La nièce de Fellini, de Gilles Verdiani

Simon Riaux | 10 avril 2014
Simon Riaux | 10 avril 2014

Journalistes et autres critiques sont souvent caricaturés en lettrés de seconde zone, bouffis de ressentiment et d'aigreur. Un cliché que bat en brèche Gilles Verdiani avec La Nièce de Fellini, roman aérien et ludique, où il se plaît à jouer avec les stéréotypes d'une certaine vie parisienne. Ancienne plume de cinéma (il a notamment officié à Première), l'auteur emprunte une route balisée, qu'il s'empresse de quitter pour nous convier à une promenade le long de chemins de traverse qui ne mènent nulle part. Ou comment, le temps d'un bref et beau texte, ré-enchanter une certaine culture française.

 

Cinéaste qui débuta sa carrière avant d'être trop vite jetée aux orties, la nièce de Fellini arpente Paris, entre dîners et plateaux de télévision en vue de lancer la production de son prochain film, mais surtout d'échapper à un mariage à la dérive. Une rencontre avec un chauffeur, écrivain à ses heures perdues, va la précipiter dans un tourbillon créatif et sensuel inattendu. Des canevas de ce type, la littérature française contemporaine en regorge, les rêveries artistiques et romans à clefs sont autant d'identités remarquables d'un milieu parisien sur-représenté au sein de la République des Lettres. Et pourtant, le texte de Gilles Verdiani est trempé dans une toute autre encre, de celles qui balaie les stéréotypes et nous ramène au cœur d'arcanes essentielles, si souvent visitées qu'on n'en distinguait plus la grâce.

Bien sûr les mésaventures d'Anita, Andreas et Franz s'avèrent éminemment parisiennes, sans jamais toutefois sombrer dans le parisianisme. Car l'auteur ne vénère pas la ville lumière au nom d'un quelconque snobisme, n'en vante pas une magnificence depuis longtemps fanée. Il déploie au contraire une érudition ludique, un gai savoir et une énergie primesautière, qui confèrent à ce petit traité de la culture française une pertinence merveilleuse. On sent Verdiani prêt à se damner pour un beau mot, aiguiser son verbe pour dévoiler les subtilités d'une langue et d'une cité que des décennies de révérence hypocrite ont confit dans le stuc.

 

Autre mérite du texte et non des moindres : la capacité de son auteur à réconcilier un érotisme d'esthète et une sensualité plus frontale, parfois à la limite du grivois. Et le lecteur de passer ainsi d'amours rabelaisiennes en séductions musicales, avec une gourmandise sincère. Il est rare de voir cliché aussi typiquement français que celui du libertinage, dépoussiéré et manié avec autant d'aisance, de délicatesse. À travers les affects de ses personnages, leur quête de sens, c'est une certaine passion nationale qui se (re)dessine. Celle des lettres bien sûr, mais aussi des corps, une mystique de la création et de sa suavité, où une femme peut succomber à une note, un homme à un lieu.

La nièce de Fellini n'est évidemment pas parfaite, parfois trop programmatique, le texte se laisse appréhender avec une trop grande transparence. On pourrait également lui reprocher de jouer parfois sur le terrain ambigu de l'auto-fiction, au risque d'opérer ici et là de dispensables diversions. Ce serait néanmoins oublier sa vivacité, la carte du tendre tachetée d'amertume qu'il dessine et la politesse du désespoir qu'il déploie, notamment dans ses dernières pages. Instantané charmant et charmeur d'une ville entêtante, le roman de Gilles Verdiani joue du verbe et du celluloïd avec un rare raffinement.

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