Découvrez Réception (Save the date), une étonnante comédie érotique de science-fiction

Simon Riaux | 19 juin 2014
Simon Riaux | 19 juin 2014

À l'heure où les « films du milieu » défendus avec sagacité par Pascale Ferran semblent en voie de disparition, alors que le cinéma français se divise plus que jamais entre productions à la fragilité palpable et comédies populistes de masse, un cinéma indépendant renaît petit à petit de ses cendres. Une histoire banale, La pièce manquante, Party Girl, Donoma, Les Rencontres d'Après minuit... Les entreprises en marge du système, voire produites contre, tout contre lui se multiplient et sont l'occasion d'autant de franches réussites. D'où l'envie et le besoin de suivre l'une de ses œuvres dès sa création, jusqu'à son aboutissement. Écran Large vous propose d'embarquer au sein d'un projet atypique et pourtant diablement français aux côtés de Gilles Verdiani, intitulé Reception  (Save the date).

 

En 2020, les grands maux de l'humanité sont du passé. Guerre, famine, intolérance, violence, racisme, impérialisme ont été balayés par la marche triomphante du progrès. Seule ombre au tableau, dans cette France futuriste, il est toujours aussi compliqué de coucher avec qui l'on veut, comme on veut. Si la morale n'a plus son mot à dire dans la sélection du partenaire idéal ou la structure familiale à respecter, la société nouvelle ne tolère pas que les individus sortent des cases qui sont les leurs. Ainsi, si chacun est libre de son orientation ou du choix de son (sa) partenaire, il ne peut en changer selon son bon vouloir et tout le monde compose avec une implacable police des mœurs. C'est dans cet univers qu'a lieu la fête organisée par Lucrèce, dont tous les participants vont éprouver un désir contrevenant à leurs orientations originelles. Décalée, décomplexée, ludique et vaudevillesque, cette comédie de science-fiction détonne dans un paysage cinématographique français empesé de clichés et de formules thématiques et esthétiques rabâchées.

Scénariste et écrivain (dont la raffinée Nièce de Fellini fut récemment chroniqué dans nos colonnes), Gilles Verdiani n'a pas attendu la dernière pluie pour envisager de passer derrière la caméra. Né en 1966, il est trop jeune pour intégrer l'IDHEC et se tournera donc vers son héritière, la FÉMIS, dont il sera parmi les premiers à découvrir le fameux concours d'entrée. « Le thème du dossier était bien sûr quelque chose d'invraisemblable. D'incompréhensible. J'ai pris une caméra et je suis allé filmer ceux qui avaient réussi le concours, mais personne n'a été capable de m'expliquer comment il avait fait, ou ce qu'il avait mis dans son dossier de candidature. Je crois que c'est encore un mystère pour les postulants aujourd'hui. » Après cette première déconvenue de jeunesse, Gilles s'essaiera au court-métrage avec Sic Transit, digression sentimentale déjà, consacrée à la naissance de la nostalgie.

 

Gilles Verdiani présente le film RECEPTION (Save the date) from Gilles Verdiani on Vimeo.

Mais la route est encore semée d'embûches et le jeune auteur ne trouvera pas immédiatement long-métrage à son pied. De scénario en projets, de projets en développement, le premier film se fait attendre et c'est finalement comme journaliste et scénariste que Gilles Verdiani fréquentera le celluloïd. Pour autant, l'auteur du scénario de L'Amour dure trois ans n'abandonne pas l'idée de réaliser, c'est par l'écrit que ce désir se matérialisera à nouveau. Membre du collectif d'artistes La Zone érogène, il rédige et publie un pamphlet contre l'immobilisme de la mise en scène contemporaine, Moratoire sur le champ/contrechamp, qui fera réagir un tout jeune réalisateur, Quentin Jagorel, également fondateur du site Profondeurdechamps.com . « Quand le mettrez-vous en application ? » lui demande-t-il.

Ni une ni deux, Gilles Verdiani décide que le moment est venu de le réaliser ce premier long, mais sans passer par les fourches caudines du système hexagonal traditionnel. « Je voulais faire un film avec les gens, pas avec une succession de guichets. Dès que je me suis mis à chercher un argent autre que l'argent public, j'ai reçu des réponses positives, j'ai rencontré des personnes enthousiastes. On oublie trop le financement privé dans le cinéma. Il faut s'éloigner des schémas classiques, parce qu'ils sont conçus pour écarter l'originalité. Qu'il s'agisse de SOFICA ou d'établissements publics, tous ont des grilles de lectures, des attentes qui ne se conjuguent pas ou peu avec l'innovation, la recherche, la curiosité. »

Une réflexion prosaïque, un cinéma guérilla qui part la fleur au fusil. « Les projets originaux et portés par une vraie volonté artistique, par l'envie et le désir, ne sont pas si fréquents. Beaucoup de comédiens, de techniciens sont prêts à participer à des productions très modestes pour peu qu'elles sortent de l'ordinaire. Lorsque j'ai essayé de réaliser mon premier long-métrage, j'ai passé des années de dossiers en commissions, de réunions en réécritures, pour ne finalement pas aboutir. Depuis que j'ai décidé de réaliser un film, de trouver directement dans le privé les fonds pour y arriver, tout le monde accepte, tout le monde dit oui. C'est une dynamique que suivent des gens comme Santiago Amigorena ou Alain Raoust. » L'occasion de découvrir que certains passages « obligés » de la production française ne le sont que sur le papier. Reception (Save the date) pourrait ainsi ne pas recevoir l'agrément du CNC. « Pendant des années, j'ai cru qu'il s'agissait d'une obligation légale. On me l'a dit, répété. Et j'ai découvert que non, pas du tout. Évidemment, ça ne facilite pas les choses, bien sûr ce n'est pas la situation rêvée pour un distributeur, mais cela n'a rien d'obligatoire. Et ce n'est pas non plus forcément un frein à l'exploitation d'un projet dont l'économie et le budget sont radicalement différents du tout venant. »

Pour mettre sur pied son film, dont le tournage doit commencer l'automne prochain, Gilles Verdiani mène tout de front. Réception (Save the date) a désormais un site officiel, qui rendra compte de l'avancée du projet, de son développement et permettra aux futurs spectateurs de s'investir eux-aussi dans cette création d'un genre nouveau. Gilles Verdiani y détaille les ambitions et la conception du projet, en dévoile le casting ainsi que la direction artistique. Tout a été conçu pour s'accorder avec les bouleversements apportés par les technologies numériques. D'un tournage à plusieurs caméras, pensé pour permettre aux dix-neuf personnages d'évoluer le plus librement possible, en passant par un décor unique, dont la raison d'être n'est autre que la captation, les pièces d'un singulier puzzle commencent à s'assembler.

« Il y a énormément d'initiatives dont il faut s'inspirer, de personnes ou d'entités privées désireuses d'investir ou de participer à des projets différents. Le financement participatif, le crowfunding et le placement de produits sont autant de pistes dont tout le monde parle, l'idée est en quelque sorte de devenir notre propre SOFICA. » L'excroissance numérique du film permet ainsi aux curieux, aux cinéphiles, ainsi qu'aux potentiels investisseurs de découvrir l'équipe du film, technique et artistique, de se faire une première idée du décor, des comédiens, de l'univers visuel du métrage ainsi que de la philosophie qui préside à sa conception.

 

Écran Large suivra désormais régulièrement l'avancement du projet et s'entretiendra avec son chef d'orchestre, Gilles Verdiani, pour en suivre l'évolution. De son financement, en passant par son tournage, son montage et sa distribution, c'est à une aventure peu commune que nous convie Reception (Save the date), en marge de l'écosystème académique du cinéma français mais typique d'un système D frenchie de plus en plus dynamique et novateur. Nous espérons que cette initiative vous séduira et que vous aurez plaisir à suivre le feuilleton d'une création décalée et décapante.

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