Walter Hill, de Charles Bronson à Sylvester Stallone (Partie 1)

Simon Riaux | 7 avril 2014
Simon Riaux | 7 avril 2014

La sixième édition du Festival du film policier de Beaune fut l'occasion d'une rencontre exceptionnelle avec Walter Hill. Réalisateur du récent Bullet to the head avec Sylvester, il est surtout un des scénaristes et producteurs d'Alien, le metteur en scène d'œuvres inoubliables telles que 48 heures, Southern Comfort, Warriors ou encore Extreme Prejudice. Cet américain nourri aussi bien par l'héritage de Ford ou Raoul Walsh que celui de Claude Chabrol ou Melville est un des créateurs de formes les plus sous-estimés de sa génération. L'artiste incarne ce parcours éclectique et singulier avec une énergie sulfureuse, une capacité de synthèse et une volonté impressionnantes. À 72 ans, Walter Hill n'a rien perdu de sa force et du magnétisme qui le caractérisaient déjà quand il fut le jeune assistant de Peckinpah, comme en témoigne la première partie de cet entretien que nous a accordé le légendaire franc-tireur.


Si l'on vous associe naturellement à une forme de néo-western noir et violent, vous êtes un homme qui a arpenté les genres à travers des récits très différents les uns des autres. Qu'est-ce qu'une bonne histoire d'après vous ?


Je me souviens de Sam Fuller disant : « Pour faire une bonne histoire il faut une bonne histoire ». Je ne suis pas sûr de pouvoir faire mieux que ça, mais essayons. Il y a des règles difficilement définissables que nous avons hérité des anciens conteurs. Une histoire doit être honnête avec elle-même. Vous mettez en place un décor, un univers, il peut s'agir d'un récit fantastique bizarroïde ou d'une intrigue naturaliste, mais vous devez vous tenir aux frontières de l'espace que vous avez créé. Bien sûr il faut penser à rester divertissant et se réserver quelques surprises ici et là. C'est le show business, il faut être à la fois prévisible et imprévisible. Si vous écrivez une histoire étrange et imprévisible, vous ne rencontrerez sans doute pas le public. En revanche, si vous écrivez une histoire en apparence banale mais qui se révèle imprévisible par certains aspects, vous avez de bonnes chances d'embarquer le public avec vous.

On me parle souvent de 48 heures. On me dit que c'est une comédie, je réponds que non. C'est un film d'action, mais il est drôle pour un film de ce genre. Si vous y allez en attendant une comédie vous serez sans doute déçu, mais si vous cherchez un film d'action, vous serez surpris et vous vous fendrez la gueule. C'était une orientation très inattendue à l'époque.

Vous avez fait partie des réalisateurs de la série Deadwood. Il est devenu habituel de voir des réalisateurs de premier plan signer des pilotes voire des saisons de série, mais le phénomène était bien moins répandu à cette époque. Quel est votre point de vue sur cette évolution, voyez-vous un Eldorado dans cette transformation ?


Je pense qu'un Eldorado se dessine. Nous sommes à mi-chemin. Le futur de la narration visuelle se trouve sur Internet. N'importe qui est capable de voir ça. Ils n'ont pas encore réussi à le monétiser à la hauteur de leurs attentes, mais ils y parviendront. Les cinémas de quartiers et la plupart des écrans tels que nous les appréhendons vont disparaître dans leur acceptation actuelle. Les télévisions et les home-cinéma sont d'une telle qualité à présent qu'ils égalent sans difficulté la plupart des projections. Les films qui nécessitent un gigantesque écran vont devenir de plus en plus rares. Du Plomb dans la tête, le dernier film que j'ai réalisé avec Stallone, me semble plus adapté à une expérience individuelle, chez soi, que dans un cinéma sur un écran géant.

Le problème avec les films, c'est qu'ils coûtent tous le même prix au spectateur. Le tarif ne varie pas en fonction du coût de fabrication du film. C'est ridicule. Si vous achetez une Ferrari, ce n'est pas tout à fait la même chose qu'acheter une Ford. L'autre problématique, c'est que vous ne savez pas ce que vaut le film avant de l'avoir vu. Du Plomb dans la tête est une création modeste, qui se déroule sur une ou deux nuit. Par nature le récit n'exige pas d'effets délirants, d'énormes décors. On baroude avec deux gars dans la Nouvelle Orléans. Les écrans sont tellement performants aujourd'hui que je pense qu'un métrage comme celui-là trouve plus facilement sa place chez soi.


Sans doute parce que les grosses productions sont désormais calibrées pour un public adolescent, qui n'attend pas du cinéma autre chose qu'un divertissement massif, où la nostalgie et l'humilité d'un projet n'ont pas leur place en salle et ne peuvent que l'handicaper.


Je suis un peu pervers, parce que je préfère regarder deux types se castagner dans un bar, plutôt que se balader dans l'espace. Mais de nos jours les gens préfèrent les vaisseaux spatiaux, les rayons lasers, les trucs comme ça. Ce n'est pas un mal en soit. Il faut accepter la nature humaine. Au moins ça parle encore de courage physique, humain, ces films sont probablement un accomplissement en terme de divertissement homérique.

Est-ce que cette avalanche d'effets numériques et de récits à l'ampleur délirante n'a pas anesthésié le public ? Comme s'il n'était plus prêt à accepter des spectacles trop réels et concrets. Dans quelques heures, le Festival de Beaune va projeter en avant-première européenne The Raid 2 : Berandal. Je ne serais pas surpris qu'un certain nombre de spectateurs soient décontenancés, voire choqués, par la violence très brute du film.


Le cinéma américain a toujours tenté de diminuer la réalité de la violence, sauf durant un court laps de temps. Ça a pété à la fin des années soixante jusque dans les années quatre-vingt, ou on pouvait faire n'importe quoi. On m'a toujours dit que j'étais un réalisateur très violent et d'autres conneries de cet acabit. Mais on est revenus en arrière aujourd'hui. Je pense que nous étions plus honnêtes avant, dans notre manière de dépeindre les choses. Certains me trouvaient particulièrement cru, je ne crois pas que je l'étais, mais eux en étaient convaincus.

Il y a des cycles... Vous arrivez au milieu d'une certaine période où tout le monde... On n'arrête pas de me demander ce que je pense du Festival de Beaune et je réponds une chose très simple : « Il fait du bien au vieil homme que je suis ». On y projette des films que j'ai réalisés il y a plus de trente-cinq ans et on en profite pour en dire du bien. C'est très plaisant, mais ce que je veux dire c'est que vous avez beau avoir 70 ans, vous avez toujours envie d'en avoir 25. On s'accommode d'avoir la tête moins vide qu'à l'époque, mais pour ce qui est du corps, on reviendrait bien à cet âge-là. Vu que ce n'est pas prêt d'arriver, voici ce que je peux vous dire : je préfère avoir 25 piges à l'époque où je les ai eues qu'à la vôtre.

 

Je me suis bien amusé. Je n'ai jamais considéré que je faisais partie du show business. Je délirais. Je réalisais des films. C'est une histoire de coups gagnants et de loupés, de succès et de traversées du désert. Toutes les carrières en comportent, nous payons tous notre dû. Vous pouvez payer la facture au début de votre carrière, comme beaucoup de gens pensent que cela doit se faire, mais vous pouvez payer la facture au milieu de votre carrière, vous pouvez aussi la régler à la fin. Quoiqu'il en soit, vous cracherez au bassinet. La facture ne reste jamais impayée. C'est indissociable de la vie que nous choisissons. Personne ne nous a forcés à suivre cette voie, nous nous sommes portés volontaires. Je déteste voir les gens s'apitoyer sur eux-mêmes. On lance les dés. On tente sa chance. Certains survivent, d'autres pas. C'est un pacte lourd de conséquences.

J'ai eu une belle carrière dans l'ensemble. J'ai presque travaillé en continu. J'ai pu raconter les histoires que je voulais et filmer les films que j'avais en tête, à deux trois ratés près. Presque tous les gens que je connais et qui ont eu une belle carrière espèrent que leurs enfants ne suivront pas le même chemin qu'eux. C'est curieux, tous ces gens qui ont eu du succès, accompli de belles choses, et se morfondent à l'idée que leur descendance reprenne le flambeau. Je suis exactement pareil. J'ai deux filles et je leur dis encore : « Seigneur, ne choisissez pas ce foutu métier ». À l'origine de cette peur il y a sans doute l'angoisse de ne pouvoir jamais prédire où va aller l'industrie d'une année à l'autre.

Mais ça ne m'empêche pas d'être optimiste, à ma façon. L'être humain a besoin d'histoires. Vous pouvez aller dans le village le plus reculé du Tibet, vous trouverez une maison avec une parabole, dans laquelle tout le monde se presse pour regarder I love lucy. Quelles que soient les difficultés techniques et le déclin du cinéma que nous traversons – parce qu'il y a bien un déclin, nous faisons des films moins nombreux et réussis que par le passé, un idiot s'en rendrait compte – les conteurs survivront. Ils trouveront de nouvelles formes, de nouveaux points d'entrée et de sortie. La nature humaine exige que des histoires soient racontées. Toutefois le type de carrière que j'ai eu est en train de s'éteindre à l'heure actuelle. La plupart de mes confrères d'aujourd'hui n'auront pas une carrière aussi remplie que la mienne ou celle des réalisateurs de ma génération. J'ai mis en scène vingt films, Woody Allen quelque chose comme cinquante. C'est virtuellement impossible de soutenir ce type de rythme de nos jours. John Ford a dû réaliser cent cinquante films, il faut voir le C.V. des types comme lui ou Raoul Walsh ! Et ces metteurs en scène avaient malgré tout le temps d'apprendre et de se former ! Quelqu'un a dit que si John Ford était mort d'un accident de voiture à trente-cinq ans, il aurait déjà réalisé une trentaine de films.

Les temps sont durs pour les jeunes réalisateurs, les conteurs sont désormais embauchés pour mettre en scène des publicités, filmer des canettes de Pepsi. Ce n'est pas nécessairement le meilleur entraînement pour apprendre à faire rire ou pleurer le public. « Tu peux les faire chialer ? Tu peux les faire se gondoler ? Tu peux les faire frissonner ? » C'était ça le job !

Depuis plusieurs années on assiste au come-back des gloires du cinéma d'action des années 80. Or je trouve que Du Plomb dans la tête avec Stallone est sans doute l'un des tous meilleurs films de ce type...


J'espère que vous écrivez pour un énorme canard français. Un truc que tout le monde lit et qui fait référence.


Pour un site Internet...


Ce n'est pas grave. On va dire que vous représentez l'avenir. J'ai le réflexe de penser « journal », mais les sites sont devenus bien plus importants.

 

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE 

 

 

 

 

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