Metroid Prime : une révolution sortie 20 ans trop tôt

Lino Cassinat | 4 avril 2023 - MAJ : 05/04/2023 09:45
Lino Cassinat | 4 avril 2023 - MAJ : 05/04/2023 09:45

Metroid Prime Remastered nous rappelle que Metroid Prime était et reste un excellent jeu, mais également une révolution sortie 20 ans trop tôt.

Lorsque la 3D devient la norme dans le jeu vidéo sur consoles de salon à la fin des années 90, c'est un véritable bouleversement technique et esthétique. Les règles changent tellement que le médium réaccouche presque de lui-même par parthénogenèse, et tout le monde doit s'adapter. Les joueurs, les constructeurs, mais surtout les développeurs, qui doivent inventer de nouveaux standards via des jeux nécessairement révolutionnaires pour leur époque. Metroid Prime fut de ceux-là, et rien ne le prouve mieux que d'y (re)jouer 20 ans plus tard avec Metroid Prime Remastered.

 

Metroid Prime Remastered : photoLancez le jeu

 

FPA : tentative de définition

Le parcours de la série Metroid est un peu particulier. Le passage à la 3D a en effet été une épreuve obligatoire pour presque toutes les licences du jeu vidéo d'alors, avec des réussites (Mario, Zelda), des échecs (Sonic) et des forfaits (Kirby par exemple, qui n'a jamais vraiment essayé de franchir le cap). Et Metroid ? Metroid, dans un premier temps, se tait. Pour rappel, il s'agit à ce moment-là d'une série particulièrement reconnue pour sa qualité, au point d'avoir donné son nom avec Castlevania à un genre tout entier : le Metroidvania, soit de l'exploration plates-formes en 2D avec une pincée de RPG.

Il y a donc de quoi être surpris, d'autant que Nintendo a une tête d'avance dans la 3D grâce à Super Mario 64 et Ocarina of Time. Metroid saute une génération complète de console avant de revenir en fanfare avec la même année l'excellent Metroid Fusion sur Game Boy Advance, reprenant les formules du passé, et Metroid Prime sur GameCube, premier épisode en 3D, enfin. Et Metroid crée à nouveau une petite révolution, au point que les journaux de l'époque lui attribuent la paternité d'un nouveau genre, encore : le first-person adventure, ou FPA.

 

Metroid Prime Remastered : photoA l'aventure compagnons

 

Certes le terme n'est pas resté. Probable que les joueurs PC ont dû bien rigoler quand on leur a présenté l'idée de faire de l'exploration à la première personne en 2002, alors que Deus Ex fêtait sa deuxième année et qu'Elder Scrolls était dans la place depuis 8 ans. Mais, si l'on devait se risquer à tenter d'établir une définition du FPA, on soulignerait que l'expérience proposée par Metroid Prime se fait dans un monde fermé, où l'on tire et où résout des énigmes. Pas de dialogues, pas d'avalanche de statistiques, mais des upgrades et un parcours prédéfini s'appuyant sur une architecture solide comme du béton. Metroid Prime n'est ni Halo, ni Zelda, ni Morrowind mais quelque part au milieu de tout cela.

 

Metroid Prime Remastered : photoEt un petit bout de Predator pour la route

 

CHASSEUR DE PRIME

C'est bien gentil, mais on n'a toujours pas répondu à la question : pourquoi Metroid Prime est un jeu unique ? La particularité du soft réside moins dans l'expérience sensorielle proposée (la vue FPS, c'est vieux comme Doom), mais dans l'articulation de celle-ci à un récit qui ne relève ni du genre de l'action bourrine, ni du RPG de nerd à calculette. Metroid Prime se nourrit de la théâtralité et de l'immersion renforcée de la vue à la première personne pour augmenter sa puissance évocatrice, celle d'une narration froide, solitaire, à l'os (pour ne pas dire légèrement cryptique). Dès les premières secondes de jeu, Metroid Prime étonne. À peine une cutscene, pas de dialogue, un tutoriel sommaire, l'accueil est glacial.

Prends ton barda soldat, c'est par là que ça se passe, tu te débrouilles. 100 mètres plus loin, c'est déjà la panique avec un compte à rebours et une explosion imminente, il faut trouver une sortie de ce vaisseau fantôme, et vite. Déjà, la perception du seul premier degré du récit se fait principalement par la recherche, et la suite sera du même tonneau. Il faut lire les descriptions des objets, des ennemis, observer le paysage autour pour non seulement progresser dans les niveaux, comprendre lequel des nombreux items et upgrades permet d'ouvrir quel accès, quel laser est efficace sur quelle bestiole, mais aussi pour rassembler les pièces du puzzle narratif. Metroid Prime est un jeu qui se découvre.

 

Metroid Prime Remastered : photoUne introduction sèche

 

Lorsque l'héroïne Samus Aran s'écrase sur Tallon IV et commence son exploration des vestiges de la civilisation Chozo, elle découvre l'histoire d'un poison, qu'on assimile au Phazon, la substance aqueuse toxique qui traverse les ruines Chozo et provoque d'horribles mutations. Le joueur, en revanche, comprend plus rapidement : il ne s'agit pas que de cela. Les rivières de Phazon ne sortent pas de nulle part. Ou plutôt, elles sortent de partout, mais il doit bien y avoir une source. Elle se trouve au fond du cratère d'impact du météore qui a percuté Tallon IV des siècles plus tôt. Sans exposition, le jeu construit sa tension autour d'une menace alien inconnue, dont on dessine les contours en enquêtant sur ses dévastations.

La narration, l'émotion de Metroid Prime passe par son environnement, par la sensation d'isolation et de danger : Samus est catapultée seule, sans renfort ni équipement, dans un milieu mortel, et sa survie dépend de sa capacité à tirer, mais surtout à déduire. Ou plutôt, de la capacité du joueur qui la contrôle à déduire. Et il faut ici rendre hommage au remaster sorti sur Switch : les graphismes étaient déjà somptueux en 2002, ceux de Metroid Prime Remastered sont carrément fascinants de beauté. Plus que jamais, le besoin de plonger dans les ténèbres à la recherche de l'horrible vérité sur le Phazon et sur la disparition des Chozos se fait sentir.

 

Metroid Prime Remastered : photoUne certaine idée du grandiose

 

DANS LE FUTUR

En parlant de solitude froide, on aurait envie de pousser le bouchon en citant un autre jeu vidéo contemporain : Metroid Prime ne propose rien d'autre que de traverser "un monde froid, sombre et paisible", comme dirait un certain Dark Souls 3. La comparaison avec les ultras populaires Soulsborne peut paraître osée, mais on serait prêt à dire cependant que Metroid Prime formule une promesse similaire, 20 ans trop tôt. Bien entendu, les mécaniques de gameplay n'ont rien à voir, et on ne peut pas vraiment parler d'un jeu difficile ou particulièrement skillé en ce qui concerne Metroid Prime. Mais il ne s'agit là que de la surface des Soulsborne.

En profondeur, la notoriété de ces jeux auprès de sa communauté de fans s'explique par la demande d'investissement des Soulsborne envers le joueur. Dans le gameplay certes (il faut être bon pour en venir à bout), mais aussi dans leurs histoires. Metroid Prime réclame la même chose : de l'implication. Il faut faire une croix sur l'idée de traverser le jeu en flinguant tout ce qui bouge, au risque que Metroid Prime vous oppose des portes fermées et des énigmes imbitables. Autant d'évidences à l'époque où Elden Ring se vend à des millions d'exemplaires et ramasse le Game of the Year sans se fouler, mais en 2002, année où il a été attribué à Halo (soit le God of War : Ragnarök du moment), c'est visionnaire.

 

Metroid Prime Remastered : photo"A dark, cold, and very gentle place"

 

On ne peut, de la même façon, s'empêcher de penser qu'il y a quelque chose de commun dans l'atmosphère de Metroid Prime et des Soulsborne, qu'on peut même retracer jusqu'au fameux Ico de Fumito Ueda. Une espèce de goût prononcé pour l'obscurité, le mutisme et la plénitude, juxtaposé à un besoin de se raconter différemment, de se libérer de la lourdeur des chaînes de la contextualisation. Sur ce point, Metroid Prime est évidemment et éminemment plus classique et lumineux que les autres exemples cités (on reste chez Nintendo tout de même). Mais Metroid Prime est aussi antérieur à presque tous ces exemples, et on ne serait pas surpris qu'il ait servi d'inspiration conceptuelle majeure.

Après tout, comme chez les Soulsborne, la vedette de Metroid Prime c'est son level design : c'est lui qui est vecteur d'émotions, de narration et de défis. Positionné exactement entre intrigue et gampelay, c'est lui qui permet leur imbrication, et de leur alliage naît l'un des jeux qui exprime le mieux la spécificité, l'essence artistique du médium vidéoludique : le but du jeu, c'est de comprendre l'histoire. De là à dire que le labyrinthisme à la Soulsborne est une forme ultra moderne du Metroidvania, il n'y a qu'un pas que nous ne franchirons pas. Mais à ce titre, et à l'inverse d'un simulateur de promenade qu'on parcourt nonchalamment, Metroid Prime est bien un grand jeu, car c'est un titre qui demande à être battu.

 

Metroid Prime Remastered : photo Faites tout de même l'expérience d'enchaîner Metroid Prime et Sekiro, vous seriez surpris

 

Il y a une "leçon" à tirer de tout cela, et de l'expérience du remaster de Metroid Prime. Le retour à la 2D du superbe Metroid: Dread était très réussi, mais il est temps, grand temps, plus que temps pour un Metroid Prime 4. Tant pis si Metroid Prime 2: Echoes et Metroid Prime 3: Corruption étaient des jeux plus "normaux", tant pis si le mythos Prime est devenu plus "conventionnel" à la suite de ce premier opus magistral. La saga demeure excellente, et depuis les 16 années (déjà) qui nous séparent du dernier épisode, du savoir-faire s'est accumulé, suffisamment pour accoucher d'un nouveau grand jeu. Les Metroid en 3D ne vont quand même pas rester sur cette bouse de Metroid : Other M, bordel.

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commentaires
Samus
08/04/2023 à 22:22

Article parfait sauf la dernière phrase. Dommage de conclure sur un jugement d'un jeu certe pas parfait mais qui a des qualités indéniables.

Metroid
05/04/2023 à 09:38

Un des plus grand jeu jamais réalisé, merci pour ce dossier


05/04/2023 à 08:48

Super article merci. Je ne sais décidé lequel est mon jeu préféré de tous les temps : Metroid Prime ou Dark Souls 3… En tout cas Metroid Prole Remastered m’a décidé à lui seul d’acheter une Switch !

Mumule
05/04/2023 à 06:38

*prime federation force* j'ai meme reussi a l'ecorcher c'est dire, le seul que je ne veux pas avoir pour terminer ma collection

Mumule
05/04/2023 à 06:31

Moi j ai aimé other M , desinguez plutot le generation force.

Kenshiro
05/04/2023 à 06:25

Bon article mais la fin est pas terrible, finir sur "bouse de other M" .... other M est un des meilleur metroid jamais sortie avec prime

Ray Peterson
04/04/2023 à 21:33

L'OST de ce jeu me fou encore des frissons tellement j'adore!
L'apparition de Ridley plantant au dessus de nous, la recherche des bonus, les décors sous marins les Super Pirates, les parcoures mode boule morphing entre autre. Que de bons mais vraiment de bons souvenirs. Cela me donne presque envie de m'y replonger dans cette nouvelle version.
J'adorais aussi le 2, bien plus corsé et retord mais tellement formidable dans son gameplay.