Test Ghostwire : Tokyo - enfin un concurrent à Resident Evil

JL Techer | 21 mars 2022 - MAJ : 21/03/2022 14:47
JL Techer | 21 mars 2022 - MAJ : 21/03/2022 14:47

Shinji Mikami s'y connaît en matière d'horreur. Resident Evil et Dino Crisis sont ses bébés mis au monde chez Capcom. Puis le créatif est allé fricoter du côté de l'horreur psychologique et du roman noir avec les très cinématographiques (et hautement recommandables) The Evil Within 1 et 2, produits par sa propre boite : Tango Gamesworks. Autant dire que le dernier-né du studio, Ghostwire : Tokyo était attendu au tournant, d'autant plus que pour la première fois de sa carrière, Mikami-san déclarait vouloir assumer pleinement l'héritage de la culture japonaise du Yokai, ces entités surnaturelles qui peuplent l'imaginaire nippon. À la croisée de Ring, de Project Zero et d'un Resident Evil, Ghostwire Tokyo est une oeuvre fascinante, et un survival horror d'une incroyable modernité.

Histoires de fantômes chinois japonais

Depuis plusieurs années, les studios japonais semblent vouloir se réconcilier avec leurs racines et folklores. Après avoir longtemps produit des titres fortement occidentalisés, les équipes nippones assument de nouveau leur héritage culturel pour réaliser des oeuvres sincères et solides. FromSoftware l'a fait avec son Sekiro : Shadows Die Twice, la Team Ninja avec Nioh (presque une mise en abîme de l'Occident redécouvrant l'Orient), le Ryu ga Gotoku Studio rencontre succès critique et public grâce à ses séries Yakuza et Judgment...

En assumant son patrimoine culturel, la production vidéoludique japonaise renoue avec une identité et avec une sincérité parfois diluées dans une (trop) grande volonté de plaire hors des frontières nippones. À l'heure de la standardisation à outrance du blockbuster AAA, tant dans la forme que dans le fond, et où certains produits semblent être le reskin les uns des autres (c'est toi qu'on regarde de travers Far Cry 6), la quête d'identité est plus que jamais un enjeu majeur de la scène vidéoludique.

 

Ghostwire : Tokyo : photoHannya superstar

Les studios japonais n'auraient-ils donc plus besoin de s'occidentaliser pour vendre ? Tant mieux. Les équipes de Tango Gameworks ont donc décidé de s'inscrire dans ce retour aux sources, sans pour autant céder à quelque pulsion nostalgique ou conservatrice que ce soit. Sous l'impulsion de Shinji Mikami, ici superviseur et producteur, Kenji Kimura (transfuge de l'école Tekken/Soulcalibur) a pris la tête du projet Ghostwire : Tokyo, avec pour but de dépoussiérer le survival horror à la première personne. 

Pour ce faire, Tango joue la carte du retour aux sources culturelles, en adoptant la mythologie du Yokai dans un contexte éminemment moderne. Adieu loups-garous, zombies, vampires & co, bonjour Oni, Kappa, Tengu, Honne-Onna: c'est une bouffée d'air frais dans le lore du survival horror que propose le studio. Le scénario lui-même prend un parti pris radical : en un instant, tous les habitants de Tokyo ont disparu. Seules preuves de leurs existences passées : leurs vêtements jonchant les rues. 

Le héros qui sera le corps des joueurs, Akito, ne doit sa survie qu'au fait que l'âme d'un défunt nommé KK (mi-exorciste mi-détective) ait élu domicile dans son enveloppe charnelle. Des créatures appelées Visiteurs hantent désormais les rues, aux côtés des âmes en peine condamnées à errer dans un Shibuya désormais sans vie. Un lien étrange existe entre l'auteur de cette catastrophe ésotérique, le très charismatique Hannya et KK, l'éso-terroriste a kidnappé le corps de la soeur d'Akito... Pour découvrir le pot aux roses final il faudra errer, la boule au ventre, dans un Shibuya somptueux de beauté morbide. 

 

Ghostwire : Tokyo : photoShibuya en état de mort cérébrale

 

l'anti Resident Evil ?

Bien que se présentant sur le papier comme un jeu horrifique en open world avec des éléments de light-RPG (arbres de compétences, gain de points d'expérience, etc.), Ghostwire Tokyo prend en réalité le contrepied d'un grand nombre de productions actuelles. Il ne s'agit pas de bouleversements profonds, mais de choix de concept et de game design forts, qui consolident l'identité unique du titre de Tango Gameworks. 

Dans Ghostwire, inutile d'espérer trouver des armes à feu ou armes de poing. Pas de flingue, pas de munition, ici tout se joue sur le territoire ésotérique. Il faudra compter sur la maitrise des jutsu (littéralement des "compétences" mystiques traduites par des mouvements de mains façon Naruto ou Jujutsu Kaisen), basés sur des techniques élémentaires (vent, eau, feu) que le héros doit maitriser peu à peu pour espérer se défendre contre ces hordes de Visiteurs venus de l'au-delà pour le saigner à blanc. La seule arme conventionnelle à disposition est un arc, dont la présence et l'usage ne se révèleront qu'a posteriori, après plusieurs heures de jeu...

 

Ghostwire : Tokyo : photoKAMEHAMEHAAAAA

 

Et pourtant, le titre baigne dans une brutalité jouissive. Grâce à l'énorme travail sur le sound design les feedbacks sonores lors des affrontements, de l'impact des projections magiques, aux hurlements des monstres exorcisés lors de finish moves orgasmiques, toute l'ambiance auditive transcrit la férocité et l'atrocité de chacun de ces combats. Mais plus encore, c'est dans son apparat visuel que le jeu parvient à générer une violence de tous les instants. 

Les émanations de l'au-delà ont bénéficié d'un très grand soin, et toutes sont dérangeantes au possible. Écolières sans tête, salaryman ventru au visage sans yeux, créatures aux longs cheveux noirs dépourvus de jambes... Ces êtres sont dotés d'une agressivité sans limites et s'acharnent sans répit sur le duo Akito/KK. Il faut parfois passer une sensation de dégoût avant de se ressaisir et d'aller nettoyer les rues tokyoïtes nimbées de lumière.

 

Ghostwire : Tokyo : photoLe Slenderman local

 

Car s'il y a un point qui doit impérativement être souligné, c'est le véritable tour de force de Ghostwire : Tokyo, qui prouve que l'on peut faire peur en pleine lumière. A contrario de nombreux titres d'horreur qui jouent sur le hors-champ ou sur une pénombre permanente, ici tout se passe en plein jour, grâce aux éclairages constants des néons de Tokyo, une authentique Night City reconstituée avec une minutie d'orfèvre (le carrefour de Hachiko de la gare de Shibuya, la tour 109...). 

Malgré cette lumière, le jeu parvient à entretenir un climat de peur persistant, grâce à un propos très mature, et à des trouvailles de mises en scène exceptionnelles (et merci à l'expérience The Evil Within). Le titre ne cède jamais à la précipitation, et sait prendre son temps pour ménager ses effets, en particulier lors des explorations en intérieur, où les murs prennent vie, les structures architecturales se déforment pour emmener le joueur vers un autre monde, terrifiant. Ghostwire fait le choix de proposer peu de jumpscare (mais ils cueillent le joueur systématiquement), et d'offrir plutôt une ambiance poisseuse et dérangeante permanente.

 

Ghostwire : Tokyo : photoCertains plans sont du jamais vu

 

 

Exorcism-Punk

Ghostwire a beau être bourré de qualités, tant au niveau de son concept qu'en terme graphique (le titre est magnifique et diablement (ha ha) bien optimisé sur PC), son excellence se situe dans son aptitude à rendre le joueur accro. Son lore fascinant donne en permanence envie d'en savoir plus, et on se surprend rapidement à explorer les moindres recoins de Tokyo pour tout savoir de ces créatures d'outre-monde, de ces esprits cherchant vengeance, ou même comprendre comment des chats fantomatiques ont pu devenir les principaux marchands de la ville...

Le soft Ghostwire : Tokyo est presque un cas d'école, son monde ouvert (assez resserré) est pleinement soutenu par son lore et par sa narration qui motivent à le découvrir. Ici, l'open world et l'aspect light-RPG ne sont pas des fins en soi, mais bien une structure donnée qui permet d'approfondir l'aventure. Les quêtes secondaires sont suivies et explorées par envie de découvrir le monde et ses mystères, plus que par nécessité de grinding ou d'obtention de bonus en tout genre. 

 

Ghostwire : Tokyo : photoSi si, on est dans le bon sens

 

Ces quêtes peuvent amener à de grands moments d'horreur dignes des plus belles heures de la J-Horror. Ainsi, au détour d'une ruelle près du coeur de Shibuya, un esprit erre devant une maison semblable à toutes les autres. Mais le fait d'en franchir le seuil fait basculer le joueur dans la terreur la plus totale quand les murs mouvants suintent de liquide visqueux et où les tableaux ornant les murs se réorganisent pour former un immense oeil jugeant chaque fait et geste du héros. Mythique. 

Cependant, difficile de ne pas sentir que le jeu aurait sans doute gagné à rester sur sa trame principale, quitte à proposer une aventure plus narrative et moins ouverte, tant son histoire est solide et menée de main de maitre jusqu'à un final haletant, riche en rebondissements. On se souviendra longtemps de l'hyper charismatique Hannya, antagoniste principal aux motivations troubles, dont les apartés nihilistes diffusés lors des moments d'errance dans Tokyo rappellent furieusement le Pinhead des Évangiles Écarlates de Clive Barker (et ce n'est pas le seul point commun entre Ghostwire et Hellraiser). 

 

Ghostwire : Tokyo : photoLa Configuration des Lamentations, version Yokai

 

Le scénario est sordide à souhait, et sa violence psychologique vient sublimer la brillante direction artistique du titre. Quel dommage alors de venir quelque peu délayer ce propos dans un open world, qui, lui, est resté très classique dans ses mécaniques et son game-design : la carte finie par être cannibalisée par des tonnes d'indicateurs de quêtes secondaires et de points d'intérêts offerts sur un plateau, alors que le concept même du titre appelait à la découverte par soi-même, d'autant plus que le héros possède déjà un sixième sens qui le guide en cas de besoin vers sa destinée.

C'est là un bien maigre défaut pour ce titre original, à la générosité indéniable, qui sonne comme une vraie prise de risque pour le studio Tango Gameworks. Ingénieux, inventif, effrayant, bourré de trouvailles visuelles, surprenant de bout en bout et bénéficiant d'une ambiance folle, Ghostwire : Tokyo vient directement se loger parmi les meilleurs titres de cette dernière génération de console. Après le cyberpunk, le steampunk ou le diesel punk, il faudra compter avec l'exorcism-punk. 

Ce test a été réalisé à partir d'une version PC du jeu fournie par l'éditeur. Ghotswire : Tokyo sera disponible à partir du 25 mars 2022 sur PlayStation 5 et sur PC. 

 

Ghostwire : Tokyo : photo

Résumé

Ghostwire : Tokyo est le genre de jeu dont on attend beaucoup, et qui parvient non seulement à ne pas décevoir, mais aussi à surprendre constamment. Fort d'une extraordinaire direction artistique, de mécaniques de jeu redoutables d'efficacité, et surtout d'un univers mystérieux et envoûtant, le titre de Tango Gameworks est une réussite totale. On espère sincèrement que ce sera le point de départ d'une belle franchise. On crève d'impatience d'avoir une suite à Ghostwire : Tokyo, et pourquoi pas des Ghostwire : Mexico, Haïti, NY (ou Paris ?) afin explorer d'autres territoires de la peur.

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commentaires
JL Techer
22/03/2022 à 07:58

@moixavier58 C'est bien pour cela qu'on a fait le choix de donner pour angle au test "l'anti resident evil", et project zero est bien cité dès l'introduction ;)
RE est sur un volet de l'horreur très occidental (très Romero of course), alors que Ghostwire assume complètement son héritage J-Horror, ce sont donc deux tonalités radicalement opposées. D'où la notion de "concurrence" avec RE, dans le sens où on est sur un soft qui joue sur le même terrain (la peur) mais avec des approches très différentes.

Moixavier58
22/03/2022 à 02:03

. On est trés loin d'un Re. Vu qu'on doit liberer des ames de corps humains. Et est plus sous un Project zero like

Kyle Reese
21/03/2022 à 15:06

Ça donne très envie après avoir terminé RE8 village je le sens bien celui-ci MAIS il y a aussi Elden Ring qui me tente bien … hum choix difficile.

Far cry 6 restera encore un moment en attente à lancer pendant une période de vache maigre.

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