avait rencontré l’échec. Toutefois, grâce à la passion et la foi qui a été placée dans Plague Tale : Innocence (et un bon bouche-à-oreille), le jeu a connu un réjouissant triomphe. Cela aurait très bien pu s’arrêter là, mais Asobo en a décidé autrement.

Après plusieurs mois d’attentes et d’appréhensions, A Plague Tale : Requiem débarque sur le Game Pass et prend la succession de son prédécesseur prodige. Avec les mêmes protagonistes et une reprise de l’histoire là où elle s’était arrêtée, cette suite devait réussir à surprendre encore sans trahir l'esprit de l'original. On est bien heureux d'écrire que c’est un pari relevé avec brio.

 

A Plague Tale : Requiem : photoTant pis pour le Sud, c’était pourtant bien 

 

Pour respecter le souhait des développeurs du jeu, on évitera de révéler des points clés de l’intrigue ou d’en expliciter le déroulement. Rappelons toutefois qu’à la fin de A Plague Tale : Innocence, Amicia de Rune recherchait encore un remède à la Macula, l’étrange maladie de son frère Hugo à l’origine du fléau des rats envahissant le Royaume de France. Toujours en proie à différentes menaces et en quête de réponses, le duo se dirige cette fois vers le sud du pays. L’occasion pour Asobo de nous faire profiter de magnifiques décors, largement inspirés des paysages de Provence.

A Plague Tale : Requiem s’inscrit comme le prolongement parfait de son aîné, reprenant tout ce qui en avait fait les forces et le charme. Disposant de personnages principaux déjà bien développés et attachants (et en particulier son héroïne), le jeu aurait tout aussi bien pu se reposer sur ses lauriers sans chercher la réinvention. Pourtant, ce n’est pas ici l’ambition qui manque. Bien conscient de la valeur de sa mythologie, Asobo nous propose non seulement un deuxième volet fidèle aux qualités du premier, mais en exacerbe absolument le potentiel.

Nos personnages progressent ainsi à travers les différents décors du jeu par des phases d’exploration alternant avec des phases d’infiltration (et parfois parsemées de quelques énigmes). Un gameplay assez classique qui se ponctue souvent de lancers de cailloux pour distraire des gardes. Toutefois, ici, simplicité rime aisément avec efficacité. D’autant plus quand la moindre évolution dans les mécaniques du jeu impacte intelligemment l’écriture de ses personnages. Plus libre, plus brutale, Amicia se découvre des talents à l'arbalète, au corps à corps, et donc plus d'options pour progresser dans les niveaux. A mesure que le temps passe, notre héroïne adhère doucement à la violence de son monde.

 

A Plague Tale : Requiem : photoIl suffit d’une mauvaise journée

 

quand la nuit rencontre le jour

Comme d’autres œuvres absolument brillantes du genre vidéoludique, le gameplay est ancré dans la narration et nous implique de façon naturelle à la réalité de son monde. A la manière d’un Dishonored ou d’un Red Dead Redemption, agir brutalement dans le jeu nous met en phase avec la cruauté de son histoire et l’effondrement moral de ses personnages. Si une telle thématique était introduite dans Innocence – avec l’utilisation des rats à l’avantage du joueur et le sens même de la peste pour l’humanité –, ici tout éclate dans le but de confronter le joueur à une horreur tangible et extrapolée par son environnement médiéval.

Tout part de l’idée géniale de tirer parti d’une mythologie rarement exploitée. Utilisant le patrimoine d’un Moyen Âge français sous-estimé, Asobo parvient à y investir tout l’ésotérisme et le fantastique nécessaire pour développer le cadre idéal à son scénario. Plus que jamais avec ce jeu, A Plague Tale devient aussi un conte apocalyptique (la peste noire ayant en son temps évoquée la fin du monde). Tous les éléments sont à portée de main et – après la guerre, l’inquisition, les rats – le mysticisme et la disharmonie sont mis à l’œuvre pour mettre à l’épreuve nos héros, mais aussi le sens commun des joueurs. 

 

A Plague Tale : Requiem : photoL’Antre de l’effroi

 

Pour notre plus grand bonheur, le jeu exploite à fond son potentiel horrifique. Puisqu’il se frotte cette fois au cultisme et à la folk horror, A Plague Tale : Requiem se permet de citer ses classiques du cinéma de genre. Bien conscient que ses nuits appartiennent au rat et à une angoisse surnaturelle moins subtile et plus puissante, A Plague Tale instille dans ses journées ensoleillées et pastorales un mal plus insidieux. Reprenant du Midsommar et même plus frontalement The Wicker Man (vous pourrez vous amuser à chercher les références directes), le jeu trouve un équilibre remarquable entre ses diverses inspirations et tonalités. 

Puisque le jeu ne se disperse pas et ne compte que sur sa trame principale, il bénéficie d’une narration toujours très condensée. Chaque péripétie entraîne organiquement le scénario d’un tableau à un autre, toujours chapitrés, et ne laissant jamais des tâches subsidiaires alourdir son rythme. Au contraire, Asobo se permet de nous proposer un semi-open world lors de certaines séquences clés de sa progression, pour aérer son action haletante et augmenter sa nature contemplative.

Loin d’être un gadget opportuniste, ces pauses d’exploration deviennent de parfaits calmes avant la tempête. L’occasion de mettre les multiples décors du jeu – et l'excellente bande-originale d'Olivier Derivière – au service de son histoire. Entre le soleil écrasant du Colorado provençal, les villages rongés par la maladie et la misère, et les paradis perdus arpentés par des marées de rats, tout contribue à la construction d’un monde aux frontières du réel. Une immersion absolument indispensable pour que A Plague Tale : Requiem puisse réussir à nous entraîner doucement dans sa fascinante descente aux enfers.

 

A Plague Tale : Requiem : photoIl faut le voir pour y croire

 

le temps de la rage

Elle est bien loin cette Amicia qui après son premier meurtre à la fronde perdait tous ses moyens et devait continuer sa route pour protéger les siens. A Plague Tale : Requiem est impitoyable, et s’il laisse planer l’humanité des personnages, la tendresse et les liens fraternels, c’est pour mieux en faire surgir l’incommensurable fureur qui réside dans le cœur de son héroïne. C’est peut-être le plus grand exploit du jeu : l’écriture du personnage principal, Amicia de Rune (laissant même sur le côté tous les autres personnages). C’est sa transformation qui sert de squelette au jeu, plus encore que celle de son frère, qui était davantage au premier plan dans l'ancien volet.

Grâce aux capacités d'Hugo, Amicia fait de plus en plus corps avec le monde nocturne, celui des rats et de la peste surnaturelle face à un autre fléau, plus humain. Même si elle est elle-même menacée par les marées de rongeurs terrifiants et qu’elle doit se raccrocher aux flammes pour s’en protéger, ceux-ci deviennent très vite une force neutre (mortelle toujours, certes) face à un adversaire encore plus colossal qui plongera notre protagoniste vers l’implosion. Une cathartique évolution dans lequel le joueur pourra facilement lui aussi se perdre et en ressentir tout l'enjeu. Le symbolisme est aussi très fort, le fronde d'Amicia étant à la fois sa force et la fragile tension qui fait tenir sa vie au bout d'une pierre jetée. 

 

A Plague Tale : Requiem : photoPas de pitié pour les braves 

 

Le reste du casting n’est pas en reste. Que ce soit les alliés ou les antagonistes (certains sont les deux à la fois), et en particulier les nouveaux venus, tous baignent dans une salvatrice ambiguïté. Le mal n’est jamais injustifié, mais toujours injustifiable et chaque coup donné reçoit une réponse plus forte encore. C’est grisant d’être pourvu de plus en plus d’armes et de moyens tout au long du jeu, pour se livrer soi-même au bal de la fureur et progressivement passer du lapin en fuite au prédateur rusé. Mais cela ne vient pas sans coût et correspond à toute la stratégie narrative du jeu ainsi qu'à son tragique développement. 

A Plague Tale : Requiem n’est ainsi pas que le deuxième chapitre d’un très bon jeu. Il en est l’accomplissement et une montée en puissance virtuose. Dialoguant toujours avec habileté entre beauté et horreur, douceur et cruauté, mythologie et réalisme, le jeu devient souvent une œuvre lyrique, à la bordure de la merveille.

A Plague Tale : Requiem est disponible depuis le 18 octobre 2022 sur PS5, PC, Xbox Series X/S, et via le Xbox Game Pass. Il sera prochainement disponible sur Nintendo Switch via le Cloud.

 

A Plague Tale : Requiem : Affiche 

Résumé

Successeur génial d'un jeu déjà hors du commun, A Plague Tale : Requiem n'a pas les yeux plus gros que le ventre et ne tente pas d'accomplir l'impossible. Il est au contraire toujours lucide sur ses limites, se confinant à une narration linéaire (à quelques exceptions près) et offre en conséquence un spectacle jusqu'au-boutiste d'une intensité folle, d'une écriture brillante et d'une noirceur implacable. 

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Lecteurs

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commentaires
N82
30/10/2022 à 12:22

A Plague tale requiem est un excellent jeu AAA , oui AAA , certe, pas parfait mais pour une petite équipe ,ils ont fait un excellent travail qui aurait pu dépasser largement The last us, si ils avaient le même budget . Des graphismes toujours très détaillés, très soignés et surtout un scénario très très solide avec une ambiance très entraînante sur un home cinéma en 5.1 . De ce qui est du game play, il est suptillement bien dosé pour resté cohérent entre infiltration et action sans devenir un call of duty , qui n'aurait aucun sens ici . On sent un jeu fait avec passion, ce qui manque beaucoup dans le jeu vidéo , même dans des AAA . Pour ceux qui disent que ce jeu est nul , je leur demande d'arrêter d'être méchant gratuitement et injustement. Un grand bravo à l'équipe Asobo en leur souhaitant de garder le côté passionné pour le 3 ;) un plaisir de jeu que je n'avais pas retrouvé depuis Shenmue 1 et 2 sur Dreamcast en 1999. Ma note serait de 20/20 tellement j'ai aimé le jeu , mais objectivement un 19/20 pour les quelques manques d'expression faciales qui aurait pu être plus prononcé pour être encore plus émouvant. Encore bravo Asobo, restez une équipe passionné et merci pour ces heures de jeu passé.

Jackysunday
29/10/2022 à 23:06

Le framerate dans les choux par contre.
Et comme dans le premier opus, l'impression de diriger un tank.

moam
24/10/2022 à 23:01

pourquoi avoir besoin d'une console quand ta un PC polyvalent

Dododu92
24/10/2022 à 03:25

J'ai trouvé le jeu daté et au contraire il a eu les yeux plus gros que le ventre.
Il ne fait pas le poids face aux ténors du genre et ça se voit.

Simon Riaux
19/10/2022 à 10:15

@pierreM16

Votre petite fixette a beau me toucher, je crains qu'elle ne témoigne plus de votre méconnaissance du sujet que d'une quelconque influence de ma part.

Geoffrey Crété - Rédaction
19/10/2022 à 10:05

@pierreM16

Elle n'a pas disparu : elle n'a simplement jamais été là. Une critique, c'est par définition un point de vue, une opinion. Le contraire de l'objectivité, qui est un total leurre qu'on ne comprend absolument pas. Pourquoi et comment chercher une Vérité sur une oeuvre ? Pourquoi vouloir déterminer qui aurait raison ou tort ?
Ca a toujours été ainsi, sur Ecran Large. Et dans la critique en général. On n'a jamais prétendu le contraire d'ailleurs, on en parle régulièrement depuis des années.

pierreM16
19/10/2022 à 08:18

Je me demande si l'objectivité dans les critiques n a pas totalement disparu sur écran large. Une sorte de riaulisation ou riolosation journalistique.

Domo
18/10/2022 à 21:11

Attention tout de même à l'engouement de la presse. J'avais adoré le premier et je suis pour l'instant plutôt abasourdi parce que je vois dans le 2. J'en suis à 30%, mis je trouve tout TOO MUCH. Comme une suite qui a pris trop la confiance. Le premier avait des défauts mais beaucoup de charme. Le 2 a des gros sabots et une écriture qui me paraît assez catastrophique pour le moment...

Sans parler de cette optimisation complètement foireuse sur PS5 (qui sera sûrement patchée).

Neji.
18/10/2022 à 16:59

Que tout ça m'a l'air très sympa enfin de bonne raison de dépenser 5 à 700 balles dans une nouvelle console, il était temps.

motordu
18/10/2022 à 16:09

J'adorerais lire un test de "Gerda - A flame in winter" !

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