Conversation avec SUSHEELA RAMAN, enchanteresse à la voix envoûtante !

Marjolaine Gout | 26 mai 2014
Marjolaine Gout | 26 mai 2014

A l'occasion de la sortie en salle du haletant thriller Avant L'Aube, nous nous sommes entretenues avec Susheela Raman qui prête ses cordes vocales à la chanson Penne. Une rencontre riche d'autant que cette grande prêtresse de la musique, qui manie les sons et influences avec brio, s'incarne comme une artiste novatrice et incontournable ! Détournant les frontières musicales, elle redessine une géographie mélodique des plus surprenantes! Les musiques ancestrales d'Asie du Sud rencontrent la fougue électrique de cette Circé britannique d'origine indienne, mais élevée en Australie ! A l'image de ses pérégrinations qui ont forgé son identité, elle nous invite dans un voyage mystique et rock'n'roll aux confins de son univers intérieur. Dépaysement total assuré ! Ses sonorités, qui provoquent de temps à autre un rejet de la bonne société indienne et de sa diaspora, invitent à découvrir le monde d'une perceptive auditive inédite! Par la fusion des musiques traditionnelles et modernes émerge une expérience sensorielle fabuleuse. Susheela se confie ici sur son incursion en terre cinématographique, sur ses aspirations et expérimentations musicales.

 

 

En dehors du long-métrage Un Nom pour un autre (Mira Nair, 2007) était-ce la première fois que vous collaboriez à la musique d'un film ?

Susheela Raman : Non ça ne l'est pas. En fait, pour Un Nom pour un autre, la réalisatrice a juste repris ma chanson (Yeh Mera Deewanapan Hai). Sinon, j'ai déjà travaillé sur un projet expérimental avec AR Rahman. (Le Mozart de Chennai qui remporta l'oscar de la meilleure musique de film pour Slumdog Millionaire) Mais en quelque sorte, c'est la première fois que je participe à la musique d'un film.

Comment avez-vous été approchée pour Avant l'aube ? Connaissiez-vous Girishh Gopalakrishnan des séances d'improvisations que vous effectuiez à Chennai ?

Susheela Raman : Non. Girishh était juste un grand fan de Salt Rain (Album de Susheela Raman datant de 2001) et de ma musique en général. J'ai de nombreuses propositions en provenance du cinéma, mais je refuse systématiquement. Pour Avant l'Aube, Girishh m'a eue à l'usure. Il a été tellement insistant. Il m'a appelée à maintes reprises en m'expliquant qu'il avait écrit quelque chose pour moi. Il renchérissait à chaque fois. Puis, il a appelé mes amis. On a des connaissances en commun. Il les a donc sollicités. Ceux-ci m'ont alors contactée en me disant qu'il fallait absolument que j'y participe. Tellement de personnes me pressaient que j'ai cédé.

 


 

Pouvez-vous nous parler de votre contribution créative sur la chanson Penne ?

Susheela Raman : Je n'ai rien fait. Girishh l'a écrite et je chante seulement dessus.

Je sais que vous venez de dire que vous refusez généralement de travailler sur des musiques de films mais si on vous donnait l'opportunité d'en composer seriez-vous intéressée ?

Susheela  Raman : En effet, je réponds en règle générale que je n'en fais pas. Sauf, les rares fois où l'on m'a demandé de composer, mais cela n'a jamais abouti. Je suis intéressée par la création et non par des sessions de chant. Je suis trop indépendante pour cela. Ce n'est pas ce que je fais. Mais, si je suis libre de composer et que j'aime le projet alors pourquoi pas.

Avez-vous un compositeur de musiques de film de prédilection ?

Susheela Raman : J'adore Ryūichi Sakamoto. (Le Dernier Empereur, Furyo, Talons Aiguilles, Snake Eyes...) C'est magnifique ce qu'il fait. Et en Inde, j'aime beaucoup Amit Trivedi. (Dev D, Udaan, Ishaqzaade, Aiyyaa, Lootera, Queen...)

Amit Trivedi c'est pour son côté expérimental à l'instar de ses compositions sur Dev D ?

Susheela Raman : Oui Dev D. J'aime en effet dès que ça touche à l'expérimental. J'adore  aussi ce qui est atypique comme ce que fait Sneha Khanwalkar. Elle a composé la musique de Gangs of Wasseypur.

Si l'opportunité venait à se présenter un jour, seriez-vous intéressée pour jouer dans un film ?

Susheela Raman : Ce n'est pas quelque chose qui m'intéresse de prime abord, mais si un rôle farfelu tel que celui de David Bowie dans Man who fell to Earth (L'homme qui venait d'ailleurs de Nicolas Roeg, 1976) se présente alors là oui je serais intéressée. Mais, je choisirai au cas par cas.

 


 

A propos de votre nouvel album Queen Between, on y trouve des ajouts à votre musique en constante mutation. Il y a des musiciens du Rajasthan et de même des chanteurs qawwali tels que les neveux du célèbre Nusrat Fateh Ali Khan. Vous utilisez aussi des métaphores séculaires tirées des ghazals qui célèbrent le divin et regorgent de sens allant au-delà l'image de l'alcool (Sharabi).

Susheela Raman : C'est un projet de deux ans commandé par la South Bank de Londres. On a ainsi eu l'opportunité d'aller au Pakistan et de développer une collaboration. On a même pu faire venir des musiciens Pakistanais à Londres et y présenter un spectacle grandiose. Quand je suis allée au Pakistan j'ai entrepris d'étudier le qawwali avec un maître. La chanson Sharabi vient de la famille d'Aziz Mian. Je l'ai apprise d'eux et ce morceau est à propos de la mystique Soufi. Sharabi, c'est une sorte de drogue qu'ils ont en suivant la voie du soufisme. C'est leur motivation de planer dans un genre de savoir ésotérique qu'ils atteignent en suivant la voie du Sharabi. Le sens profond est le savoir ésotérique et en surface c'est textuellement : « Je suis une alcoolique ». On peut ainsi l'écouter comme étant une chanson sur l'alcool même si elle a en effet un sens plus profond. Cela a été très intéressant car nous avons repris la chanson d'origine en ajoutant des paroles en anglais. On a développé par la suite le thème et composé quelque chose avec les chanteurs de qawwali. Les frères Riswan ont ainsi ajouté une nouvelle facette. Les paroles sont très cohérentes, on passe de la version d'origine aux chants en anglais, puis à ceux des Riswan.

Cela injecte un nouveau souffle à votre musique, une connotation rock en émerge. Semblez-vous ainsi davantage connectée à la musique qawwali par ce côté  rock qui s'en dégage notamment en concert ?

Susheela Raman : Oui, c'est totalement rock. C'est d'autant plus compatible avec le rock car lorsqu'on y pense le rock est historiquement la musique qui accepte les diverses cultures comme le vaudou Haïtien de la Nouvelle Orléans dont le rock' n' roll est issu. Vous savez, les percussions viennent de là et idem pour le blues. Le blues a ensuite été modifié et a évolué en rock. Le qawwali est très compatible avec cette démarche. Ce que nous essayons de faire c'est la même chose. On tente de créer une nouvelle langue. Les deux ne sont pas vraiment si différents et l'on retrouve en effet ce balancement lors des concerts. Ce mélange et cet échange sont ainsi très riches.

 


 

Vous êtes constamment en train d'étudier la musique que vous soyez en Inde ou ailleurs. Vous avez un peu le syndrome de l'archéologue. Vous fouillez et vous vous nourrissez  des musiques du monde. Je crois même que vous avez pris des cours de chant dans des temples d'Inde du sud ?

Susheela Raman : C'est exact. J'ai fait cela pour mon avant dernier Album (Vel, 2011). Il était axé sur la musique tamoule. Ce fut une parenthèse de sept ans au Tamil Nadu. J'y ai étudié le « Bhakti », une musique ancienne et traditionnelle basée autour de Murugan. Murugan est un dieu de la montagne. J'ai aussi appris de vieux thèmes sur Shiva provenant de Thevaram. Après ce long processus, s'étendant sur sept ans, je m'en suis distanciée pour m'attaquer au qawwali. Cette expérience de la recherche, je l'ai réellement acquise au fil des ans.

Vous mélangez différentes formes de musiques telles que la musique carnatique du Tamil Nadu (Sud de l'Inde) et le qawwali (Pakistan) lié au soufisme. Ces deux musiques dévotionnelles diffèrent par leur langue, leur histoire, leurs structures mais se rejoignent tout de même. Pouvez-vous nous parler des différences et similitudes entre ces musiques du nord et du sud ?

Susheela Raman : Si vous allez d'un endroit à un autre, la musique est différente. Au Tamil Nadu, c'est très particulier. C'est comme si elle avait mijoté avec l'Histoire. La façon, dont la musique est appréhendée depuis des années, est aussi un élément important. La musique tamoule est extatique. Certes, dans mon cas, je n'ai pas étudié auprès d'une puriste classique mais, au Tamil Nadu, ils possèdent une musique classique très riche. C'est une musique d'élite, mais selon le système Murugan, elle reste classifiée comme folklorique, traditionnelle. Je pense que vous appelleriez cela de la musique traditionnelle « élevée », mais cela reste très extatique et notamment sur scène. Il y a des similarités avec le soufisme via leur nature extatique. Le soufisme reste différent dans le sens où le cheminement diverge et il dépend de l'Islam. Cependant, ces musiques fonctionnent à merveille ensemble. Je pense qu'elles ont des similarités par leur état de transe bien que leur route diffère. Pour ma part, je suis un peu rock 'n roll à propos de ces choses-là !

Est-ce difficile de jouer une fusion de ces musiques classiques en Inde et au Pakistan sachant qu'elles sont sacrées ? J'ai d'ailleurs entendu dire que vous aviez eu des problèmes à Chennai et que vous aviez été comparée à Satan.

Susheela Raman : Oui, un groupe de personnes m'a appelée ainsi en 2005 : certains puristes, certains brahmanes. C'était à propos de la musique carnatique. Quand j'ai commencé à jouer du Murugan j'ai aussi mécontenté d'autres personnes. Mais ayant dit cela, j'ai joué à Palani, le lieu de pèlerinage Murugan par excellence et les gens présents ont adoré. Ca a été une expérience inoubliable. A l'opposé, j'ai passé un très mauvais moment à l'île Maurice. Dès mon arrivée, un politicien m'a dit : « Bon d'accord, vous faites des chansons Murugan, mais vous ne pouvez pas faire ça ici ». On a été déboussolés par ces propos surtout qu'on ne nous avait donné aucune explication. Mais à la fin de la journée, on a appris le fin mot de l'histoire. Il nous a expliqué  que lors d'un Thaipusam (une fête religieuse commémorant notamment Murugan) des jeunes ont ramené un ghetto blaster (radiocassette portative) et ont passé notre musique Murugan. Ca a été perçu comme un affront et ça a pris des proportions inimaginables. Des personnes se sont vraiment mises en colère. C'est devenu un problème national. Je n'étais pas au cœur de cette haine mais ils m'ont utilisée pour régler leur problème ethnique. Je me suis retrouvée à la une des actualités. Les gens en parlaient même au parlement ! Ce fut une expérience étrange. Au final, certains désapprouvent la musique Murugan que j'interprète, d'autres l'adorent. C'est polarisé !

 


 

Le 22 juillet, vous serez au festival de Cornouaille de Quimper parmi de grandes figures de la musique bretonne telle que Denez Prigent et Didier Squiban. Sachant que vous vous nourrissez musicalement, au fil de vos rencontres et de vos périples, peut-on s'attendre à retrouver des influences celtiques lors de prochaines improvisations ou pour des compositions à venir?

Susheela Raman : Oui, bien sûr. Mais, pour être honnête, à part quelques morceaux que j'ai entendus à droite à gauche, je ne connais pas du tout la musique bretonne. C'est de la musique traditionnelle je crois ? Par contre, je suis allée en Corse et là-bas j'ai rencontré d'incroyables musiciens français. Ils faisaient ...

Des polyphonies ?

Susheela Raman : Oui, c'est ça des polyphonies. J'ai ainsi pu chanter avec eux en Corse dans une église et sur scène. C'est pour le moment ma seule expérience musicale avec la musique française.

Un dernier mot sur la nature de votre nouvel album Queen Between ?

Susheela Raman : Avec cet album, je souhaite laisser une marque à propos de la nature même de ce personnage de reine entre deux. Je suis vraiment insaisissable, un personnage juché entre le réel et l'irréel.

Propos recueillis le 26 mars 2014 au Clairon Gourmand à Paris.

Susheela Raman est actuellement en tournée dans toute la France ! Pour retrouver ses dates de concerts et davantage d'informations vous pouvez consulter son site : www.susheelaraman.com .

Remerciements : Etienne Dubaille, Night ED Films, Miles Yzquierdo, World Village et Susheela Raman.

 

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