Mauvais Genre 2012, jour 3

Simon Riaux | 8 avril 2012
Simon Riaux | 8 avril 2012

S'il est un endroit où sont respectées depuis des générations les vénérables racines chrétiennes de la Petite fille de l'Église, c'est bien Tours, où pour la sixième fois, le Festival Mauvais Genre propose à des nuées de fervents spectateurs de célébrer à leur manière quantité de rites autour de la souffrance, les sévices corporelles les plus inventives, les œufs, et les lapins. Les organisateurs de la manifestation, fort marris que Benoît XVI n'ait pu se libérer pour assister à la pascale diffusion de Bunny Game, firent l'impossible pour illuminer cette troisième journée de festivité d'une sainte folie.

 


 

Les hostilités s'ouvrirent deux œuvres aussi modestes que riches. La téléréalité fut à l'honneur via The Show must go on, étonnant film de science-fiction croate, où un producteur peu regardant sur l'éthique se verra forcé de composer avec un fils dont il ne veut pas, une fin du monde imminente, et un programme se muant petit à petit en dernier refuge d'une humanité en déroute. Entaché d'errances musicales, encombré d'effets de style et de montage inutilement alambiqués, le long-métrage ne transforme jamais véritablement l'essai, et se termine sur un épilogue convenu et trop grandiloquent pour convaincre. Restent des thèmes fort, et de nombreuses idées (trop rarement exploitées), qui nous permettent d'entrapercevoir les potentialités d'un concept sans doute trop lourd pour les épaules de son auteur.

Point de bonnet phrygien ni d'écharpe tricolore pour Marianne, surprenant récit fantastique venu de Suède, mettant en scène la descente aux enfers d'un homme aux coupables secret, hanté par une Mara. Pas Rooney, mais l'esprit issu du folklore scandinave, aussi rapace qu'une Noomi énervée. Tout en rupture de ton et sous-entendus, le film étonne, fascine parfois, malgré des moyens extrêmement limités. On regrettera des longueurs, une résolution à la cohérence bien forcée, et une longueur excessive, qui ne font toutefois pas oublier les remarquables performances des comédiens, dont un Peter Stormare visiblement décidé à ne plus se départir du bouc emprunté à Nicolas Cage. On se souviendra longtemps de la description par le menu des exorcismes suédois, délicieusement cocasses.

 


 

Jusqu'à présent, il était difficile de prendre cette sixième édition de Mauvais Genre en défaut sur quoi que ce soit, mais nombreux étaient les spectateurs à se demander si le festival saurait retrouver les sommets de frénésie atteints l'an dernier, entre la projection de Derrière la Porte verte, et un brûlante bouffée de Godzilla. Grave erreur mes frères, le doute n'a pas sa place à Tours, car comme aime à le dire l'indestructible Xavier Hibon en remplissant son calice, « au final tout est une histoire de foi. » Tout cela pour dire que les deux dernières projections de la journée propulsèrent les spectateurs (et Benoît Delépine parait-il) en orbite, pulvérisant toutes leurs attentes les plus folles.

On ne vous fera pas l'affront de présenter ici l'illustre Tsukamoto, réalisateur de Tetsuo, cinéaste chouchou du Festival. Il nous revenait cette année avec Tokoto, trip hallucinogène et poétique, d'une puissance sidérante.

Chronique d'un destin brisé, celui d'une jeune femme victime de visions d'une extrême violence, et qui tente par tous les moyens de s'occuper de son jeune fils. Jamais le cinéaste n'aura si bien tenu le gand écart entre ses thématiques récurrentes (le double, l'enthropie, la damnation et le salut) et ses expérimentations formelles, entrecoupées d'invraisemblables ruptures de ton. Le résultat est une œuvre hypnotique à la beauté surréaliste, qui demanda public d'avoir l'esprit aussi bien accroché que le cœur. Drame, film d'horreur, comédie romantique, chemin de croix, Kotoco est tout cela à la fois, et peut se targuer de tenir jusqu'au bout une ambition de mise en scène démesurée, malgré un budget que l'on imagine ridicule.

Vous l'aurez compris, les fidèles de Mauvais Genre étaient chauffés à blanc, mais en adeptes de nourriture plus spirituelle, attendaient de l'emblématique Gary Constant qu'il leur mette sous les yeux quelque création plus en adéquation avec l'esprit de Pâques. N'écoutant que les aspirations spirituelles de ces âmes en perdition, les organisateurs sortirent de leur manche un morceau de choix : le Bunny Game, de Adam Rehmeier. Censurée en Grande Bretagne, la chose est devenue un objet de curiosité dont s'élève un parfum de souffre tenace.

 

 

Le pitch est simplissime, une prostituée à la recherche d'un moyen de locomotion rencontre un routier, et lui propose ses services. Sauf que les choses ne vont pas exactement tourner à la franche rigolade, et que la demoiselle en détresse va passer 76 minutes en enfer. On craignait que le film ne soit rien d'autres qu'une pelloche inepte et dégueulasse, tournée pour choquer le bourgeois, et il n'en fut rien. Certes, l'enrobage sonore terriblement bourrin de la chose ferait saigner les oreilles d'un choriste de Motorhead, tandis que l'intérêt du projet se limite à un vigoureux doigt d'honneur à l'intention du Torture Porn en général, ce qui est trop léger pour maintenir notre attention pendant plus d'une heure. Cependant, on n'avait pas vu de trip horrifique si bien réalisé, monté et interprété depuis... Massacre à la tronçonneuse ? La comparaison est sans doute excessive, mais vous donnera une petite idée de la sidérante maîtrise du réalisateur, capable d'attraper le public de la première à la dernière image, malgré l'évidente ignominie de ce qu'il entend lui montrer. Le débat devrait être encore vif ce matin entre détracteurs du film et défenseurs des chauffeurs de poids lourds, signe que The Bunny Game est bien plus riche que sa réputation de simili-snuff ne le laissait croire.

Exceptionnellement, la décence, la charité et la protection des sources nous interdisent de révéler l'intégralité de ce qui se déroula dans les rues de Tours après cette ultime projection, mais n'ayez crainte, nous glisserons dans nos prochains compte-rendus quelques anecdotes, comme autant d'éthyliques œufs de Pâques.

 


 

 


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