Test Silt : entre Limbo et Abyss, un jeu aussi beau que creux

JL Techer | 27 juin 2022 - MAJ : 27/06/2022 15:52
JL Techer | 27 juin 2022 - MAJ : 27/06/2022 15:52

En seulement deux titres, Limbo et Inside, le studio danois Playdead a marqué au fer rouge la scène indé du jeu vidéo. Succès oblige, de nombreux studios ont copié le maître, sans atteindre son excellence. Silt du studio Spiral Circus se frotte à la formule Playdead, en convoquant comme inspirations Limbo, Abyss, Abzu et Journey. Mais aussi séduisantes que soient ses muses, elles ne lui permettent pas de réussir à briller pour autant.

Sous l'océan

À l'instar de l'illustre studio Playdead, fondé par le duo Dino Patti et Arnt Jensen, le studio anglais Spiral Circus a été créé par une hydre à deux têtes : Tom Mead et Dom Clark, deux artistes fascinés par l'étrange et le surréalisme. Les travaux de Tom Mead sont empreints d'une ambiance sombre et mélancolique, baignant dans une inquiétante étrangeté. Ses travaux, essentiellement bâtis sur un noir et blanc où des personnages humanoïdes masqués posent sur des fonds d'un noir absolu, semblent être le résultat de l'improbable rencontre entre H.R. Giger et Tim Burton.

Un matériau assez dérangeant, flirtant parfois avec la psychanalyse, qui paraissait taillé pour le petit ou grand écran, avec un Neil Gaiman en dépression au scénario et Henry Sellick à la réalisation (et non, on ne parle pas de Coraline). Cependant, la rencontre entre Tom Mead avec le programmeur Dom Clarke l'a conduit sur une tout autre voie : celle du jeu vidéo. Clarke a lui aussi un parcours hors norme, puisqu'il travaillait dans la recherche scientifique, où il étudiait le comportement et la perception des animaux avant de se donner corps et âme à la matière vidéoludique.

 

Silt : photoLimbo à la sauce Abyss

 

La rencontre, pour ne pas dire la collision, de ces deux parcours a abouti à la conception de Silt, "limon" en bon français. Un titre qui renvoie au concept même du jeu, à savoir offrir une exploration océanique cryptique aux joueurs.En réalité, Silt a un double but : être à la fois une vitrine pour les travaux de Tom Mead, et être une porte ouverte sur une expérience vidéoludique basée sur la découverte d'un monde sous-marin dangereux, aux limites de l'horreur.

Si le premier but est très largement atteint, le titre étant tout simplement splendide, avec une direction artistique quasi monochrome très impactante, malheureusement ce n'est pas le cas du second objectif. Le passage de la matière artistique à la matière vidéoludique a été chaotique, comme si la larve des artworks de Mead était restée coincée à l'état de chrysalide, sans pouvoir pleinement s'épanouir.

 

Silt : photoLe monde halluciné de Tom Mead 

 

 

c'est (lim)beau, mais c'est tout

Reste que cette chrysalide est magnifique. Silt est d'une beauté sombre indéniable. Sa direction artistique monochrome empreinte très largement les codes du théâtre d'ombres chinoises. L'avatar du joueur, simple silhouette palmée et équipée d'un scaphandre évolue dans les ténèbres des fonds marins comme une ombre nimbée de lumière. Celui-ci trace son chemin et explore des fonds marins pétris de dangers avec grâce.

Comme pour Limbo, aucune indication n'apparaît à l'écran, hormis les rares indications des premiers instants permettant au joueur de prendre le contrôle de son avatar, d'apprendre comment le déplacer et interagir avec ce monde sous-marin. Un territoire hostile, peuplé de créatures marines au design soigné évoquant tantôt anguilles et serpents de mer géants, tantôt piranhas et murènes titanesques, mais qui n'est jamais effrayant...

Passé l'effet de fascination des premiers instants, la déception s'installe. Le titre souffre d'un lore bien trop cryptique et peu motivant. Le joueur avance machinalement de tableau en tableau, en résolvant des énigmes basées sur la plupart sur une mécanique de possession des poissons (le piranha peut ronger des chaînes, l'anguille activer des systèmes électriques...) qui n'est pas sans rappeler le système de contrôle mental d'Inside.

 

Silt : photoPiranha 2D

 

Le problème principal est que Silt ne parvient pas à faire en sorte que le joueur s'investisse émotionnellement. Limbo et Inside ne donnaient pas d'explication, mais prenaient aux tripes grâce à des enjeux que le public devinait à mesure que l'aventure progressait. Chaque avancée à travers le jeu apportait des lumières qui agissaient comme autant de motivation à continuer. Les jeux de Playdead parvenaient également à gérer une tension permanente qui rivait la manette aux mains du joueur.

Ce n'est pas le cas pour le jeu de Spiral Circus. Définir la limite à ne pas dépasser entre lore cryptique et incompréhensible n'est pas chose aisée, et Spiral Circus s'y est perdu. À aucun moment le "pourquoi" des faits et gestes de l'avatar n'est justifié, et il est probable que le panneau explicatif de début de run ait été ajouté a posteriori, comme une justification maladroite à cette odyssée dans le monde du silence. Une odyssée si belle, mais si creuse et si courte : car le périple trouvera sa résolution en à peine 2 à 3 heures.

 

Silt : photoThe Void, Abyss edition

 

Perdu dans la masse

10 696. Il s'agit du nombre de jeux sortis l'an dernier, en 2021, sur Steam. En ajoutant le nombre de titres livrés sur consoles de salon, ce chiffre va jusqu'à flirter avec les 15 000. En moins de dix ans, la production mondiale a été multipliée par 10. La plupart de ces créations sont issues de studios indépendants, et il est difficile de se faire remarquer, et plus encore de parvenir à survivre dans cette jungle d'un marché de plus en plus lucratif.

Le défi majeur auquel ces studios indépendants sont confrontés est de se distinguer de la masse. Mais les concepteurs de jeux ne peuvent pas réellement prendre trop de risques créatifs. Les propositions trop originales finissent souvent au rebut, le grand public ayant un phénomène de rejet face aux invitations trop expérimentales.

Le très audacieux The Vale qui propose d'incarner à la première personne un chevalier aveugle, en se guidant uniquement au son, l'image à l'écran restant toujours noire, en est le parfait exemple. Un concept inédit, encensé par la critique, mais une catastrophe commerciale avec un record de 9 joueurs en simultané sur Steam et des évaluations de ventes ne dépassant pas les 4000 copies... L'audace ne paie pas.

 

Silt : photoMétaphore du petit studio qui se lance sur Steam

 

L'autre option pour se faire remarquer est de singer les plus grands, en apportant à une recette déjà éprouvée une touche de variété. C'est ce choix qu'a fait Spiral Circus pour Silt. Le titre fait écho à Limbo et Inside, mais le soft manque de courage, et il reste à l'état d'écho : la réplique d'un son original qui finit par s'éteindre dans le vide. À trop imiter sans se démarquer, il ne laisse qu'une constante impression de déjà-vu. "Silt" signifie "limon" : des dépôts qui se reposent au fond des lits des rivières.

Et malheureusement, il ne parvient pas à s'extirper du limon des jeux qui clonent les productions Playdead. Il n'en reste pas moins un bel objet, mais sans substance. Sans substance narrative, et sans challenge en termes de gameplay, Silt ne trouvera grâce qu'aux yeux de celles et ceux qui recherchent avant tout une expérience contemplative, et qui n'ont jamais mis les mains sur les productions PlayDead ni sur Abzu

Silt est disponible sur PC, PlayStation 5, Xbox Series X|S et Nintendo Switch. Ce test a été réalisé à partir d'une version fournie par l'éditeur

 

 

Silt : photo

Résumé

Silt donne l'impression de se contenter de singer les rois des jeux indés d'exploration, et d'être un ersatz de Playdead-like. Sa splendide direction artistique ne parvient malheureusement pas à effacer le sentiment de déjà-vu qui gangrène l'expérience de jeu.

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commentaires
JL Techer
27/06/2022 à 14:55

@Aktayr,
Merci beaucoup pour votre retour, on est très heureux que l'article vous ait plu. En effet, les studios indépendants sont confrontés à de vrais défis pour pouvoir émerger du lot. C'est presque une roulette russe pour eux...

Aktayr
27/06/2022 à 14:20

Vraiment pas mal comme article. Je ne connais pas du tout le jeu mais votre article met très bien en lumière les difficultés rencontrées par les productions indépendantes pour se démarquer du lot.

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