Kim Chapiron, Crème de la crème ou sale gosse ?

Simon Riaux | 2 avril 2014
Simon Riaux | 2 avril 2014

Kim Chapiron est un des rares électrons libres du cinéma français, dont les créations passionnent ou agacent. Audacieux, voire téméraire et parfaitement à l'aise, tant avec son image qu'avec la multiplicité des sujets qu'il a déjà traité du haut de sa (jeune) filmographie, le réalisateur nous a fait l'honneur d'un entretien à bâtons rompus lors du dernier Festival de Gérardmer. L'occasion de vérifier si le metteur en scène de La Crème de la Crème est toujours le sale gosse préféré de l'hexagone.



On compare parfois La Crème de la crème à Risky Business, cela vous semble-t-il pertinent ?


Dans Risky business, les personnages se promènent sur ce terrain de la prostitution « naïve », c'est aussi un peu le cas de mes personnages qui sont des étudiants qui font joujou et montent un réseau sur leur propre campus, qui va finalement les dépasser, même s'ils sont beaucoup plus calculateurs. Ce sont des étudiants d'école de commerce, trois jeunes gens qui ont une maîtrise de la rhétorique et de la manipulation cérébrale qui est dangereuse. C'est en cela que je m'y retrouve par rapport à mes autres films, où on parlait déjà de marginaux, qu'à priori on n'aime pas.

Je me suis toujours senti bien autour de ceux qu'on aime pas. C'est ce qui m'a embarqué sur ce film. Ça parle aussi d'une bande, comme sur Sheitan et Dog Pound. Le sujet de la tribu m'a toujours intéressé, parce que j'ai grandi dans des bandes, des clans.


Pourquoi situer le récit dans une école de commerce ?


L'idée originale vient du scénariste, qui connaît ce monde là très bien. À la base, c'était pour utiliser ce lieu très cinégénique, clos, un endroit archétypal avec un folklore dingue. Il y a des chants... on dirait qu'on se les échange de père en fils, c'est incroyable. Il y a un langage spécifique, des mots qu'ils m'ont appris quand j'allais à leur soirées, je voyais leurs rites. C'est avant tout très beau de voir ça au cinéma. L'endroit est un décor incroyable de cinéma.

Évidemment à première vue on se dit c'est un film de campus, comme on pouvait se dire c'est un film de prison dans Dog Pound. Sauf qu'on ne parle pas de l'école de commerce, mais des étudiants qui y vivent. Donc le décor va faire ressortir des choses chez les personnages, qui vont se comporter de manière extrême, parce que nous sommes dans un lieu extrême. C'est ce qui m'intéresse dans les décor, c'est qu'ils obligent les personnages à agir, de manière... spectaculaire.

À ce sujet, les films de campus sont plus que rares en France...


Ça faisait aussi partie du challenge, faire le premier campus movie en France. Bon, chez nous ça sonne moins bien « FAC » movie... Après on a respecté avec mon scénariste, qui est vraiment dans la science de la narration, on a respecté tous les codes. On a le quaterback, qui est ici Louis le Versaillais. On a le Nerd, Dan, qui invente la théorie qui déclencher le récit : mettre en pratique des théories économiques sur des humains pour faire monter la côte d'un étudiant qui n'a à priori aucune chance avec les filles. Et donc ils vont mettre en pratique l'idée du nerd sur un specimen vivant, qui est donc le trickster, qui selon la règle du campus movie est le comique qui fait exploser les règles. On trouve aussi une femme fatale. Et enfin, on a Adé, la rebelle, qui ne fera jamais partie de la Crème de la crème, qui n'a pas fait les bonnes écoles, les bonnes prépa, mais a été reçue sur dossier. C'est très agréable de jongler avec ses codes pour les conjuguer à notre sauce.



La jeunesse apparaît très peu dans le cinéma français...


Peut-être parce qu'on n'a pas de stars jeunes, des acteurs bankables, ce qui du coup représente un risque pour les financiers. Donc il y a une prise de risque réelle. Moi j'ai eu la chance de ne tourner qu'avec des amateurs ou des inconnus, à l'exception de Sheitan avec Vincent Cassel (qui était l'exception qui confirmait la règle du casting).


Comment as-tu choisis tes comédiens ?


Ma baguette magique, c'est Gigi Akoka, qui avait fait le casting de Sheitan. C'est une amie de Vincent Cassel, une grande grande professionnelle, dont je partage la sensibilité et la curiosité. Son truc, c'est les diamants bruts et j'adore ça. Je ne veux pas prendre John Wayne pour faire un indien. J'ai l'impression qu'on fait un peu du cinéma comme ça des fois. La couleuvre elle est quand même sacrément rosée...

Sheitan a été perçu comme un film de sale gosse, on a très peu parlé de Dog Pound, est-ce que tu as l'impression que le regard sur toi a changé ?


Non. On me voit un peu comme un sale gosse, mais j'en suis responsable. Mon côté sale gosse je l'entretiens, j'ai eu un parcours de sale gosse. Alors on grandit, on change d'outil, mais on ne se transforme pas fondamentalement. Moi j'ai pas changé, je suis toujours le même. Ça ne me dérange pas qu'on me voit comme ça. Ça frotte, c'est agressif. Au moins il se passe quelque chose. Mes personnages sont des gens qui n'ont pas à être aimables pour être aimés. Moi c'est un peu pareil. J'ai une certaine facilité à me comporter en sale gosse. D'ailleurs on a toujours beaucoup de tendresse pour eux, parce qu'ils provoquent quelque chose, qu'il y a une sincérité dans leur démarche.


Tu as déjà exploré plusieurs genres très différent, tu te vois continuer à expérimenter ou te trouver un univers de prédilection ?


C'est pas réfléchi. Je ne suis pas dans une démarche qui me pousse à changer radicalement de point de vue et de style, comme une posture. Mon envie, c'est de m'adapter au sujet. Sheitan, j'avais 22 ans quand je l'ai écrit, j'étais dans une dynamique de meute, de hurler ce que j'avais dans le bide, l'exprimer et le hurler par tous les pores. Dog Pound... ce film m'est tombé dessus, je suis parti aux U.S.A. visiter des prisons... Je suis mes films, plutôt que l'inverse, je me laisse entraîner et j'aime l'idée de se laisser embarquer par un sujet, pour à chaque fois être dans la prise de risque.

Je sais qu'à chaque fois que je m'embarque, c'est pour trois ans. Le dernier m'a emmené dans les écoles de commerce, le prochain, je suis en train de l'écrire, avec Noé Debré, qui nous emmène dans un lieu radicalement différent. Encore une fois. Ce ne sera ni un film d'horreur, ni un film de prison, et pas un campus movie. Ma seule certitude, c'est que ça va traiter de la famille, puisque c'est ce que je vis depuis six ans.

 

 

 

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