Tomb Raider : pourquoi la mythique Lara Croft est et restera increvable

Geoffrey Crété | 24 novembre 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 24 novembre 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Sorti en 1996, Tomb Raider fête ses 20 ans, alors que Rise of the Tomb Raider est enfin sorti sur Playstation 4. L'occasion parfaite pour revenir sur l'évolution folle d'une saga culte.

Rise of the Tomb Raider commence dans les cimes enneigées, avec la célèbre aventurière aux côtés d'un guide. Comme les premiers pas de Lara Croft en 1996. Un gouffre de 20 ans et de milliers de pixels sépare le dernier épisode, sorti en octobre sur PS4, de la toute première aventure sortie. Et il y a pourtant un pont évident entre les deux.

Reboot oblige, Lara Croft est redevenue une jeune femme, dans la même tranche d'âge que dans son aventure originale. Comme dans la quête du Scion, elle affrontera des loups et un ours. La bête sera nettement plus effrayante que celle qui surgissant des étables de Vilcabamba dans les années 90, mais là encore, le parallèle est évident pour les fans.

Avec une question qui hante et divise les joueurs : Tomb Raider est-il encore Tomb Raider, 20 ans après ? A l'heure d'Uncharted, Lara Croft est-elle encore la même pilleuse de tombes, ou est-elle la victime d'une industrie qui remâche ses icônes comme celle des studios hollywoodiens ?

 

Original

 

"I ONLY PLAY FOR SPORT"

L'histoire de la saga est aussi tumultueuse que la gorge de Madubu avec son satané kayak. Elle se divise en trois périodes : l'âge classique avec les six premiers volets chez Core Design, la renaissance chez Crystal Dynamics avec Legend, puis le reboot au sein du même studio en 2013. Onze jeux officiels, sans compter les aventures dérivées (Lara Croft and the Guardian of Light, Lara Croft and the Temple of Osiris ou encore Lara Croft Go).

Un certain consensus règne chez les fans : Tomb Raider et Tomb Raider II sont des classiques incontournables, Tomb Raider 3 : Les aventures de Lara Croft et Tomb Raider : La Révélation finale étant généralement inclus dans l'âge d'or malgré leurs détracteurs. Tomb Raider : Sur les traces de Lara Croft est considéré à juste titre comme un objet dispensable et négligeable. 

 

Tomb Raider II

 

Cette ère du carré, où Lara évolue dans un décor géométrique d'une rigidité impardonnable, reste une référence absolue pour beaucoup. Encore aujourd'hui, des tonnes de fans exploitent les limites des jeux dans des défis de speedrunning (terminer le jeu en un temps record) ou NLNMAS (No Loads No Meds All Secrets : terminer le jeu sans utiliser de trousse de soin, sans mourir, avec tous les secrets), voire encore plus absurdes et drôles (finir le jeu en utilisant uniquement les pistolets ou les harpons, jouer avec l'image retournée). A coup de bugs incroyables et de stratégie folle, ces héros de la communauté Tomb Raider atomisent les jeux avec une adresse fascinante.

 

1996 Lara Croft

 

Mais au-delà des défis, il y a un amour intact : malgré le poids des années, le gameplay rigide et la violence des pixels, l'âme Tomb Raider résiste. Le premier épisode, où Lara Croft cherche le mystérieux Scion des grottes péruvienne à la mythique Atlantide, garde un pouvoir de fascination énorme grâce à son ambiance et son level design impeccable.

Le parfum de mystère teinté de magie qui flotte dans les tombeaux égyptiens de cette première aventure, la sensation d'isolement et le grain de folie (le T-Rex caché dans la vallée perdue du Pérou, le skateur au milieu des colonnes de béton de l'Atlantide) en font un bijou profondément précieux. 

 

Tomb Raider II Lara Croft

 

"DON'T YOU THINK YOU'VE SEEN ENOUGH ?"

Tomb Raider II continuera sur la même lancée, et repoussera les limites de l'imaginaire. Lara Croft explore une immense épave au fond de l'océan, pénètre dans un temple maudit sous la muraille de Chine, qui l'amène vers un lieu insensé où des îlots verts fluo flottent dans un ciel noir. Elle y affronte une mafia italienne, des moines, des araignées géantes, des samouraïs surnaturels et un dragon, avant d'abattre en nuisette ses derniers ennemis venus jusqu'à son manoir. La suite perpétue une tradition magnifique de série B imaginative, délicieusement audacieuse et légère, qui repousse sans cesse les limites du rêve. 

 

Tomb Raider III Lara Croft

 

Tomb Raider III n'ira pas beaucoup plus loin, malgré un carnet de voyage spectaculaire qui passe par les aliens de la zone 51 pour se terminer dans une cité perdue sous les glaces de l'Antarctique. Les choses sérieuses commencent pour la saga, victime de son propre succès avec un calendrier serré pour tenir les dates de sortir. Toby Guard, le papa de Lara, a quitté le navire avant le deuxième épisode, et le reste de l'équipe commence à sérieusement souffrir en coulisses. Le public aussi, à cause d'une mécanique de jeu et de bugs de plus en plus désagréables. L'entreprise a pris le pas sur les œuvres, avec des dates de sortie qui précipitent le développement et donnent des jeux remplis de bugs, incapables d'évoluer ou de régler leurs problèmes.

L'équipe tentera d'achever le monstre avec La Révélation finale. Le cadre de la mort programmée de l'archéologue est significatif : retour en Egypte pour une aventure qui s'ouvre sur son adolescence, et punition divine pour avoir été curieuse une fois de trop en allant dérober un artefact pour le plaisir. Alors que le public commence à se détourner de Lara Croft et que ses développeurs sont usés par son succès, l'archéologue paye le prix fort dans une course contre la montre. La mélancolie qui plane sur ce quatrième épisode, et son intrigue plus solide et sombre, en font une aventure particulièrement satisfaisante, surtout avec le recul.

 

Tomb Raider 4 Lara Croft

 

"I FEEL STRONGER"

Mais la vraie mort est au tournant : L'Ange des ténèbres. Premier épisode sur Playstation 2, vendu en son temps comme une révolution, c'est une catastrophe industrielle. La sortie a été précipitée (des portions entières du jeu ont été abandonnées, créant des trous ridicules) et les ventes ont été désastreuses, enterrant rapidement la trilogie conçue en coulisses.

Au même moment sort Lara Croft : Tomb Raider - Le Berceau de la vie, suite du film avec Angelina Jolie. En quelques mois, le mythe est séreiusement écorné. Le jeu est aujourd'hui perçu avec une tendresse presque collégiale par les fans, probablement parce qu'il a sonné la fin pour Core Design, qui a perdu son bébé.

 

L'Ange des ténèbres

 

"YOU JUST DON'T KNOW WHEN TO DIE"

Crystal Dynamics récupère la poule aux oeufs d'or et lui offre un lifting dans l'air du temps. Dans Legend, Lara Croft saute et s'accroche partout comme un jouet télécommandé. Toby Guard accepte de revenir pour encadrer cette renaissance, premier arc d'une trilogie curieuse : le remake du premier jeu, Anniversary, rappelle à l'ordre l'inoubliable Jacqueline Natla qui sera au coeur du sous-estimé Underworld.

Legend arrive un an avant Uncharted, et Tomb Raider opère une refonte en profondeur de sa mécanique, son identité (une réécriture des origines de l'héroïne, et notamment la disparition de sa mère) et au final son âme.

 

Anniversary

 

Dans ces épisodes, l'aventurière gagne en vitalité. Sa mortalité, baromètre incontournable et irrésistible, est lourd de sens : ses mises à mort sont moins violentes, moins brutales, moins sanglantes. Impossible ou presque de rater un saut grâce à une direction très assistée, qui pousse Lara à s'accrocher automatiquement en suivant un parcours quasi fléché - quitte à la voir flotter dans les airs le temps d'une demi-seconde. 

Ce gameplay si rigide, basé sur une carte carrée, se transforme. L'espace de progression est plus souple, à l'image des courbes plus naturelles de l'aristocrate. La précision folle de la série originale, source de frustration et crise de nerfs lorsqu'il fallait préparer un saut vers une corde, laisse place à un flou généralisé. Les développeurs tiennent constamment la main du joueur pour l'aiguiller, et le protéger. L'empêcher de glisser, de s'égarer. De profiter ?

Pris dans son époque, Tomb Raider devient un jeu vif. Une necessité pour affronter la concurrence, qui impose toutefois un gameplay plus dynamique, avec une utilisation régulièrement frénétique de la touche X pour enchaîner les sauts et les corniches d'un air à moitié concerné. Et derrière l'illusion souvent époustouflante d'un environnement grandiose, il y a des tonnes de murs invisibles, sur lequel se heurte Lara et le joueur, prisonniers d'un monde qui a appris à un peu mieux masquer sa rigidité et sa linéarité.

 

Underworld

 

"I HATE TOMBS"

Le public n'est pas dupe longtemps : les mauvaises vente d'Underworld poussent Crystal Dynamics à mettre en chantier un reboot franc. A une époque où Batman est (re)devenu un super-héros sombre et sobre, inscrit dans une réalité tangible, Lara Croft devient définitivement une héroïne "réaliste". Silhouette athlétique loin des fantasmes de poupée gonflable, émotions ostentatoires, humanité remise au premier plan, aspect survival et MacGyver très appuyé : la chose reprend le titre originel de Tomb Raider pour refaçonner le mythe.

Unité de décor et origin story au programme de l'épisode sorti en 2013, qui lorgne sans honte vers Nathan Drake. La santé se régénère automatiquement à mesure que l'écran retrouve des couleurs, loin des inoubliables trousses de soin. La loi de Murphy s'abat régulièrement sur l'aventurière, emportée dans des catastrophes improbables qui ravagent le décor et mettent à l'épreuve les nerfs et réflexes. La visée automatique disparaît pour laisser place à des phases de shoot nouvelle génération.

 

Tomb Raider

 

Mais derrière cette refonte de l'entreprise, une interrogation profonde, douloureuse presque. Lorsque Lara Croft s'exclame "Je déteste les tombes !", le sourire laisse place à une larme de nostalgie : les fameux tombeaux du titre sont relégués aux quêtes optionnelles, et réduits à des pièces façonnées sur le même schéma. L'argument de l'origin story a bon dos.

En 2013, Tomb Raider porte mal son nom légendaire. L'homme moderne a posé son empreinte dans chaque recoin, même dans les tombes. La sensation d'isolement et de solitude, face à un temple perdu oublié par le temps et l'humanité, est un lointain souvenir. 

 

Photo Lara Croft

 

"YOU HAVE NO IDEA HOW FAR I'VE COME"

Mais Lara, plus que de nombreuses autres stars de jeu vidéo, a toujours su se relever. Avec son mauvais titre hollywoodien, Rise of the Tomb Raider panse les plaies les plus importantes du fan qui a vu renaître son héroïne. 

Inutile de voyager : la Sibérie devient un royaume magique, qui s'étend des glaces bleutées aux contrées vertes. La pilleuse de tombes justifie son titre avec des tonnes de vieilles pierres et artefacts à déterrer et retrouver.

 

Photo Lara Croft

 

Que reste t-il de Tomb Raider donc, 20 ans après ?

Ce onzième épisode de la saga a pris soin de recentrer la mythologie pour corriger les erreurs du reboot de 2013. Les tombes ne sont plus des détails mais des pièces maîtresses de l'intrigue. Les temples réservés aux quêtes secondaires sont bien plus grands et épiques, visions souvent folles et démesurées qu'il faudra aller dénicher dans les recoins des maps.

Ce sens de la magie, du majestueux, est enfin de retour au premier plan. Rise of the Tomb Raider propose une vraie aventure, spectaculaire et explosive certes, mais surtout profondément sensationnelle et envoûtante. C'est un voyage dans les contrées perdues, au milieu d'une nature époustouflante et dangereuse, à la recherche d'un artefact dans la grande tradition de la série (une source divine qui offre l'immortalité).

  

enterr

 

Bien sûr, la formule a énormément évolué. La Lara de 2016 est une personne nettement plus sensible : ses interrogations sur le sens et les limites de sa quête sont au coeur de l'histoire, et rappellent que la figure froide et cool s'est humanisée au fil des épisodes (la prise de conscience des conséquences de ses actes dans La Révélation finale, la réécriture dramatique de son premier meurtre dans Anniversary, son amitié contrariée avec Amanda, et le rôle central qu'ont joué sa mère et son père dans les aventures). Moins de babioles fantaisistes et de créatures grotesques, plus de magie brute.

Rise of the Tomb Raider rappelle aussi que la saga pourra vite retomber dans ses travers. Le level design semble parfois trop calqué sur celui du jeu de 2013, la dernière ligne droite est très similaire, et l'aventurière se retrouve avec beaucoup de gadgets pour gonfler l'interactivité de manière parfois artificielle. Il y aura même une scène post-générique, inévitable à l'ère Marvel, qui annonce une suite avec un antagoniste au-delà de chaque jeu.

 

1996-2013, par Jérôme Caillère alias James C.

1996-2013, magnifique fan art de Jérôme Caillère alias James C.

 

Mais Crystal Dynamics a retenu la leçon : Lara Croft reprend petit à petit ses couleurs d'origine. Les deux énormes clins d'oeil à Tomb Raider II dans le DLC Blood Ties confirment que le studio va choyer les fans pour protéger leur trésor - surtout après les ventes décevantes sur Xbox après une exclusivité temporaire qui aura brisé le lien historique avec les joueurs sur Playstation

Qu'ils prennent leur temps : les fans ont vécu suffisamment de catastrophes et mauvaises surprises pour avoir appris la patience. Et avec un peu de chance, même le prochain film, prévu pour 2018 avec Alicia Vikander, sera une bonne surprise.

 

 

Affiche

 

 

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commentaires
Kurtis
25/11/2016 à 14:11

"C'est pourtant simple", ça veut dire quoi en fait ? Surtout qu'après tu termines par "peut-être".

N'oubions pas qu'Uncharted a existé grâce à Tomb Raider, auquel il a énormément emprunté (dans le fond notamment). Et le gameplay d'Uncharted a emprunté ailleurs également. Tous les jeux se volent mutuellement et constamment.
Et par ex Tomb Raider revendique encore aujourd'hui un côté solennel et très premier degré aux antipodes de Nathan Drake.

mikegyver
25/11/2016 à 13:19

c'est pourtant simple, le reboot magnifique de 2013 a tout changé pour les jeux tomb raider parce qu' Uncharted etait la, avec plein de bonnes idées de gameplay, de narration, de scenes d'actions, le coté blockbuster quoi.

si y'avait pas eu uncharted, on aurait peut-etre pas eu le nouveau style de Lara, qui emprunte enormement (a raison) a Uncharted.