Masterclass Michael Madsen (Champs Elysées Film Festival)

Aude Boutillon | 20 juin 2012
Aude Boutillon | 20 juin 2012

Lorsque Michael Madsen traverse d'un pas assuré une salle bondée de cinéphiles venus assister à une masterclass grandement attendue, et faisant suite à une projection du second volume de Kill Bill, un frisson parcourt l'assemblée. Il faut dire que le bonhomme force le respect, de sa carrure imposante à sa face burinée. Après avoir promené sur le public un regard inquisiteur, pris place dans son fauteuil de co-président du Champs Elysées Film Festival, et effleuré du bout de l'index le verre de whisky posé près de lui, l'acteur prend la parole pour s'excuser de sa voix éraillée ; « un coup de froid », paraît-il. Le timbre rauque et guttural qui s'échappe du micro finit de séduire le parterre de fans, qui boiront près de deux heures durant les propos de Michael Madsen, qui, après l'heure syndicale habituelle réservée aux questions-réponses, lance nonchalamment « Je n'ai aucune obligation de partir maintenant, si d'autres parmi vous ont encore des questions à me poser ». Avant de se voir gratifié d'une salve d'applaudissements reconnaissants.

 


 

L'heure est d'abord aux premières amours cinématographiques qui précipiteront un homme issu d'un milieu défavorisé, « peu éduqué » de ses propres mots, vers une pléiade de rôles emblématiques. Lorsqu'on l'interroge sur sa première émotion de cinéphile, Michael Madsen évoque A Bout de Souffle, et mime Jean-Paul Belmondo, « un bel homme et un acteur très talentueux », devant une affiche de Godard, chuchotant son nom en passant son pouce sur sa lèvre.

Interpelé sur sa rencontre avec John Malkovich, qui allait constituer une étape déterminante dans le lancement de sa carrière devant les caméras, Michael Madsen confie avoir rencontré l'acteur alors qu'il venait de créer la troupe de théâtre Steppenwolf. « Personne ne les connaissait, à cette époque, ils essayaient de percer. J'ai eu la drôle d'idée que je pouvais peut-être faire ça. Après être passé par toutes sortes de boulots, essentiellements manuels, je suis allé voir la pièce Des Souris et des Hommes, de Steinbeck, avec un ami. C'était la première fois que je voyais des acteurs jouer sous mes yeux. Je me souviens avoir été perplexe, et avoir réalisé la simplicité de la chose, qui m'a séduite. Après la pièce, j'ai foncé en coulisses, où John Malkovich ôtait ses chaussures. Il venait d'en enlever une énorme semelle. Lorsque je lui ai demandé pourquoi il l'utilisait, il m'a répondu ‘Mon personnage devait être plus grand, et je l'imagine claudiquant'. J'ai trouvé ça très intelligent ». Michael Madsen confie alors sa volonté de devenir acteur à John Malkovich, qui lui suggère de prendre des cours, avant de lui demander son nom et son adresse. « Je les lui ai donnés, mais je ne m'attendais à rien. On ne vous donne jamais de nouvelles, dans ces cas-là. Or, le jour de mon anniversaire, un mois plus tard, j'ai reçu une brochure ». Madsen se lance alors pour quelques temps dans le théâtre. « Je ne suis pas resté bien longtemps, car je ne suis pas un homme patient, et je savais déjà ce que je souhaitais faire. Je viens de la misère, et je ne voulais pas y retourner. Or, comédien n'est pas exactement le meilleur moyen de gagner de l'argent. Mais j'ai participé à une production des Souris et des Hommes, et j'en suis très fier ».

 

 

Trente ans plus tard, et une carrière menée à un rythme effréné (entre cinq et dix films par an !), l'inénarrable interprète de Mr Blonde reste pourtant pour beaucoup la figure tarantinienne par excellence. Loin de se plaindre du raccourci, Madsen se livre avec un plaisir non dissimulé à une séance d'anecdotes savoureuses, avec un humour ravageur et une verve indéniable. Au cours d'imitations hilarantes d'un Tarantino plus vrai que nature, l'acteur livre ainsi son admiration pour un réalisateur dont il loue l'intelligence... et le sens de la manipulation. « Au cours d'un tournage à Mexico, j'avais acheté un chapeau stetson que j'aimais beaucoup. De retour à Los Angeles, je le portais tout le temps. J'avais qui plus est les cheveux longs. Nous étions alors sur le tournage de Kill Bill. Quentin m'a dit : ‘tu ne porteras pas ce chapeau. J'ai bien compris que tu le portais tout le temps pour le garder dans le film. Et puis, tu te couperas les cheveux'. Je lui ai répondu ‘Non, je ne crois pas !'. Il a commencé par me laisser tourner quelques scènes avec le chapeau, puis il est venu un jour me présenter le scénario d'une autre scène. Je devais enlever mon chapeau ; mais ce n'était pas personnel, bien sûr, c'était la décision du personnage de Budd. C'est un homme très intelligent ».

Après que l'équipe a visionné Kill Bill, Tarantino, tout en fourberie, s'adresse à son acteur. « Il me demande, ‘tu n'as pas remarqué quelque chose ?'. Il finit par me donner un indice, et je comprends qu'il s'agit de la scène où Uma Thurman sort un couteau de sa botte, et coupe la corde qui la retient prisonnière. Il s'agissait en réalité de la même lame que j'utilisais dans Reservoir Dogs pour couper l'oreille. Quentin a un véritable fétichisme pour les accessoires. En plus du fétichisme pour les pieds que tout le monde lui connaît, bien sûr ».

 

 

Au fil des années, les deux hommes tissent des liens profonds, tant et si bien que Tarantino manque de peu de devenir parrain de deux des six fils de Michael Madsen (« Il ne s'est pas pointé à la cérémonie ! »). « Quentin est un grand enfant, qui aime les gros jouets. Il adore le cinéma, et je doute qu'il existe un film qu'il ne connaisse pas. Il connaît tout, de la date de sortie en passant par les circonstances du tournage. C'est un véritable historien du cinéma ». Pour illustrer la passion dévorante de son ami, Madsen évoque une anecdote particulière. « Il travaillait auparavant dans un video store. Lorsqu'il est devenu connu, le magasin faisait faillite ; il y est retourné, et il a absolument tout acheté : la caisse, le comptoir, le tapis... Il a tout ramené chez lui, et a reproduit à l'identique le video store dans une de ses pièces. C'est un excentrique, il est complètement fou, mais charmant, quelque part ». Michael Madsen révèle par ailleurs que dans le cadre de Reservoir Dogs, Quentin Tarantino l'avait immédiatement choisi pour interpréter Mr Blonde... contre sa volonté. « Je ne voulais pas me faire buter par M. Orange, qui est interprété par Tim Roth. Je voulais me faire tuer par quelqu'un de cool ! ». Après avoir précisé le second degré de ses propos, Michael Madsen confie qu'il visait le rôle de Mr Pink, qui bénéficiait de nombreux dialogues avec Harvey Keitel, avec qui l'acteur avait partagé de nombreuses scènes, coupées au montage, dans Thelma et Louise. « J'ai supplié Quentin de me laisser lui prouver que je pouvais interpréter ce rôle. J'ai lu et mémorisé mes scènes. Quentin m'a rétorqué : ‘Non, tu ne feras pas Mr Pink. Tu es Mr Blonde, c'est tout. Si tu ne veux pas, tu ne joueras pas dans le film !'. J'ai capitulé ».

Curieux donc, après un rôle aussi haut en couleurs, d'approcher Michael Madsen pour le rôle du paternel dans un film aussi familial que Sauvez Willy. « J'ai lu le scénario, et je me suis dit que j'avais raté quelque chose. Il s'agissait d'un mec sympa avec son gamin, d'un bon mari... Je me suis dit, où est la scène où je pète un plomb ? ‘Soudain, il décide de tuer la baleine'. ‘Il dit à l'enfant qu'il ne peut plus vivre avec eux'. ‘Il décapite sa femme'. Je pensais que c'était pour cette raison qu'on faisait appel à moi ! Je suis allé voir le réalisateur, pour lui demander pourquoi j'avais été choisi pour ce rôle. Il m'a répondu qu'ils voulaient que le père soit sur le fil du rasoir. Et ça, je le suis ! ».

 

 

La présence d'un acteur aussi prolifique que Michael Madsen représentait également l'opportunité privilégiée pour un public curieux d'obtenir des conseils professionnels, ainsi qu'un point de vue sur le cinéma et ses protagonistes. Ainsi, à un jeune homme qui lui demande le secret de la réussite pour un acteur, Madsen répond, mi figue-mi raisin, « Trouve autre chose, fiston. A moins de vouloir finir seul, ou de ne pas avoir de vie de famille. Cet équilibre est très difficile à trouver ». Il évoquera à plusieurs reprises le rôle salutaire joué par sa femme et ses six fils dans sa vie, passée en trop grande partie éloigné d'eux. Lorsqu'on lui demande les parts de technique et d'expérience personnelle combinées au sein d'un rôle, l'acteur se montre volubile... avant d'embrayer sur une nouvelle imitation, de Spencer Tracy cette fois, qui sous couvert de prendre une pose sombre et réflexive gardait en réalité les yeux fixés sur les marquages au sol qu'il devait suivre sur une scène. « Une présence à l'écran n'est pas vraiment liée à une qualité de jeu, soit elle existe, soit elle n'existe pas. Steve McQueen, on l'écoutait, quand il disait quelque chose. Cela dépend bien sûr des personnes dont on est entouré, ainsi que des acteurs face auxquels on joue. Je garde à l'esprit quelque chose que j'ai lu un jour : si tu dois jouer une personne vraiment mauvaise, il faut te rappeler qu'elle ne se voit certainement pas comme quelqu'un de diabolique, et chercher la part noble en elle. Et inversement. Voilà qui explique la dualité intérieure dont je souffre, et la raison pour laquelle je vois un psy !  ».

Mais contre toute attente, c'est une fois interrogé sur ses meilleurs partenaires cinématographique que Michael Madsen offre au public du Publicis un bref instant d'une émotion poignante. « Il est difficile de répondre à cette question. David Carradine, ou bien Christopher Penn, qui fut un très grand ami, et dont il m'est parfois difficile de prononcer le nom », articule l'acteur avant d'éloigner le micro pour essuyer pudiquement quelques larmes. « Dennis Hopper en fit également partie. Je m'estime très chanceux d'avoir pu travailler avec ces personnes », reprend-il. « J'ai d'ailleurs dédié un film à Chris Penn. Dans un film de Joshua Sainclair, Edith, qui raconte l'histoire d'une femme juive condamnée aux chambres à gaz, la mère de Chris Penn joue le rôle de la mère du personnage principal. J'y joue le rôle d'un de ses amis. J'aurais aimé qu'elle joue ma propre mère... ». Interpelé ensuite sur les réalisateurs avec lesquels il aimerait collaborer, Michael Madsen cite Gus Van Sant, Woody Allen (« avant qu'il ne soit trop tard »), et regrette la disparition de grands cinéastes, parmi lesquels George Stevens, Alfred Hitchcock ou encore Elia Kazan. Il avoue alors admirer la carrière de Clint Eastwood, et s'imagine volontiers à l'origine de la renaissance de la franchise Dirty Harry. « Je serais son fils, je voudrais aussi être flic, et on irait buter tout le monde ensemble. Ce serait merveilleux ». L'audience manifeste bruyamment son approbation. Quant à Tarantino ? « Je ne peux pas non plus tourner dans chacun de ses films, les gens commenceraient à se poser des questions sur la nature de nos relations. Mais j'ai toujours joué des rôles mémorables pour lui. J'aime insuffler de la vie dans ses personnages ».

 


 

En fin de course, un spectateur éclairé a l'idée de questionner non plus l'acteur, mais le photographe.  « Je trouve fascinant que l'on puisse donner un appareil photo à deux personnes, leur demander de prendre le même sujet, et aboutir à deux photographies totalement différentes. Je me suis beaucoup penché sur le travail de Dennis Hopper, qui m'a marqué. J'ai alors commencé à prendre des photos avec un appareil Instamatic. J'ai publié un recueil de photos, et Dennis m'a montré beaucoup de soutien. Il m'a encouragé à poursuivre cette activité. J'ai d'ailleurs été récemment invité à me faire tirer le portrait par Harcourt, qui me propose d'organiser une exposition de mes photos à Paris, au mois de novembre. J'aime beaucoup le noir et blanc. Je ne prétends pas y connaître quoi que ce soit, mais j'apprécie beaucoup la photo. Je ne veux pas que les gens regardent les miennes parce que je suis l'acteur Michael Madsen, mais qu'ils les apprécient en tant que telles. J'essaie de séparer ces deux activités, il ne s'agit pas d'un simple hobby mais de quelque chose qui me tient à cœur ».

La transition est marquée. Michael Madsen, qui se voit, en guise de conclusion, proposer de lire un de ses poèmes (dont il a publié un recueil), Expecting Rain, montre pour la première fois une retenue presque timide, et s'octroie quelques secondes de silence en saisissant son œuvre. Durant plusieurs minutes d'une intensité inattendue, il livrera à un public suspendu à ses lèvres une prose profonde et honnête, dont la gravité et la confidentialité n'échapperont pas même aux quelques anglophobes présents dans la salle, conquise et unanime.

 

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