In the mood for Cannes - épisode 12

Simon Riaux | 27 mai 2012
Simon Riaux | 27 mai 2012

À bien y regarder, notre existence est rythmée par une succession quasi-ininterrompue de rituels, qui nous accompagnent et nous aident à digérer les changements drastiques qui ne manquent pas de faire tanguer le radeau de nos destinées. Ces totems symboliques sont également le lot de tout Festivalier précipité dans le magma cinématographique cannois, nous vous en avions d'ailleurs dit deux mots à l'occasion d'un point sur les accréditations et autres soirées huppées caractéristiques de ce genre de manifestation. Mais c'est lors du retour vers la capitale que ces repères identitaires se multiplient et permettent au journaliste esseulé d'appréhender le périple ferroviaire, lui garantissant que son corps perclus de courbatures, son foi madérisé et son cerveau cuit par le soleil et l'alcool ne l'abandonneront pas en cours de route.

L'objectif de cette Bérézina volontaire vers le grand nord est d'habituer progressivement l'arpenteur de Croisette à la médiocrité de son quotidien trop vite oublié. Fini les suites spacieuses, adieu les salles de bain aux robinetteries de platine et d'émeraude, bonjour les banquette odorantes, les magazines aux pages modes rigidifiées par des générations de gamètes sacrifiées, les sandwichs imprégnés de la sueur aigre d'un agent SNCF concupiscent, et la bière tiède servie dans un gobelet en plastique. Tant d'attaques contre le bon goût auraient eu quelques heures plus tôt raison du critique esthète, bien décidé à dédier chaque minute de son existence au bon goût et l'épiphanie stylistique, or, ce choc salutaire interviendra dans un espace parfaitement clos, où la population globale partagera l'affliction du scribouillard, appartenant peu ou prou au même corps social.

C'est alors que tous ces individus en souffrance redécouvriront une vertu oubliée par la plupart d'entre eux depuis belle lurette : la solidarité. Du « fais chier les chiottes y puent » au « prends une gorgée de mon coca zéro, tes vraiment tout blanc » il n'y a qu'un pas, presque toujours franchi. En résulte un spectacle des plus touchant pour le simple voyageur civil, celui de voir une palanquée de parisiens boboïdes oublier leur vieilles querelles (« Comment ça le Resnais refoule du fondement ? Mais enfin Gonzagues, c'est de la baaaaaaaaaaaaalle ! »), pour dans une étreinte quasi-fraternelle, s'allier sans crier gare (« Tu sais Pierre-Jocrisse, c'est sûrement pas la palme qu'il nous faut, mais c'est celle qu'on mérite ») et mieux affronter les épreuves.

Passées ces quelques heures de promiscuité-paupérisation-mixité-sociale forcée, le journaliste pourra retrouver la grisaille parisienne, ses pigeons obèses et borgnes, cette atmosphère poisseuse génératrice de glaviots réputés dans le monde entier, avec un courage exemplaire. Peut alors s'ouvrir une parenthèse désenchantée de 355 jours.

Au revoir Cannes !

 

 

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