Berlin 2012 : jour 1
Si Ecran Large a fait sa une aujourd’hui avec Les Adieux à la Reine, le film d’ouverture de la 62ème édition du festival de Berlin, ce n’est pas pour autant que dans les jours qui vont suivre, vous aurez un compte-rendu détaillé des films en compétition. Non, cette année, EL a envoyé son rédac chef parcourir les allées du marché du film et comme il n’arrêtait pas de râler, refusant de mendier des tickets pour découvrir les pépites (ou daubes) à venir, on lui a payé un badge marché, histoire qu’il puisse en voir un maximum. Et force est de reconnaître que si le site a connu des gros soucis techniques, notre chef, lui, n’a pas chômé en cette première journée puisqu’il fut très fier de nous faire parvenir son premier papier en mettant en gros qu’il avait vu 6,5 films. Le 0,5, on vous l’explique plus tard. On laisse donc la parole à Laurent et sa revue d’effectif de ce jour 1 à la Berlinale.
L’ex de Superman joue à Délivrance avec des copines
Faire
le marché à Berlin, c’est constamment une question de choix. Plus de
700 films projetés et la possibilité de n’en voir au mieux qu’une
cinquantaine. L’avantage avec la séance matinale de la première
journée, c’est que la concurrence n’est pas énorme (4 films en tout
et pour tout) et de se retrouver donc à aller découvrir Black Rock, un
Délivrance à la sauce gonzesse où l’on retrouve la blonde Kate Bosworth
accompagnée de deux copines (la rousse Katie Aselton, également
réalisatrice du film, et la brune Lake Bell, sorte d’Amanda Peet avec
une grosse poitrine). Le survival n’est pas un genre pour nanas
aurait-on envie d’écrire de façon bien misogyne après avoir rigolé à
ce gros nanar où trois donzelles vont réussir à venir à bout de trois
anciens soldats tous juste revenus d’Afghanistan (pour le coup, le mythe
du GI ricain en prend un coup). Archi prévisible, ridicule dans sa
deuxième partie survival (ah ces petits culs nus des demoiselles au
clair de lune déterrant leur trésor enfoui quand elles avaient 10 ans...),
Black Rock lance le séjour sur des bases nanar élevés ! (1/5)
Thriller thaïlandais lynchien
Prenant un peu d’avance sur le
festival asiatique de Deauville qui va lui rendre hommage en mars au
cours de sa 14ème édition, on est allé voir Headshot de Pen-ek
Ratanaruang, thriller au récit bien complexe : un flic se voit piégé par
les truands dont il avait démantelé le trafic. Après avoir pris une
balle dans la tête, sa vision est inversée et il voit tout à l’envers.
Magnifiquement filmé, prenant son temps (la très signifiante voix off),
multipliant les allers-retours temporels, non dénué d’un certain humour
(macabre), et s’évertuant à ne pas suivre une ligne narrative aisée,
Headshot attise la curiosité à défaut de s’imposer comme une référence
du genre. (3/5)
Patrick Bruel face à…Woody Allen
On appelle ça une
rencontre improbable et pourtant elle a bien lieu dans ce Paris
Manhattan, premier film de Sophie Lellouche. Pour sa première incursion
derrière la caméra, la demoiselle s’offre une comédie romantique sous
influence du cinéaste de Manhattan et réussit à faire jouer Allen
(dans son propre rôle), qui était absent des écrans depuis son Scoop en
2006. Un joli tour de force qui égaye beaucoup ce film léger et
sympathique mais mineur. Dans le rôle principal de la jeune femme qui
n’arrive pas à trouver l’élu de son cœur et que toute la famille cherche
à caser, Alice Taglioni confirme son talent pour le genre tout en
formant avec Bruel un convaincant duo romantique. Dommage que le récit
manque singulièrement de rythme malgré une durée pourtant extrêmement
ramassée (75 minutes). (3/5)
Les retrouvailles ratées de Tsui Hark et Jet Li
Presque 20 ans que l’on avait plus vu rassemblé devant et derrière la caméra le duo magique des Il était une fois en Chine. C’est dire à quel point ce Flying swords of Dragon Gate nous excitait. D’autant que les retrouvailles se faisaient avec une inédite 3D (pour les deux hommes) et qu’au vu du dernier et excellent Détective Dee, on savait Tsui Hark en très grande forme. La déception est de taille après deux heures d’un spectacle certes extrêmement riche et généreux mais parasité constamment par un abus de CGI comme ce fut déjà le cas par le passé avec l’auteur de La Légende de Zu. Qu’il est loin alors le temps où à l’aide de câbles invisibles, Jet Li traversait les airs pour venir à bout de dizaines d’adversaires. Désormais, c’est son double numérique (pas très réussi d’ailleurs) qui fait le job et forcement, ça n’a pas la même saveur ni le même impact visuel. Sous prétexte d’aller toujours plus loin, plus haut, Tsui Hark trahit involontairement l’essence même de la toute puissance de son cinéma. Alors, il a encore un millier d’idées visuelles et l’on reste plusieurs fois estomaqué par l’inventivité du bonhomme mais la magie a disparu dans les pixels qu’une 3D anecdotique ne fait qu’amplifier. (3/5)
Explication du 0,5
On vous parlait des choix constants à
faire pour réussir à tenir le planning fixé. En voici la preuve avec
Wish you were here, film australien qui m’a servi de bouche-trou en
attendant la projection du très attendu second film de Quentin Dupieux,
Wrong. Avec 45 minutes d’avance sur l’horaire prévu, la boulimie du
festivalier encore bien frais (on en reparle dans 5 jours) provoque un
comportement bien étrange : « et si j’allais voir un bout de film en
attendant, si c’est mortel, je reste, si c’est naze, je fais comme tous
les acheteurs, je me lève brutalement, je claque mon siège et je pars
avec mon portable à l’oreille en balançant un «we don’t buy it » à mon
boss ». Et voilà comme j’ai vu 35 minutes d’un film australien avec Joel
« Warrior » Edgerton et Teresa « Numéro 4 » Palmer. Dommage pour ma
pomme, l’histoire joue la carte du mystère sur la disparition d’un homme
après qu’un groupe de 4 amis soit parti en vacances au Cambodge. J’ai
donc juste eu le temps de voir l’ambiance psychologique du retour des
trois « rescapés », sans nouvelle de leur pote, de comprendre qu’il y
avait un gros mystère pas net sur sa disparition et enfin d’apprendre
que Joel a trompé sa femme là bas avec Teresa un soir de beuverie…Bref,
les prémices du drame et pour la résolution de tout ceci, il faudra
attendre soit la prochaine diffusion au marché dans quelques jours soit
la future sortie vidéo (au vu des 35 minutes, je ne vois pas comment
cela peut sortir en salle, l’attrait commercial étant des plus évanescents).
Quentin Dupieux n’est pas Wrong…il est juste différent
Après
nous avoir raconté l’histoire d’un pneu qui tue avec Rubber, on se
demandait bien quel nouveau délire allait inventer Quentin Dupieux.
Rassurez-vous, l’artiste en tient toujours une couche et Wrong de nous prouver que
son cerveau ne fonctionne définitivement pas comme le nôtre. A partir d’un
postulat des plus basiques (un homme se réveille un matin et son chien a
disparu), Dupieux va créer un univers totalement barré où l’humour
absurde est élevé au rang d’art. A l’image de son héros qui continue à
aller travailler dans un bureau où il pleut averse alors qu’il a été
viré depuis 3 mois ! Ou de ce palmier qui s’est transformé subitement en
sapin. Ou de ce gourou spécialisé dans l’enlèvement d’animaux de
compagnie afin que leurs maîtres se rendent compte de leur importance
(hilarant William Fichtner et sa queue de cheval). Si sur la longueur,
le film perd de sa superbe et s’essouffle quelque peu dans son dernier
tiers, il n’en demeure pas moins une réussite éclatante dans sa capacité
à nous faire rire autrement. Et de confirmer que Quentin Dupieux est un
artiste précieux car déroutant, novateur et imprévisible. (3,5/5)
Quand Jacquot dit moteur, ça joue bien devant sa caméra
Inutile
de revenir sur les qualités évidentes du film de Benoît Jacquot, Les
Adieux à la Reine, puisque Laure vous en parle avec passion dans sa
critique dithyrambique. Mais avant d’aller dormir quelques heures, j’ai
envie de souligner à quel point le réalisateur m’a bluffé dans sa
capacité à faire jouer aussi juste un trio de comédiennes qui, par le
passé, a déjà prouvé séparément qu’il pouvait y avoir péril en la demeure.
Que ce soit Léa Seydoux (dans un rôle autrement plus riche que ses
prestations américaines), Diane Kruger (qui a définitivement l’étoffe
d’une grande) et plus encore Virginie Ledoyen (trop souvent mal
exploitée), le niveau d’interprétation frise la perfection. Et de
ressentir cette tranche de l’Histoire pourtant bien connue avec une
empathie aussi novatrice que durable. (3,5/5).