In the Mood for Cannes - épisode 10

Simon Riaux | 25 mai 2012
Simon Riaux | 25 mai 2012
Tout spectateur suivant un tant soit peu l'actualité cannoise ou ayant déjà mis les pieds sur la Croisette le sait, le plus prestigieux Festival de Cinéma du monde est une des dernières places fortes de l'aristocratie galopante. Y survit depuis toujours un système de castes infiniment complexe, symbolisé par les désormais célèbres accréditations et leur code couleur kafkaïen, qui vaut au curieux d'entendre des bribes de conversations à nulles autres pareilles :

« T'as la pastille rose ? Mais attends ça fait coupe-file sur ma bande violette du Marché, ou alors j'ai juste besoin du liserai blanc sur mon tampon rouge de la Quinzaine ? Non mais parce que les mecs avec les invitations me passent devant et j'aime pas, y font que prendre les places que je veux. »

 


 

Délectable, mais gentiment trivial, voire carrément anecdotique. Dites-vous bien qu'il existe dans le festival des coutumes plus anciennes encore, et qui consacrent tout à fait l'organisation pyramidale de la manifestation. Car ce n'est pas le tout de s'asseoir où c'est qu'on veut dans le palais, ce qui marque véritable différence entre les ouvriers du Festival et les Princes de la Croisette, c'est l'accession aux soirées.

Les plus modestes ou vulgaires opteront pour les plages, où l'on doit le plus souvent payer sa boisson, et dont le taux d'alcoolémie générale est le principal garant de l'ambiance. Viennent ensuite la première catégorie de villas, ouvertes tous les soirs, sous la bannière d'une grande marque d'alcool, de boissons, de produit de luxe, ou d'un journal à plus ou moins fort(e) tirage/réputation. Les badges permettant d'y accéder sont distribués d'ordinaire dans les premiers jours du festival, et se doivent d'être portés autour du cou, avec votre accréditation. Le festivalier grelottant sous la pluie pour espérer voir le film pour lequel il se pâme depuis de longs mois aura ainsi tout loisir de disséquer qui dans la queue qui est plus hype (ou endurant) que lui. Les soirées données en ces lieux de villégiatures sont le plus souvent assez brèves, idéal donc en guise de préchauffe furieuse avant de passer...

… à l'Hôtel. Mais attention hein ! Pas un Campanile des années 70, ici on cause Carlton, Martinez, et Marriott ! Pas évident d'y rentrer surtout un soir d'affluence, comprendre de concert über-hype, qui ferait pâlir d'envie vos copains musicos gauchistes des plus critiques envers toute manifestation du capitalisme triomphant. Nous arrivons là dans la sphère des soirées open bar, non pas qu'elles ne puissent avoir lieux dans les lieux cités plus haut, mais elles y demeurent ponctuelles. Dans les palaces, pas question de payer votre coupette, au contraire !

Enfin, les plus vernis de chez vernis, les maîtres, se retrouveront entre puissants dans des Villas telles que la Murano, louées ponctuellement pour des soirées exceptionnelles,  spectaculaires, coûteuses, délirantes. On y croise le gratin, mais aussi et surtout des idées folles. On garde un souvenir ému du mur d'escalade improvisé pour la soirée Enter The Void, ou de l'étonnant happening parking recréé dans un parking (cohérent me direz-vous) pour célébrer le Holy Motors de Carax. L'occasion de faire n'importe quoi, de se blesser, de perdre un membre ou deux, et grâce à l'avènement du téléphone-portable-couteau-suisse, de prendre quelques photos trop floues pour Voici, mais bien assez nettes pour vous faire honte.

On aimerait vous raconter en détail ces hauts lieux du partying cannois, le truc, c'est que par définition, la presse, à fortiori web, doit s'en passer puisque nous écrivons dès que le soleil se couche, jusqu'à ce qu'il se lève. Cet état de fait a cela de pratique qu'il permet aux écrivaillons du net que nous sommes de repérer quasi instantanément le pacha papier, le veinard qui pourra attendre son retour sur Paris pour rédiger ses critiques. Ce dernier arrive généralement tôt à la projection du matin (lui-même est alors encore un peu projeté). Il a le teint diaphane, la veinule palpitante, la pupille kaléidoscopique et parcourue d'inflexions sanguines purulentes. Sa chemise entrouverte dévoile un torse moite dont l'épiderme tendu ne peut masquer les palpitations hiératiques d'un cœur qui se débat plus qu'il ne bat. À son bras, nulle princesse exotique ou édition primeure du Film Français, mais une demie douzaine de boissons énergétiques prêtes à l'usage. On reconnaîtra cet individu jusque dans les ténèbres de la salle, il est celui qui, quand les lumières s'éteignent, gratifie l'assistance hagarde d'un rot sonore en double-croche, une de ces éructations qui vous susurrent de leur tiédeur " tinkiète mon gâ j'ronfle pas fort." Une délicate attention qui n'aura d'égale que l'immortelle sentence délivrée avec ostentation au sortir du Palais : "j'adore, cé complètment métah."

Ça c'est palace !

 

 

 

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