50 Nuances de Grey : pourquoi Dakota Johnson et Jamie Dornan crachent sur le film

Simon Riaux | 10 février 2015
Simon Riaux | 10 février 2015

En raison du succès international et délirant du roman qui l’a précédé, la sortie de 50 Nuances de Grey attise les plus folles convoitises, excite tous les médias, des plus cinéphiles aux plus mainstream, malgré une promotion aux airs de catastrophe planétaire. A moins qu’elle ne soit beaucoup plus maline qu’il n’y paraît.

 

CACHEZ DONC CE SEIN

A lire les communiqués, décortiquer les interviews et parcourir les commentaires qui inondent le web, 50 nuances de Grey serait un texte érotique sulfureux, particulièrement provocateur et potentiellement scandaleux. Une affirmation qu’il convient de nuancer grandement.

En effet, si le sado-masochisme n’est pas le fantasme le plus courant ou celui le plus fréquemment représenté dans la littérature sentimentale, il n’est pas non plus d’une originalité fracassante. Si l’on ajoute à cela la dimension de richissime playboy aux allures de top model qu'est Christian Grey, la dimension inédite de ce personnage disparaît purement et simplement.

Enfin, n’oublions pas que le texte d’E.L. James prend soin de ramener tous ses protagonistes dans le chemin de la vertu, de l’amour vrai, loin de la domination et des pratiques sexuelles marginales, annulant par là même la charge potentiellement subversive du livre. Et sa dimension érotique.

Ce constat effectué, auquel s’ajoute la volonté d’Universal, affichée et revendiquée, de délivrer le film le plus grand public possible, il faut reconsidérer la nature du projet 50 Nuances de Grey. Le métrage visant un public similaire à celui du livre, l’idée n’est en aucun cas de le choquer.

Etant entendu que ce public cible ne vient pas chercher de l’érotisme, mais un produit de consommation estampillé érotique, un succédané de frisson, garanti sans risque,. Il faut trouver le moyen de lui assurer qu’on ne lui mettra pas d’horreurs devant les yeux, sans lui annoncer clairement qu’on le convie à une arnaque à laquelle il consent.

 

QUE JE NE SAURAIS VOUS MONTRER

 

En effet, les spectateurs potentiels de 50 Nuances de Grey font face à une injonction contradictoire, inhérente à notre actuelle société de consommation. Celle de jouir de tout, continuellement et de la manière la plus performative mais surtout, de jouir correctement, selon l mode d’emploi. Et les notions de domination, ascendant et souffrances ne sont absolument pas compatibles avec notre époque qui fait de l’égalité, de l’équité et du respect des valeurs fondatrices. En tout cas, elles ne le sont pas assez pour assurer un succès commercial massif à un public en quête de divertissement.

Comment convaincre des gens que Sade choqueraient, que les poèmes de Mallarmé sidèreraient ou qu'une seule scène de L'Empire des sens suffirait à faire tourner del'oeil qu'ils ont sincèrement envie de regarder un milliardaire torturer une innocente vierge dans son penthouse ?

 

C’est dans ce contexte que la promotion en apparence totalement ratée du film fait sens.

Jamais on n’avait vu deux comédiens (comme l’expliquaient très bien Première et Defamer dans de récents articles) afficher aussi clairement leur mépris pour le sujet du film qu’ils venaient vendre.

 

TEL EST PRIS

 

Il y a peu, Jamie Dornan affirmait avoir dû se laver après avoir visité un Dongeon du Sexe, tandis que Dakota Johnson exprimait tout le stress et l’horreur des situations ressenties. Chacun a fait comprendre à plusieurs occasions combien l’autre lui était indifférent.

Là où la logique voulant que les participants à un blockbuster soutiennent envers et contre tout le projet et en donnent en toute occasion une image bénéfique, nous avons assisté à un déballage invraisemblable.

Jamie Dornan déclarait en marge d’un tapis rouge combien il se refuserait toujours « à faire subir pareils traitements à une femme », tandis que Dakota Johnson expliquait au Telegraph il y a quelques heures à peine que le tourner les scènes de sexe « était comme de regarder quelqu’un qui me ressemble beaucoup faire des choses vraiment étranges. J’étais totalement détachée. »

Un discours qui ressemble à une négation du film, de son sujet, de ses intentions, lui qui sort pour la Saint Valentin dans le but d’émoustiller la fibre romantique sommeillant chez les spectateurs et spectatrices.

En réalité, ce positionnement pourrait bien être le plus intelligent possible. On pourrait se demander comment l’adaptation d’un livre réputé érotique peut encore intéresser ses lecteurs et le public après que la production ait admis en avoir exclu les scènes les plus chaudes et que les comédiens aient passé des mois à cracher sur le contenu du métrage.

 

QUI CROYAIT PRENDRE

 

Sauf que le film de Sam Taylor-Johnson, comme le livre dont il s’inspire, doit en réalité rassurer. L’immense majorité des clients potentiels de ce produit culturel n’ont jamais expérimenté le sado-masochisme et ne s’y aventureront jamais. La plupart d’entre eux réprouvent plus ou moins cette pratique et n’envisage pas la douleur ou la souffrance comme une source de paisir.

Afin de les amener à dépenser une dizaine d’Euros et entrer de la salle, il faut donc leur envoyer un clin d’œil complice.

« Oui, vous venez voir un truc bizarre, mais promis on ne va pas trop loin. De toute façon, nous aussi on trouve ça dégueu. »

C’est en substance le message qu’adresse Universal aux spectateurs potentiels. A tout ceux qui passée l’excitation de l’annonce, le frisson d’apprendre que ce bouquin dévoré en secret dans son coin arrive sur les écrans, s’inquiètent tout d’un coup de se retrouver troublés dans les ténèbres d’une salle obscure, entourés d’inconnu(e)s, le studio adresse un message subliminal.

« C’est pour de faux, il ne va rien vous arriver. »

Du coup, les apparents ratés de la promotion apparaissent comme autant d’occasions, volontaires ou non, de signifier au public qu’il n’a rien à craindre, qu’on va jouer à se faire peur. Et à en croire les attentes affichées par la Major, le pari est en passe d’être gagné haut la main.

Tout savoir sur Cinquante nuances de Grey

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commentaires
Coltrane
10/02/2015 à 13:39

Intéressant, ce texte... Mais juste pour pinailler, c'est plutôt Baudelaire qu'il faut citer pour la poésie "érotique" (ou Bataille, pour les amateurs de hardcore)... Mallarmé, lui, était un gentil prof d'anglais fâché avec la syntaxe...

sylvinception
10/02/2015 à 12:05

+ 10000 Dirty Harry!!

Revoyez - ou découvrez - le génial "La Secrétaire" plutôt que de vous farcir cette daube!!

Bon après, c'est clair qu'il y a suffisamment de "ménagères" et de jeunes ados pré-pubères ayant lu le livre qui paieront leur place pour que ça marche, hein...

lonekin
10/02/2015 à 09:44

Intéressant décryptage !

Dirty Harry
09/02/2015 à 20:05

De toute façon sur le sujet, "La secrétaire" reste indépassable que ce produit censé titiller la ménagère...