Cannes 2014 : qui sont les vrais gagnants ?

Simon Riaux | 26 mai 2014
Simon Riaux | 26 mai 2014

Les gagnants du Festival de Cannes ne sont pas les seuls récompensés par le Jury. Loin de là. Au sein d'un Festival qui accueille le plus important Marché du film au monde et plusieurs centaines de métrages, les dynamiques et réussites sont très loin de se limiter aux seuls Palmes et autres prix. Il est des sociétés, des sélections, des personnalités qui chaque année façonnent la Croisette et se voient propulsés au firmament. Duels d'influences, jeux de pouvoirs et réputations... Passons en revue les grands gagnants de cette 67ème édition du Festival de Cannes.


Wild Bunch

La montée en puissance de Wild Bunch ne se dément pas, année après année. On n'imaginait pourtant pas que la société de Vincent Maraval puisse faire beaucoup plus fort que La Vie d'Adèle, Palme d'or 2013 véritable précis de communication festivalière, tandis que le film menaçait de s'embourber sous des tonnes de polémiques diverses et variées. Pourtant Wild Bunch est parvenu simultanément à truster une nouvelle fois le palmarès, tout en piratant le Festival. En effet, Welcome to New York, s'il ne connut pas l'honneur d'être sélectionné par la Croisette, s'est invité à Cannes et a littéralement volé la vedette au Festival et à sa sélection. Emmené par un Depardieu gargantuesque, le film a permis au Festival de renouer avec sa vieille tradition des scandales, qu'on n'avait pas connu aussi vigoureuse depuis de nombreuses années.

Mieux encore, la société est parvenue malgré cet énorme doigt d'honneur à embarquer le prix du jury, remis à Jean-Luc Godard, récompensé pour la première fois à Cannes. Au sortir d'une projection homérique, le cinéaste voit son blason déclinant redoré et continue d'installer le distributeur-producteur dans une position inédite, entre communication, cinéphilie de pointe et audace. Ajoutons à cela une très forte présence sur le Marché du Film et l'on comprendra sans mal qu'une fois de plus, la Croisette s'est révélé le terrain de jeu privilégié de Vincent Maraval. Ajoutons qu'avec dans ses valises les films des frères Dardenne, de Ken Loach et de Michel Hazanavicius, Wild Bunch débarquait sur la Croisette fort d'un carré d'as stratégiquement imparable.

 

 

Thierry Frémaux

L'année s'annonçait difficile. Départ de Gilles Jacob, arrivée de Pierre Lescure, qui n'entend sans doute pas jouer un rôle honorifique, Thierry Frémaux et ses équipes devaient montrer leurs muscles pour ne pas se voir remis en question. Une posture d'autant plus compliquée à tenir que le cru 2013 ayant été exceptionnel, assurer une édition 2014 de haute volée tenait de la gageure. À en croire la presse hexagonale, ce fut chose faite, tant l'ensemble de profession semble satisfaite des œuvres proposées et de leur qualité. On sera infiniment plus réservé sur une sélection que nous jugeons « défensive » et avare en prise de risque, comme en témoigne un palmarès dont aucun gagnant n'est un nouveau venu, loin s'en faut. Il n'empêche grâce à un jury éclectique et un retour dans les médias extrêmement positif, Thierry Frémaux ressort visiblement plus maître du navire que jamais. Une situation méritée, au vu du travail accompli et de la place qui est aujourd'hui celle du Festival de Cannes. Attention toutefois, les défis à relever pour assurer l'avenir du Festival s'annoncent immenses.


Jean-Luc Godard

On le disait fini, rance, aigri, voire gâteux. Si la projection de son attendu Adieu au langage est loin d'avoir convaincu l'ensemble des spectateurs (à commencer par nous), la passion provoquée par le film et sa présence au palmarès auront eu plusieurs effets. Tout d'abord, chacun a pu constater la résistance du mythe Godard. Malgré plusieurs déclarations provocatrices, insultantes voire déplacées, personne ne s'est élevé pour remettre en pace l'une des figures les plus immensément cultes du Septième Art, preuve que le metteur en scène demeure intouchable. Mieux encore, malgré ses rodomontades à l'encontre des possibles récompenses que le jury pourraient lui adresser, Godard a bien été récompensé, aux côtés du plus jeune artiste de la sélection qui plus est ! Et le réalisateur de revenir au centre du jeu, malgré le temps qui passe, malgré ses détracteurs, en dépit même d'une œuvre en décomposition avancée et de recevoir sa toute première récompense sur la Croisette. Il n'y qu'à Cannes que l'on voit ça !

Les sélections parallèles

Cette année encore, les sélections parallèles auront fait le bonheur des cinéphiles. Pour beaucoup, le cinéma n'était pas à chercher du côté de la sélection officielle, sorte de all star game aux joueurs fatigués, mais chez La Semaine de la Critique ou La Quinzaine des réalisateurs, riches en créations audacieuses. Plus que des compétitions parallèles et pointues, ces sections se sont avérées autant de pépinières de talent ou d'écrins idéaux de confirmation, ainsi qu'un terrain d'expérimentation pour des films radicaux, souvent marqué par le genre. Le fantastique et l'horreur et le genre en général sont ainsi les grands gagnants de cette édition 2014, où ont triomphé : It follows, Alleluia, When Animals dream, Catch me daddy, ou encore The Tribe. Une nouvelle fois, ces sections du Festival se sont révélées quasiment seules à oser mettre en avant des premiers films tels que Party Girl ou encore Les Combattants.



Gérard Depardieu

Encore un revenant récupéré par l'écurie Wild Bunch. Relégué à la page des faits divers et traité par les médias comme un semi-dément suppôt du fascisme, c'est peu de dire que Gérard Depardieu était médiatiquement au bout du rouleau. Il aura suffit d'une présentation publique de Welcome to New York et de deux regards caméra pour rappeler la dimension sacrée du monstre. La presse anglo-saxonne elle-même s'est avérée sidérée par la performance de l'acteur, dont la folie, la prise de risque et l'outrance transforment instantanément le DTV partouzard d'Abel Ferrara en happening à la Cassavetes.

Le Marché asiatique

Une simple visite sur les stands du Marché du film suffisait à prendre conscience des dynamiques à l'œuvre. Avec une présence accrue de 40%, l'organisation de multiples rencontres, rendez-vous et colloques, la Chine était clairement un des leaders de la Manifestation, tant au niveau institutionnel qu'en terme de présence de producteurs et acheteurs. Face à une présence anglo-saxonne mesurée (Toronto est passé par là), et un secteur européen en berne (pour être poli), l'Asie s'est imposée comme une zone de commerce volontaire, désireuse de se montrer sous son meilleur jour ainsi qu'un marché accueillant, en dépit des récentes tensions qui l'ont opposée à certains studios américains. Un mouvement qui devrait encore s'accentuer et qui ne fut pas loin de rendre anecdotique la présence du Quatar et autres fortunes médiatiques.

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