Après l'interdiction d'Antichrist les professionnels du cinéma réclament l'intervention de Fleur Pellerin

Jacques-Henry Poucave | 4 février 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Jacques-Henry Poucave | 4 février 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Il y a 48 heures, le visa d’exploitation d’Antichrist (Lars Von Trier) été annulé par la cour administrative d’appel de Paris, à la demande de l’association promouvoir. Les professionnels du cinéma en appellent désormais au Ministère de la Culture, alors que l'association Promouvoir veut la peau de Bang Gang.

En provoquant de facto l’interdiction de plusieurs œuvres cinématographiques, l’association Promouvoir créé une situation d’instabilité juridique inédite. En effet, comment organiser la distribution et l’exploitation d’un film, si des groupuscules d’intérêts privés sont susceptibles d’en modifier la classification (et donc le public potentiel), malgré les instances légales dont le rôle est de d’attribuer la dite classification ?

chaos reign

Du coup, le Syndicat Français de la Critique de cinéma a publié un communiqué demandant à la Ministre de la Culture, Fleur Pellerin, d’intervenir pour clarifier la situation.

 "Après Baise-moi, Ken Park, Nymphomaniac, Saw 3D chapitre final, Love et La vie d'Adèle, Antichrist de Lars von Trier vient de voir, le 2 février dernier, son visa d'exploitation annulé par décision de la cour administrative d'appel sur une nouvelle requête de l'association Promouvoir, proche du milieu catholique intégriste. Bang Gang, une histoire d'amour moderne d'Eva Husson (photo) est à son tour menacé. Le Syndicat Français de la Critique de Cinéma en appelle à la ministre de la Culture, Madame Fleur Pellerin, et lui apporte tout son soutien dans l'objectif d'une modification des articles de loi qui contribuent à cet état de fait. Il faut que que cessent ce désaveu perpétuel des avis de la commission de classification et ces attaques répétées contre la création et les œuvres de cinéma."

L’ARP (Société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs) et la SRF (Société des Réalisateurs de Films) ont également fait connaître leur position et appelé les pouvoirs publics à trancher ces questions en collaboration avec le législateur.

"Nous sommes chaque fois atterrés de constater qu’un André Bonnet/Patrice André, représentant de « Promouvoir », association trouble, liberticide et extrémiste, peut décider seul de ce qu’on peut ou de ce qu’on ne peut pas voir en France.

eva husson
Nous rappelons qu’il existe une Commission de classification, composée d’experts représentant les professionnels du cinéma, les familles, les enfants, la jeunesse, la justice, la santé et même l’intérieur. Cette Commission exerce déjà son rôle essentiel de garantir la protection des spectateurs. Il n’est plus tolérable qu’un seul homme puisse se servir de défauts existant dans nos textes au mépris de la légitimité et du travail de cette commission. 

Antichrist hier encore, après La vie d’Adèle, Love, Nymphomaniac… et peut-être demain Bang gang (Une histoire d’amour moderne)… Il est ahurissant que tant de films, largement salués dans les plus grands festivals et qui n’ont heurté la sensibilité de personne, sinon les promoteurs d’un nouvel obscurantisme, puissent être interdits au public.
C’est notre vision du monde, et plus particulièrement de la France, qui est heurtée aujourd’hui, alors que la liberté de création est violemment bafouée.
Nous demandons donc à la Ministre Fleur Pellerin de prendre d’urgence les mesures issues des travaux confiés à Jean-François Mary sur la modernisation du système de visa. Elles permettront de rendre à la Commission de classification tout son sens et tout son poids.
Ce nouveau pas en arrière confirme encore une fois que l’urgence est bien réelle.
"

Photo Bang Gang

Tout savoir sur Antichrist

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Kaligula
05/02/2016 à 13:40

Sur Promouvoir on est clairement d'accord, pas de doute.

Pour le reste, je continue à dire que c'est bien plus compliqué que ça.
Car encore une fois, comment savoir ce qu'est un film avant même de le voir ?
Comment peut-on être certain (et surtout à un âge où on considère qu'on est sexuellement pas responsable par ex, donc pas totalement maître de ses actes et plus perméable qu'un adulte) qu'on ne sera pas profondément perturbé par une oeuvre, avant même de l'avoir vue ?
Et n'y aurait-il pas, d'une manière ou d'une autre, une limite d'âge pour un film (à 14 ans vous estimez qu'il serait possible de voir Antichrist, soit ; mais à 10 ans ? 8 ans ? si un enfant de 9 ans demande une place pour aller voir Saw 3D, vous pensez qu'il faudrait le laisser entrer, aller inculper ses parents irresponsables, ou ne rien faire sur le principe-maître de responsabilité individuelle ?)

La commission de classification a ce rôle, perfectible mais nécessaire dans une société. Et encore une fois, ça ne touche qu'une partie de la carrière d'une oeuvre : c'est franchement pas dur de voir n'importe quel film hardcore à n'importe quel âge, avec ou sans l'aide des parents. Donc l'interdiction est aussi très symbolique.

Et rappelons nous que ce peuple à ne pas infantiliser serait (en partie) celui qui se retournerait contre l'Etat s'il n'avait pas posé d'avertissement ou d'interdiction sur une oeuvre jugée choquante. Donc dans une société avec un spectre politico-social si vaste, on ne peut décemment reprocher une classification.

Fox
05/02/2016 à 13:05

Kaligula, je comprends votre point de vue car, au final, nous partageons le même sur beaucoup de points.
Le principal est qu'il y ait débat sur le sujet parce qu'il tend un miroir sur notre société en général.
Ce qui se passe avec Promouvoir pose les questions de savoir qui décide, comment, pour qui et par quels moyens (et je rajouterai aussi pourquoi). En l’occurrence, un petit groupe non représentatif de la population qui, sous couvert de failles juridiques, arrive à déterminer ce qu'il est de bon ton de regarder et à quel âge. Ils ne consultent personne si ce n'est eux-mêmes, ne posent aucune question mais ont déjà toutes les réponses... Si certains ont encore des doutes sur leurs manières d'agir, je leur conseille d'attendre l'étape suivante où on aura droit à quelques autodafés sur les places publiques ; peut-être que ça fera remonter quelques images du passé...
Pour ce qui est de mon propos sur "Interdire" ou "Avertir", je l'assume. Je pense que l'Etat doit interdire à partir du moment où le risque vital est clairement établi ; c'est très terre-à-terre, mais rouler à 200 km/h sur une route de campagne ou tirer au fusil de chasse sur son voisin se termine rarement sur une note heureuse.
Interdire l'accès à une forme de culture à une catégorie d'âge, c'est un peu faire le boulot des parents. Ca participe à la déresponsabilisation de la sphère familiale dans une partie de l'éducation des enfants et c'est un point de vue dans lequel je ne me retrouve pas. Partant de ça, comme les parents auront estimé qu'il était du ressort de l'Etat de faire leur "travail éducatif" à ce niveau, plus dure sera la chute lorsque l'interdiction tombera (fatalement et normalement, un enfant atteint un jour ou l'autre l'âge de 12, 16 ou 18 ans).
Lui masquer la réalité "par paliers" comme c'est le cas avec ce système me paraît être une très mauvaise chose. Chacun aura son avis là-dessus...

Kaligula
05/02/2016 à 12:12

Fox tu soulèves des questions intéressantes qui font partie du débat (un peu plus en profondeur), mais c'est compréhensible qu'il existe des règles. Il faut un équilibre entre toi qui pense que chacun est responsable et ne pourra s'en prendre qu'à lui-même, et ceux qui pensent que l'Etat doit absolument protéger les citoyens au maximum, quitte à les infantiliser.

En l'occurrence : difficile de savoir à quel point un film sera choquant ou extrême avant de l'avoir vu. C'est le rôle de la commission d'en juger sur des critères censés être objectifs, et culturels.
Et à 14 ans, même si tu penses pouvoir ou vouloir, ce n'est pas toujours vrai.

D'autant que bon, on a tous vu des films "interdits" étant plus jeunes : TV, DVD, internet désormais. Donc tu soulèves des questions pas inintéressantes mais qui me semblent pas primordiales. D'autant que "déconseillé" existe à la TV, et qu'au ciné il y a le palier "avertissement".

Mais je suis totalement d'accord sur la questions des clips et autres images débilisantes et vulgaires. Si Promouvoir était réellement en accord avec ses principes, et ne cherchait pas de la provoc et une couverture médiatique avec des films déjà sortis, ils s'attaqueraient à des choses que la commission de classification ne traite pas (ou pas avec autant de fermeté). C'est là qu'on voit qu'ils sont ridicules.

Fox
05/02/2016 à 12:02

Je pense sincèrement qu'il faudrait "déconseiller" et non "interdire".
Ca peut paraître puéril dit comme ça, mais je pense que c'est la solution la plus équitable et la plus saine qui soit.
Il me semble qu'un film qui sort en salles n'est pas exposé dans la rue à la vue de tous. Il y a tout un cheminement qui consiste à avoir envie d'aller voir un film, puis de payer un billet pour assister à une oeuvre de fiction (le mot est important) qui se déroule dans un lieu clos. Il me semble non plus qu'on ne force personne à agir ainsi (et heureusement !). Donc les gens qui paient leur billet, vont voir le film pour lequel ils ont été avertis au préalable, en sortent en hurlant au scandale, choqués dans leur âme et leur chair... j'appelle ça de l'hypocrisie pure et simple.
Ai-je envie de voir des corps mutilés par la guerre, des milliers de réfugiés qui fuient l'horreur de leur pays ? Des clips de rap aux comportement putassiers ? Non. Pourtant ces images pourraient tout autant être "choquantes" aux yeux de certains, non ?. Et malgré cela, elles sont en libre accès à la télévision, sans interdiction d'aucune sorte : il suffit d'appuyer sur un bouton.
Alors si un jeune de 14-15 ans, équilibré, ressent le besoin d'être bousculé et de voir autre chose que la pauvreté culturelle qu'il ingère malgré lui à cause de la télé et du cinéma actuel, alors qui suis-je pour le lui interdire ? Moi qui faisais pareil à son âge, fraudant ou achetant des billets pour d'autres films parce que je n'avais "pas le droit" d'y aller. J'y allais en toute connaissance de cause et avec beaucoup d'envie. Et je ne suis pas un serial-killer-violeur pour autant.
Le problème est ailleurs en réalité : il s'agit de l'éducation à l'image. Il est plus facile d'interdire que d'éduquer. C'est vrai qu'expliquer à quelqu'un (quel que soit son âge) ce qu'il voit, pourquoi ça existe, comment ça a été réalisé, quel est son ressenti par rapport à ça... ça prend du temps et nécessite un dialogue. Il est évident que, cloîtré chez soi, fuyant la vie sociale et les échanges constructifs, hypnotisé derrière son ordinateur, le dialogue paraît compliqué à mettre en place.
La société a donc choisi la solution de facilité, qui est d'interdire.
Pas sûr qu'on y gagne en maturité intellectuelle...

Kaligula
05/02/2016 à 11:30

Sauf que citer un propos sexiste (selon ton analyse) ou une caricature traumatisante (selon toi), ne sont en rien des éléments susceptibles d'être mobilisés pour changer la classification d'un film. Or, c'est exactement ce que tu as écrit. C'était peut-être de la provoc, de l'humour ou de la maladresse, mais c'était absurde.
Sinon, je répète : créons une commission qui jugera les dégâts intellectuels d'un film, même d'une grosse comédie populaire.

Antichrist n'a jamais été vendu et distribué comme un film normal : interdiction aux -16ans et censure de quelques minutes trop graphiques. Antichrist ne correspond en rien à un film porno selon la définition officielle, donc comme tu le dis, -18 ans pas nécessaire.
L'article dit évidemment que dans le cadre de la classification d'origine, Adèle, Antichrist ou Bang Gang n'ont traumatisé personne, en salles ou en festivals (pourtant meilleur théâtre des buzz sur les évanouissements et etc, et très bon juge puisque première présentation des films). Aucune polémique de "j'ai 16 ans et demi, j'ai vu le Lars von Trier et depuis, je suis traumatisé". Il ne s'agit pas de dire que ce sont des films grand public, mais que l'interdiction de base était adaptée.

Et comme le dit si bien l'article, une commission très lourde, qui prend en compte tous les aspects d'un film et son public, a déjà oeuvré sur ces films. Peu importe si l'association est catho j'ai envie de dire : le problème de fond reste le même. Si c'était une association d'anarchistes qui voulait ouvrir Antichrist à tout public, ce serait tout aussi problématique.

Hélène Hémeurtre
05/02/2016 à 11:11

Je cite :
"Antichrist hier encore, après La vie d’Adèle, Love, Nymphomaniac… et peut-être demain Bang gang (Une histoire d’amour moderne)… Il est ahurissant que tant de films, largement salués dans les plus grands festivals et qui n’ont heurté la sensibilité de personne (..)."

Je faisais ma remarque sur ce point, sans dire que le fait "d'heurter la sensibilité" justifiait forcément une interdiction aux moins de 18 ans, bien sûr. Mais prétendre que les films cités n'ont heurté la sensibilité de personne, c'est un excès dans un autre sens. D'ailleurs, Von Trier fait clairement des films pour "heurter les sensibilités", lui retirer ça, je ne suis pas sûr que ça lui plairait. C'est un provocateur, il ne fait pas des films tout public, il est là pour secouer, comme Noé, comme Kechiche d'ailleurs, et donc, oui, ça peut heurter la sensibilité du public et même, ça doit le faire.
Et donc, je ne vois pas en quoi le fait de restreindre l'accès à ses films aux moins de 12, 16 ou 18 ans (dans le cas d'oeuvres pornographiques) et lier ces diverses interdictions d'un avertissement quant au contenu des films, pose problème.

Comme je l'ai dit, le vrai problème dans le cas présent c'est que ce soit une association d'extrême droite catholique fanatique qui se charge de discuter et/ou d'imposer lesdites interdictions, là est l'aspect absurde.

Kaligula
05/02/2016 à 10:38

Choqué par les aspects caricaturaux de La Vie d'Adèle ? Haha. Celle là elle est magnifique. Sur un débat de fond et de principe, lire à chaque article l'avis purement personnel de quelqu'un sur le film visé, c'est fantastique.
Mais oui bien sûr, créons un comité qui interdira aux moins de 18 ans les films qui choquent car caricaturaux. J'espère que Promouvoir va interdire aux moins de 18 ans Les Tuche 2 très bientôt.

Hélène Hémeurtre
05/02/2016 à 09:49

Autant je n'adhère ni à la ligne politique de Promouvoir, ni à ses méthodes, autant écrire que des films comme La Vie d'Adèle ou Antichrist n'ont "choqué la sensibilité de personne" c'est un peu tiré par les cheveux. Pour de nombreuses raisons, qui n'ont d'ailleurs pas forcément de rapport avec le contenu sexuel et/ou violent de ses films, ils ont pu choquer. Que ce soit les aspects caricaturaux de La Vie d'Adèle ou la misogynie assumée d'Antichrist, il y avait de quoi être choqué. Pour le reste, l'interdiction aux moins de 16 ans avec avertissement me paraît suffisante, même si dans le cas d'Antichrist c'est à la limite. Pour Love, par contre, pas de doute, c'est moins de 18 ans, tant le film se drape de misogynie souffreteuse pour justifier son porno arty.

Stridy
05/02/2016 à 07:28

Franchement si les commissions avaient fait leur boulot au lieu de mettre des +12 à un Rambo (et les autres exemples ne manquent pas). Elles ont été beaucoup trop permissives, et au bout d'un moment ça amène des réactions.

Et au delà de ça, et malgré toutes les qualités du film, mettre +18 à un film montrant une excision en gros plan ça ne me choque pas.

berserk
05/02/2016 à 00:14

Enfin! Il était temps que ça bouge !