Monuments Men : George Clooney est-il à bout de souffle ?

Simon Riaux | 12 mars 2014
Simon Riaux | 12 mars 2014
George Clooney est de retour en ce début d'année 2014 avec Monuments Men. Précédé d'une promotion marathon de plusieurs semaines dans le monde entier, le nouveau film de l'acteur-réalisateur-scénariste-producteur s'est présenté au public selon une technique bien rodée. En effet, la star s'est toujours positionnée autant en spécialiste du tapis rouge qu'en simili-activiste politique, un apparent paradoxe dont les ingrédients sont un sourire bright, une pincée de démagogie et beaucoup d'eau tiède. Alors que son film essuie un relatif revers au box-office américain, la méthode Clooney a-t-elle atteint ses limites ?

Qu'il est loin le bon Dr Ross, pédiatre de charme d'Urgence. Après un bref passage du côté de l'action pure avec Le Pacificateur, George Clooney réalise rapidement qu'il est le véhicule idéal d'un Hollywood de gauche, spécialisé dans le militantisme pop et la starification politique. Les Rois du désert constitue sans doute un pivot pour le comédien, qui s'allie ici à un réalisateur destiné à moissonner les Oscars (David O. Russell est le metteur en scène de Fighter et Happiness Therapy), pour s'offrir une belle tranche de cool, à base de « la guerre c'est mal », ou « aider les réfugiés, c'est bien ». Avec une acuité impressionnante, l'homme sait faire rejaillir sur lui la gloire des autres. C'est le cas de Soderbergh, avec qui il monte une société de production avant que le metteur en scène ne tombe en disgrâce (avant Solaris donc). Le roublard aux cheveux poivre et sel se pare instantanément d'une valeur artistique supplémentaire. Il retiendra la leçon et s'accrochera désormais toujours aux concepts ou leaders capable de lui transmettre un peu de leur aura.

George ne va pas tout de suite se métamorphoser en comédien politique, il doit tout d'abord faire ses premières armes. Confessions d'un homme dangereux lui donnera cette occasion. Un récit atypique, la vie d'un présentateur télé, devenu tueur à gages pour la CIA et un casting de luxe assurent l'intérêt du public et de la presse pour la première mise en scène de la star d'Ocean's eleven. S'il ne reste pas grand souvenir du film un peu plus de dix ans après sa sortie, il fit son petit effet et chacun voulait voir dans l'acteur qui opérait alors aussi bien chez Soderbergh que Robert Rodriguez une future légende. Un comédien à l'ancienne, digne de l'âge d'or des Studios. Un mythe en construction qui mettrait tout le monde d'accord. Restait à lui adjoindre l'épice de l'époque, le militantisme politique, toujours envisagé selon l'angle du plus simple dénominateur commun.

Cet élément, Clooney le mettra en pratique dès sa réalisation suivante : Good night and good luck. Le projet est littéralement inattaquable, d'autant qu'il jouit d'une très bonne réception critique. Hommage à un paternel qui combattit le Maccarthysme, filmage classieux en noir et blanc, engagement pour une cause dont personne ne remet plus en cause la légitimité depuis des décennies, marketing d'une star propulsée « auteur », tout est pensé pour faire de Clooney un artiste engagé et engageant. La lutte contre Bush Jr bat son plein, le gratin de Hollywood est en première ligne et George joue les fantassins de luxe. Qu'importe que le film s'avère bancal et poseur, la presse européenne l'accueille avec délice, trop heureuse de pouvoir laisser libre cours à son anti-américanisme avec la bénédiction d'une star qui flatte sa culture et son art de vivre.

Si les flash lui sourient, l'artiste n'est pas à l'abri d'une déconfiture qui lui pend sévèrement au nez. Syriana, The Good German, ainsi que le documentaire auquel il participe sur le Darfour (le Bush-bashing ne faisant plus recette) ont cristallisé son image militante et c'est du côté du glamour qu'il faut faire des efforts. Puisque le système veut voir en lui l'aura quasi-mystique du Hollywood d'antan, donnons-lui ce qu'il veut, à savoir une comédie à l'ancienne, entre Billy Wilder et Howard Hawks. Ce sera Jeux de dupes. Un bide sans nom, aussi exsangue qu'Intolérable Cruauté des frères Coen sorti quelques années plus tôt. Le public boude, la presse s'en fiche gentiment.

Mais Clooney ne s'avoue pas vaincu. Il est quasiment seul à occuper ce créneau, Sean Penn étant bien trop inconstant pour représenter de véritable concurrence. Il va donc parfaire avec malice son image de superstar consciente. George Clooney manifeste avec les forces humanitaires contre les massacres au Darfour, quitte à passer quelques heures au poste de police, participe à de faux films indépendants comme In the air et offre à un public exigeant de savoureuses répliques dans Fantastic Mr Fox. Ce n'est pas la panacée, mais tandis que la hype Obama s'empare de l'hémisphère nord, le comédien prépare son grand retour à la Mostra de Venise, avec ce qu'il conçoit comme le mélange parfait entre entertainment et engagement au service de la Cité.

 

Le temps est venu pour lui de gravir Les Marches du pouvoir. Nanti de celui qu'on ne présente plus depuis Drive, Ryan Gosling, George nous fait don de sa profonde analyse du cynisme en terre démocratique. Pachydermique, prétentieux et d'une bêtise presque touchante, le film n'en est pas moins accueilli en fanfare. Des années après À La maison blanche, voilà un film terriblement manichéen et niais, mais qui reçoit l'adoubement hollywoodien et les grâces de la presse française, trop heureuse de pouvoir grossièrement maquiller son inculture politique. Dans l'Hexagone, où les séries ne sont pas encore un objet d'étude et où le brillant Exercice de l'État a été trop vite oublié, on tresse les louanges du beau George. La campagne promotionnelle fait se pâmer tous les plumitifs, bouleversés par la géniale idée du film, à savoir le détournement de la campagne d'Obama. Le syndrome du bon élève arrive à son comble. Le comédien se donne un rôle à double facette, joue la carte de la dénonciation des maux de l'époque. Après tout, qui est pour le mensonge et la trahison ? N'a-t-il pas raison de dénoncer le règne des communicants et l'hypocrisie des maîtres du mondes ? Le robinet d'eau tiède est ouvert.

George Clooney n'a pas multiplié les projets depuis, mais a réussi un beau pari avec Gravity. L'acteur a en effet rappelé au tout Hollywood qu'il était capable de miser sur le bon cheval et de prendre des risques. Choix gagnant auprès du public et de la critique, qui lui aura évité de se soumettre au petit jeu de la transformation à Oscars, toujours très contraignante. Pas de statuette à la clef, mais une image rafraîchie auprès des amateurs de blockbusters, qui n'avaient pas eu de nouvelles du comédien depuis Ocean's Thirteen cinq ans plus tôt.Il entend bien continuer dans cette voie avec Tomorrowland de Brad Bird.

On pouvait dès lors s'attendre à ce que la méthode Clooney fasse ses preuves avec Monuments Men, nouveau précis de communication démagogique. Les ingrédients demeurent inchangés : sujet universel et indiscutable (faites du l'art, pas la guerre), forme qui rappelle le cinéma de papa, casting quatre étoiles et attention particulière aux minorités risibles en la personne de Jean Dujardin. Comme il ne faut rien laisser au hasard, George profite de sa tournée promotionnelle européenne pour jouer les défenseurs des œuvres volées par les uns aux autres. Il appelle à rendre ses marbres aux Parthénon, exige que la France retourne la Joconde à l'Italie, toujours en prenant soin d'attaquer des pays dont il a déjà foulé le territoire. Effet médiatique garanti.

Ou pas.

En effet, s'il fait mieux que les précédents films du réalisateur en terme de pur box-office, il est loin de déclencher l'engouement attendu par son casting et les premiers retours critiques s'avèrent d'une implacable tiédeur. Se faire griller par des LEGOS la semaine de sa sortie, voilà qui a dû agacer un tantinet Georgie. Le métrage devra logiquement compter sur l'international pour engranger des bénéfices, ce qui est rarement encourageant. Signe qui ne trompe pas, dans l'hexagone le métrage n'aura véritablement excité que les news magazine, trop heureux de pouvoir consacrer une couverture supplémentaire à la seconde guerre mondiale. Les institutions se grattent-elles le dos pour mourir ? Il est trop tôt pour le dire ou pour tirer des conclusions des premiers chiffres du box-office français, pour l'instant relativement favorable à ces monumentaux messieurs.

 


 

On peut se réjouir que la technique employée par Clooney depuis plus d'une décade, consistant à se poser en héritier d'un univers auquel il n'appartient ni de près ni de loin, tout en flattant les éternels indignés du militantisme 2.0, se périme enfin. Néanmoins, l'artiste s'est déjà relevé de plusieurs coups durs et n'a pas dit son dernier mot, ni même cessé de nous la jouer « comédien conscient ». En effet, il y a quelques jours George Clooney introduisait sa nouvelle compagne à la Maison Blanche (façon de parler), lors d'une projection prestigieuse de Monuments Men en présence de Barack Obama. L'heureuse élue serait Amal Alamuddin, avocate de Julian Assange. De là à croire que le beau George nous prépare une farce d'espionnage...


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