Pourquoi faut-il redécouvrir Lord Jim ?

Simon Riaux | 2 juillet 2014
Simon Riaux | 2 juillet 2014

La ressortie de Lord Jim en Blu-ray dans une édition digne de ce nom est un événement qu'il convient de souligner. À l'heure où les divertissements de masse semblent avoir quasiment éradiqué la forme classique du film d'aventure, le classique réalisé par Richard Brook arrive à point nommé pour nous rappeler les fondamentaux d'un genre en perte de repères, incarné ici par un de ses plus brillants représentants. Pourquoi est-il urgent de redécouvrir Lord Jim ?


Pour se souvenir de Richard Brooks

Metteur en scène aussi à l'aise dans le registre épique qu'à travers l'exploration de l'intime, Brooks n'est peut-être pas le plus connu des artistes américains, et pour cause, ses travaux qui précédèrent de peu la déferlante du Nouvel Hollywood ont été un peu laissés de côté suite àau raz-de-marée analytique consacré aux années 70. Sans compter, que mal reçu par la presse et le public à sa sortie, le film ne connut pas le succès qu'il méritait et coûta professionnellement cher à nombre de ses acteurs. Il n'en demeure pas moins un artisan essentiel, capable de donner vie à des scénarios complexes et charpentés, dont l'art du divertissement ne se conçoit jamais à l'encontre de la subtilité ou de la finesse psychologique des personnages. Et aussi parce qu'oublier le réalisateur de La Chatte sur un toit brûlant, ce serait un peu criminel sur les bords.


Parce que Peter O'Toole

Son rôle de Lawrence d'Arabie a traversé les décades et les générations marquant nombre de spectateurs et de cinéastes. Ainsi Ridley Scott ira-t-il jusqu'à lui donner une place éminemment symbolique dans son brillant Prometheus à travers le personnage de Michael Fassbender. Mais on oublierait parfois que Peter O'Toole fut un immense acteur dont un seul rôle (fut-il exceptionnel) ne doit pas masquer l'impressionnante carrière. Lord Jim est une de ces partitions à la remarquable finesse, un homme tour à tour idéaliste, brisé puis transcendé par la mécanique de l'Histoire. O'Toole compose ici une mélodie bouleversante, terriblement humaine, qui n'est pas sans rappeler d'autres merveilles, notamment les écrits de Stephen Crane consacrés à la Guerre de Sécession, ouvrages matriciels consacrés à la naissance du courage et l'acceptation de la lâcheté en tant que condition de l'humanité.

Parce que Eli Wallach

Mort il y a seulement quelques jours, Eli Wallach fut l'une des plus mémorables et affolantes gueules du cinéma américain. Entré dans l'histoire grâce au Tuco de Le Bon, la Brute et le Truand, il interprète ici un dictateur agressif et peu fréquentable, qui offrir l'occasion à Jim de s'accomplir et de devenir un héros, non sans éprouver durement son appréciation du bien et du mal. Wallach eut l'une des plus prolifiques et longues carrières de toute l'histoire d'Hollywood. Lord Jim en témoigne à propos et permettra sans doute à bien des cinéphages de redécouvrir une facette de cet artiste d'exception, dont le travail rappelle ici le futur Colonel Kurtz d'Apocalypse Now, une autre adaptation d'un texte de Conrad.

Parce que belle édition

Une fois de plus, Wilde Side a vu grand pour ce classique et n'a pas ménagé ses efforts histoire de nous proposer une version sinon définitive, en tout cas nettement plus mémorable que la précédente disponible dans nos contrées. DVD du film, version longue en Blu-Ray, livre de 180 pages écrit par Patrick Brion accompagné de photos et documents rares, néophytes ou spécialistes devraient apprécier de retrouver une œuvre trop rarement mise en avant dans un écrin de ce type. Pour qui n'a pas encore cédé aux sirènes du dématérialisé, ça va être la fête du slip.


Parce que Joseph Conrad

À l'image d'un Jack London, Conrad est de ces auteurs dont on se fait parfois une image faussée. Catalogué auteur d'aventures, avant qu'Apocalypse Now ne pousse certains paresseux à le propulser « écrivain des ténèbres », Conrad est à l'image des lieux qu'il visite et de ses thématiques, un artiste dont la complexité n'est souvent qu'effleuré. Radiographe d'une humanité perdue, avançant à tâtons à travers les fourches caudines d'une histoire impitoyable, il manie avec autant de dextérité le récit de voyage que l'introspection symboliste. Difficile de résister aux descriptions suaves d'une nature sauvage et bouillonnantes, ou de ne pas être bouleversés par la précision psychologique de son style, lyrique et brûlant, simple et multiple. Joseph Conrad est indiscutablement un des auteurs majeurs de son temps et à bien des égards un précurseur de conteurs tels que Terrence Malick. Adaptés au cinéma, ses textes conservent toute leur densité, tandis que leur transpositions s'avèrent autant de pressantes invitations à la lecture.

Parce que c'est mieux que la coupe du Monde

Voilà sans doute la meilleure raison de vous retrancher dans votre salon, d'enfiler un short kaki, une chemisette et un casque coloniale, welcome to high adventure.

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