Les comédies françaises les plus folles
Avec Jacky au Royaume des filles, Riad Sattouf fait souffler sur le champ de mines de la comédie française un vent de folie, d'ambition et de fantaisie bienvenue. Avec son intrigue qui n'est pas sans évoquer un curieux mélange d'impertinence voltairienne et de roublardise graphique issue des grands délires Gotlibiens, ce film attendu s'inscrit dans une longue tradition de métrages barrés, de projet fous et d'œuvres délirantes. En effet, la comédie hexagonale ne se limite pas au retour des Inconnus ou à une énième resucée de L'Opération corned beef, comme nous allons essayer de le prouver avec ce panorama déglingué, riche de surprises et d'OVNIS bienvenus.
Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ – Jean Yanne – 1982
Fut un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, où même les comédies les plus grasses pouvaient jouir non seulement d'ambition, mais d'un univers azimuté qui terrifierait aujourd'hui n'importe quel acheteur de chaîne hertzienne. On croise ici un doux révolutionnaire (Coluche) du nom de Ben Hur Marcel, un César crypto-gay (Michel Serrault) et bien évidemment le bougon Jean Yanne, réunis dans ce qui pourrait s'apparenter à un délire des Monty Pythons revu à la sauce gauloise et rehaussé d'une quantité non négligeable de jaja.
La réplique : « Je vous ai compris ! Citoyens, vous voulez que les impôts baissent ? Qu'il y ait du travail pour tous ? Que l'inflation soit stoppée ? Nous ne pouvons rien faire pour le moment... Mais dès que nous le pourrons, nous ferons le double !
What a flash ! - Jean-Michel Barjol - 1972
En l'an 2000, deux centaines de personnes sont condamnées à mort pour avoir refusé le bonheur anesthésiant proposé par le pouvoir et enfermées dans un hangar, elles organisent alors une fête pantagruélique où s'exprimeront leurs désirs, leur inspiration et leur folie. Réunir Jean-Pierre Coffe, Tonie Marshall, Diane Kurys, Bernadette Lafont et Jean-Claude Dreyfus tient déjà du défi, mais Jean-Claude Barjol est allé encore bien plus loin. Son délire de science-fiction s'avère parfaitement inclassable, psychédélique et renversant, à un degré tel qu'il est souvent impossible de dire ce qui relève du happening, de l'improvisation, du film dans le film ou de la prise de drogues dures. Confère la séquence ahurissante où une comédienne craque face caméra et supplie qu'on cesse de la filmer tandis que l'on s'efforce de la rassurer et de l'assurer que son geste servira l'œuvre. Pour un peu on se demanderait bien si le métrage ne tient pas une place centrale dans l'imaginaire d'un Quentin Dupieux.
La réplique : « Je vais te livrer l'état de mes réflexions. Je vais te dire pourquoi ce genre de réunion c'est un peu sinistre. C'est sinistre parce qu'il n'y a ni lesbienne, ni homosexuel, ni drogués. Alors ça devient tout de suite des réunions tristes. »
Les Galettes de Pont-Aven – Joël Séria - 1975
Un homme enfermé dans une vie de couple morne et une vie de famille frustrante décide soudain de tout plaquer pour vivre d'amour et d'eau fraîche à Pont Aven. Cette carte du tendre frenchy et seventies révèle encore aujourd'hui des trésors de sensualité et de poésie. Cartographie crue et tendre du désir, de l'amour de ce que l'on appelle trop communément les bonnes choses, le film impressionne aujourd'hui plus encore qu'hier, tant l'époque semble avoir été capable d'aborder avec une totale décomplexion des thèmes intimes et délicats. Grâce à des dialogues ciselés, sa performance affolante de charisme et sa voix identifiable instantanément, Mariel devint une star et fut condamné à ne jamais tout à fait se départir du personnage de Henri Serin.
La Réplique : « Ah ton cul, ton cul, ton cul, ton cul, on dirait un Courbet, et dire qu'on a condamné ce mec parce qu'il a peint la plus belle chose au monde, un cul de bonne femme ! Montre-le moi, tends-le bien vers moi, comme ça. Ah ton cul, ton cul, ton cul, c'est mon génie ! »
Calmos – Bertrand Blier – 1976
Lorsque deux hommes, lassés des féministes hystériques des années 70 se retranchent dans un petit bled perdu et renouent avec une vie simple, ils sont bien loin d'imaginer qu'ils serviront d'exemples à des milliers de mâles désorientés et des hordes de femmes nymphomanes et enragées. Si nous retrouvons ici Jean-Pierre Mariel, c'est à Bertrand Blier qu'il faut rendre hommage ici, tant le cinéma français lui doit de force de proposition, de fantaisie et de provocation coquarde mais toujours souriante. Rappelons enfin que le film, bide en son temps, valu à son auteur d'être traité de tous les noms d'oiseaux. Il a eu chaud, deux décennies lus tard et il eut probablement été pelé vif en direct sur Canal Plus.
La réplique : « - Trouvez pas qu'elles auraient tendance à nous faire chier ? Toutes ? Vous êtes du quartier ? Elles sont comment à Montrouge ? Va Arriver un moment où on pourra plus. À force de jouer avec nos nerfs... Fragiles les nerfs... Et on en a beaucoup. Alors si y pètent tous à la fois, ça risque de leur abimer leurs petites gueules. »
Steak – Quentin Dupieux – 2007
Nous évoquions quelques lignes plus haut Quentin Dupieux et il paraît impossible de ne pas rendre hommage ici à son travail et au vent de liberté cathartique qu'il fait souffler sur le cinéma français. Attendu comme une énième cochonaille emballée par Éric et Ramzy, seules les rares connaisseurs du légendaire Nonfilm avaient une idée du météore en approche alors que Steak se profilait à l'horizon. Si l'accueil fut relativement tiède du côté de la presse, trop désarçonnée pour réaliser à qui elle avait affaire, une partie du public ne s'y trompa pas, hissant instantanément cette création mutante où entrent en collision John Hughes et la chirurgie esthétique au rang de monstre culte.
La réplique : « Le dernier arrivé est fan de Phil Collins ! »
Les Chinois à Paris – Jean Yanne – 1974
Qui oserait aujourd'hui caricaturer les Chinois en vulgaires envahisseurs, mesquins et cruels, colporter sur eux les plus vils et grossiers clichés ? Personne, de peur de finir pendu par les parties en place de grève sous les huées d'une foule bien-pensante par l'odeur du sang attirée. Heureusement il n'en fut pas toujours ainsi. On sera même tenté de dire que dans le portrait également minable qui est ici fait du français faisant face à une invasion étrangère réside la noblesse de ce film imparfait mais attachant.
La réplique : « Oui Stéphanie c'est épouvantable. Dieu sait ce que l'avenir nous réserve. Dans quelques jours nous serons peut-être tous broyés, laminés, exterminés par cette masse formidable. Viens-là mon petit. Voyez-vous je ne suis peut-être pas votre type d'homme mais enfin je suis sûr que... Vous n'avez jamais connu l'amour ? Hum ? Vous n'avez jamais connu l'amour ? Jamais ? Bon. Alors voyez-vous je ne voudrais pas profiter de la situation, mais avouez que ce serait dommage. Je veux dire, foutu pour foutu... »
Barbarella – Roger Vadim – 1967
Barbarella est aujourd'hui plus connu pour les plans dénudés de Jane Fonda que quoi que ce soit d'autre. Un état de fait regrettable, tant le film recèle de merveille, de délires en tout genre et de scènes hallucinantes. Si personne ne regrette la présence des courbes affolantes Hanoï Jane, il serait ridicule de les voir oblitérer l'arme mortelle que constitue le piano à orgasmes, le labyrinthe des fous, ou plusieurs séquences témoignant clairement de l'accessibilité du LSD à l'apogée des sixties triomphantes. Cette co-production franco-italienne demeure enfin un sommet absolu du kitsch, dont on vous recommande la récente édition blu-ray, plutôt sommaire mais indispensable à tout cinéphile concupiscent. Note à l'adresse des féministes de type Calmos, la création de Vadim constitue en soit une très belle œuvre féministe, tant il devient évident au fur et à mesure de l'intrigue que Jane Fonda prend le dessus sur son réalisateur de mari et finit par mener la danse cinématographique.
La Réplique : « Quel cornichon ce lapin ! »
Les vécés étaient fermés de l'intérieur – Patrice Leconte - 1976
On doute très sincèrement qu'il soit désormais possible à un réalisateur de débuter sa carrière par une adaptation des aventures de Bougret et Charolles de Gotlib, parues initialement dans la Rubrique à brac. Il y également de fortes chances pour qu'un pareil ratage signe l'arrêt instantané de la carrière du dit metteur en scène. Et pourtant, voilà une adaptation foirée dans les grandes largeurs, où se baladent tout de même Rochefort et Coluche, qui se paie le luxe de jouir malgré ses incohérences, ses problèmes de rythme, de scénario et sa direction d'acteurs calamiteuse d'une aura de folie douce délectable. Restée comme un très mauvais souvenir pour Leconte comme Rochefort, le film devait néanmoins servir de base à deux carrières parmi les plus riches du cinéma hexagonal et nous rappeler que même les gadins de cette ampleur manquent à notre époque. À noter la présence de Roland Dubillard.
La réplique : « Commissaire ? Inpsecteur ? Vous n'êtes quand même pas policiers ?! »
Bernie – Albert Dupontel - 1996
Descendant anarchiste de Terry Gilliam et de Jack l'Eventreur, Albert Dupontel a eu sur le cinéma français l'effet d'un bon gros coup de défibrillateur sur un teckel centenaire. Quelque chose de l'ordre du salut. Véritable coup d'éclat, sa première réalisation restera jusqu'au récent Neuf mois fermes sa plus aboutie, celle qui annonce et contient l'ensemble de son œuvre, ses obsessions, ses thématiques essentielles. On ajoutera que le récit vengeur de l'existence bordélique et chaotique de la vie d'un orphelin dont on ne sait trop s'il relève de la débilité ou du génie s'octroie en plus de ses plongées absurdes (« Finis la branlette ! », l'aiguisage de pelle sur autoroute) d'étonnantes percées émotionnelles. Comme quoi, on peut sodomiser des bourgeoises à coup de moignon, dévorer des piafs encore vivants, et faire pleurer dans les chaumières.
La réplique : « Je m'appelle Bernie Noêl et j'aime bien les hyènes. Parce que la hyène c'est un animal dont on parle jamais, alors que c'est un animal qui peut être très important. Parce que moi, je trouve que, être ami avec une hyène, souvent c'est plus important qu'être ami avec... avec des vrais amis. »
Une dernière pour la route : « Moi je voulais un mec, un vrai mec avec des anticorps et un avenir ! »
Buffet Froid – Bertrand Blier - 1979
Parce que non seulement notre cinéma peut nous faire hurler de rire, mais il est encore capable de le faire à coup de chef d'œuvres. À bien y regarder, l'impact et la constance de Blier sur le cinéma français devra être étudié de près dans les prochaines années tant il semble aujourd'hui le dernier survivant d'une génération qui n'avait pas à craindre censure et raboteurs de conscience car elle était encore assez droite dans ses bottes pour les ignorer et leur opposer un panache sans borne? En témoigne cette farce grinçante et absurde où un chômeur se voit précipité dans une suite d'assassinats déments. Goût de la réplique qui fait mouche, sens de l'image, curiosité des sens, c'est à une orgie de cinéma que nous convie Blier, qui emballe ici un spectaculaire hommage à son paternel, soutenu par un Depardieu au firmament de son talent. Que l'on produise encore des salmigondis de prime time après un tel achèvement filmique est peut-être un crève-cœur, mais au moins le cinéma français n'a-t-il rien à envier à aucun autre après une œuvre de ce calibre.
La réplique : « Y aura pas de violonistes dans cette tour ! c'est une tour interdite aux musiciens ! C'est une tour sans gamme et sans arpège, on veut pas devenir dingue avec ton archet qui va grincer quatre heures par jour sur trente étages ! Ça me scie les nerfs moi le violon ! Je suis allergique. »
Panorama réjouissant quoique loin d'être exhaustif, cette petite collection de longs-métrages vient nous rappeler que la comédie française n'est pas condamnée à la médiocrité ni à la monotonie et qu'elle a su accueillir en son sein de dignes challengers aux pitreries anglo-saxonnes. Cette bouffée de nostalgie arrive à point nommé pour célébrer Jacky au royaume des filles, œuvre imparfaite et pas totalement aboutie, mais qui détonne au sein de notre paysage hexagonal, dans l'excellent sens du terme.