Max Payne 3

Simon Riaux | 12 juillet 2012
Simon Riaux | 12 juillet 2012

On avait craint le pire pour Max Payne. Après des errances de production, la révélation d'une poignée d'images aussi énigmatiques qu'inquiétantes, une reprise en main de la licence par Rockstar, on était circonspect quant à la capacité du légendaire studio à réinventer cette licence avec la maestria qui présida à la réappropriation de Red Dead. Qu'on se le dise, si la troisième (més)aventure de Max lui inflige les pires souffrances, c'est pour notre plus grand bonheur.

 


 

Que pouvait encore perdre notre anti-héros, après que sa famille et son unique espoir de renouveau lui aient été arrachés à coup de balles dans la tête ? Rien, sinon lui-même. Tel est le constat fait par les développeurs, qui le précipitent et nous avec dans la jungle urbaine de São Paulo, milieu profondément hostile, qui se révélera véritable mille-feuille de corruption et de violence, chaque classe sociale révélant à la suivante un chien corrompu de sa chienne vénérienne. Le joueur, tout comme le personnage, se révèle rapidement perdu dans ce cloaque grouillant, dont il ne comprendra pas un traître mot, le soft se gardant bien de traduire les flots d'insultes, d'interjections et de menaces que ne manqueront pas de proférer vos adversaires à votre encontre. La voix off envahissante de notre martyr sous amphétamines scandera sans discontinuer une terrifiante litanie du désespoir, logorrhée ininterrompue d'apitoiement et de détestation de soi qui ne laisseront pas longtemps place au doute. Max se hait, ne croit plus en lui, ni en quoi que ce soit, et ce désenchantement originel se révélera un blindage bien poreux face à l'avalanche de trahisons et de manipulations qu'il s'apprête à subir.

 

 

On pouvait regretter que les deux premières descente aux enfers de Max ne représentent que superficiellement son chemin de croix, tout hallucinogène et expiatoire qu'elles furent. Payne y bondissait et flinguait à tout va, sans que le joueur puisse ressentir physiquement la souffrance de son avatar. Un problème qu'a résolu Rockstar, grâce à un moteur physique renversant, qui nous permet de ressentir jusque dans notre chair l'anatomie dévastée du flic en perdition. Perclus de cicatrices, ravagé par l'alcool, irradié d'analgésiques, le corps de Max est lourd, se meut avec une inertie dont il faut tenir compte entre deux coups de feu, sous peine de se voir instantanément charcuté par les balles de nos adversaires. Chaque bullet time, ou plongée en avant, gun à la main, est alors ressenti comme un dépassement de soi qui ne souffrira pas la moindre approximation, toute réception au sol étant synonyme d'interminables secondes où Max devra se relever, carcasse endolorie, à la merci du premier fusil à pompe venu. Cette tension entre fulgurances meurtrières et apathie mortifère accouche d'un gameplay extrêmement exigeant, terriblement immersif, et qui sous l'apparence du bourrinage le plus jouissif demande du joueur une infinie rigueur.

Car le gameplay de Max Payne 3 n'est pas seulement old school (et donc impitoyable), la philosophie du soft en suinte littéralement. L'erreur ne vous sera jamais pardonnée, quant au bénéfice du doute, n'y comptez pas. Toute cascade approximative sera sanctionnée par une mort instantanée, la moindre imprécision engendrera un retour de flammes au parfum aigre de cordite vidéoludique. Jamais votre vie ne se régénérera, et les boîtes d'amphétamines se feront cruellement rares, tout comme les checkpoints, qui vous obligeront souvent à intégrer par cœur la géométrie des lieux et la stratégie de vos ennemis. Ces derniers ne vous feront pas non plus de cadeau, dotés d'une I.A. basique mais d'une agressivité exemplaire, ils vous obligeront à constamment vous déplacer pour trouver de nouvelles couvertures, jusqu'à ce que leurs salves de plombs iridescent dissolvent votre fragile planque.

 

 

On ne cracherait pourtant pas sur une accalmie de temps à autre, tant le titre déploie une intensité et une violence exceptionnelles. La mise en scène plagie ouvertement les Man on fire et autres Cité de dieu, ce qui défrisera les fans hardcore du diptyque original mais épouse parfaitement le jusqu'au boutisme de cet épisode. C'est du côté du moteur physique et de la représentation de la mort que le jeu se permet des outrances à la fois sublimes et choquantes. Avec un moteur physique travaillé à la perfection, Rockstar nous permettra d'admirer les ravages de nos salves calibrées pour tuer, attendez-vous à voir ici un membre se disloquer, là une mâchoire se vaporiser, ou une boîte crânienne se muer en une rosace de chair et d'os entrelacés par l'impact de vos armes. Des « killcams » ou ralentis ludiques vous permettront de visionner avec la précision d'un metteur en scène les meurtres concluant chaque vague d'ennemis, à moins que vous préfériez ne censurer le spectacle de votre rage aveugle. Encore une fois, la souffrance, celle de Max, celle du joueur, sera au cœur du dispositif.

 

 

On pourra reprocher à la narration, soignée et réussie, de prendre souvent le pas sur l'action, voire de nous interrompre en pleine montée d'adrénaline. Elle n'en demeure pas moins efficace, et probablement la seule possibilité offerte aux développeurs pour éviter au maximum les chargements ou interruptions de l'action, une cause à laquelle sont sensibilisés les joueurs qui ont souffert les précédentes versions consoles. On regrettera également un peu que le scénario ne suive pas tout à fait la voix nihiliste qu'il nous fait miroiter quelques heures, où l'on se surprend à espérer que Max s'enterre pour de bon dans les favelas, et entraîne dans sa chute une cité qui n'attend qu'un ange exterminateur pour imploser.

On aurait aimé que l'interface du multijoueur se fasse plus limpide, un chouïa plus rapide, mais l'expérience qui nous attend au bout de ce tunnel d'interface vaut largement le détour. Les meilleurs joueurs mettront vos nerfs à rude épreuve, mais le simple système de jeu suffira le temps de votre progression à vous installer dans un état d'euphorie irrésistible. Voir enfin les principes physiques et balistiques de Max Payne s'appliquer à une expérience en ligne et multijoueur tient de l'accomplissement du fantasme absolu. Pouvoir happer un quidam dans sa sphère de temporalité altérée pour lui loger une balle en pleine pomme d'Adam relève d'un pur plaisir vidéoludique, que l'on doutait de connaître un jour, sorte de fantasmagorie matrixienne ripolinée d'une imagerie badass en diable.

 

 

On craignait que Rockstar ne dénature l'expérience, et bien au contraire, le célèbre studio a déraciné le roi du bodycount pour mieux le faire renouer avec ses vieux démons. Violent, addictif, noir et lumineux, Max Payne 3 est un grand jeu à ne pas mettre entre toutes les mains, une virée meurtrière qui ne laissera personne debout sur son passage, à commencer par le joueur.


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