L'Etrange Festival 2011 : Jours 8 et 9

Aude Boutillon | 12 septembre 2011
Aude Boutillon | 12 septembre 2011

Neuf jours de festivités, de bien belles rencontres, des découvertes réjouissantes, des coups de gueules en toute petite minorité (comparativement à un NIFFF où la sélection internationale avait triste mine) ; c'est avec sympathie et émotion que l'équipe de l'Etrange Festival a clôturé une 17ème édition de haute volée, qui à continué à imposer l'évènement comme un incontournable dans le paysage fantastique mondial, après avoir récompensé par le prix Nouveau Genre un film et un réalisateur qui méritent grandement d'être auréolés de succès, un sentiment qui s'est trouvé renforcé par la prise de parole émue et maladroite de Michael R. Roskam (Bullhead). Le festival s'est achevé sur une note décevante, du moins pour ceux ayant fait l'erreur d'aller voir Don't be afraid of the dark (pendant que se jouait Guilty of Romance en présence de Sono Sion, bordel !), du « Del Toro pour les Nuls », pour citer mon émérite collègue. Heureusement, The Man from Nowhere, projeté durant l'après-midi, avait répondu à nos attentes, en livrant un polar coréen classique mais foutrement efficace.

La journée de samedi, fort mouvementée, avait été l'occasion de profiter de la trogne burinée et du regard vif et perçant d'un Rutger Hauer bavard (au grand dam des traducteurs) au fil d'une rétrospective agrémentée d'un inédit décevant. Au programme également, de la SF pénible pour Patrick, et pour ma part une interview de Yoshihiro Nishimura accompagné, en dernière minute, de l'adorable Yumiko Hara, lesquels se sont, plus tard, adonnés à un spectacle surréaliste pour l'animation de la nuit Sushi Typhoon.

 

THE MILL AND THE CROSS

Explication de texte assez scolaire sur la signification de la peinture " Le portement de croix", Rutger Hauer est ici entouré de Michael York et Charlotte Rampling dans cette tentative du réalisateur polonais Lech Majewski de faire le pont entre ces deux arts picturaux que sont le cinéma et la peinture et ce, en utilisant les derniers perfectionnements des SFX digitaux. Mais là où Peter Greenaway réussissait son coup avec La ronde de nuit où il alliait astucieusement enquête historique et expérimentation visuelle, avec un second degré salvateur, The Mill and the Cross reste trop dans un style pontifiant pour se révéler passionnant. Reste la composition d'un Rutger Hauer qui rentre parfaitement dans les vêtements du peintre flamand Bruegel, pour le reste une bonne visite au musée ou une plongée dans un bon bouquin d'illustration sera aussi bien bénéfique.

 


 

Mais cette déception fut vite effacée par la diffusion dans la même journée de deux des chefs d'œuvre d'interprétation de l'impétueux hollandais, à savoir La Chair et le Sang de Paul Verhoeven et Hitcher de Robert Harmon, diffusés dans de bonnes copies 35mm, et qui n'ont perdu en rien de leur impact premier. Les persos du mercenaire Martin et de l'ange de la mort John Ryder sont de ces personnages qui ont réussi à faire entrer le grand acteur dans la légende (en y incluant le répliquant de Blade Runner) et sont symptomatiques d'un talent qui a réussi à traverser le temps avec aisance, aisance qu'il manifestera au long des Q&A qu'il a partagées avec le public et une interview qui sera bientôt publiée dans les pages d'EL.

 


 

 

BEYOND THE BLACK RAINBOW

Présenté comme le successeur dans le genre de la SF minimaliste qui avait tant réussit à Duncan Jones pour la projection de son Moon il y a 2 ans dans les mêmes murs, le premier film du rejeton du regretté George Pan Cosmatos a fait malheureusement long feu. Ersatz des anticipations des années 70 tels que Le Mystère Andromède, THX 1138 et surtout des premiers essais dans le genre de David Cronenberg, Beyond the Black Rainbow  enchaîne les séquences de couloirs et de dialogues complètement vides de sens pendant près des deux tiers du métrage, avec quelques séquences rendues choc non par l'audace visuelle mais par un design sonore poussée à l'extrême. Centrée sur les résultats d'une expérience aux confins de la génétique et de la métaphysique qui aurait mal tournée, sans que cela soit vraiment bien clair, l'intrigue nébuleuse vire dans sa dernière partie au giallo bien gore de manière complètement incongrue. Et l'échec est vraiment patent lorsque le sort funeste d'un des personnages principaux finit par déclencher l'hilarité de l'audience, preuve que Panos Cosmatos est complètement à côté de son film ! Ce n'est pas comme ça que l'on risque de le voir un jour aux commandes d'un Rambo 5 ou d'un Cobra 2 ...

 


 

 

NUIT SUSHI TYPHOON

Les spectateurs de la salle 500 se souviendront longtemps de cette soirée peu commune, au commencement de laquelle un Yoshihiro Nishimura fort souriant et désinhibé (entre nous, c'est louche) est arrivé en culotte de sumo, faisant virevolter un poupon sanguinolent du bout d'un cordon ombilical de fortune. Les participants au BIFFF avaient déjà pu apprécier les frasques du Japonais ; ce dont ils n'avaient guère pu profiter, c'est de la présence, dans la même tenue, de Rurik Mad Movies Sallé, qui n'hésitera pas, comme son comparse, à finir dans le plus simple appareil devant un parterre de spectateurs hilares. Le retour, au terme du premier film, des deux animateurs, vêtus d'un unique T-Shirt, n'a pas manqué de faire jaillir des cris (d'horreur ? d'admiration ? Le secret est bien gardé) à mesure que Nishimura-san prenait un malin plaisir à lever les bras. Nous en avons donc pris plein les mirettes, mais les films projetés ont-ils été à la hauteur des réjouissances préliminaires ?

 
 

Force est de constater que les pépites de la Sushi Typhoon souffrent bien souvent d'un défaut commun, à savoir une longueur excessive, qui se manifeste le plus souvent par un acte final interminable. Les projections de cette soirée ne dérogent pas à la règle, d'autant que la version de Hell Driver présentée ne fut autre que la director's cut, approchant les 2 heures. La surenchère et l'outrance sont au menu d'un film au thème pas si convenu que ça (les films de zombies japonais sont loin d'être légion), résolument délirant (la voiture-zombie crée son petit effet), et extrêmement généreux. Bien moins réjouissant, le Alien Vs Ninja de Seiji Chiba, qui aura raison de ma forme olympique, la faute à un humour lourdingue, un aspect (et des acteurs) plus que cheap, et des longueurs rédhibitoires. « Même si c'est naze, restez jusqu'à Karate-Robo Zaborgar, là vous allez rire ! », nous avait prévenu Yoshihiro Nishimura. Et on ne peut que lui donner raison, tant le film de Noboru Iguchi aura surpris l'audience par un humour ravageur, mais également une construction étonnamment aboutie ; Karate-Robo, adapté d'une vieille série télévisée, est en effet scindé en deux parties, séparées par un bond dans le temps de 25 ans, et bénéficie d'un scénario plus approfondi que d'ordinaire, dans ce genre de productions. A 6h30 passées, et prenant conscience du fait que le dernier film n'est autre qu'une réalisation du duo responsable du pénible Dead Ball, je quitte, penaude, la salle de projection, avant un Yakuza Weapon parait-il tout aussi ennuyeux.

 


 

 

THE MAN FROM NOWHERE

Memories of Murder, A bittersweet life, The Chaser, et plus récemment J'ai rencontré le diable, sont autant de manifestations de l'impressionnante maîtrise du genre par un cinéma coréen soucieux d'associer à une intrigue ficelée des personnages soigneusement caractérisés, une violence savamment dosée et une noirceur écrasante. Alors que le thriller coréen se creuse progressivement une renommée croissante en France, les codes qui l'accompagnent s'entérinent un peu plus, à chaque visionnage, dans l'esprit du spectateur. A cet égard, The Man from Nowhere (énorme succès au box-office coréen l'été dernier) ne présente guère de surprises, mais consiste en un solide polar d'excellente facture, qui oppose un ancien agent taciturne à des trafiquants de tous genres, alors que la police (incompétente, comme de coutume) mène parallèlement son enquête. Le film de Jeong-beom est à n'en pas douter d'un élégant classicisme, reprenant scrupuleusement les éléments faisant le succès des productions sud-coréennes, mais sa logique mercantile peine par moments à s'effacer, comme lors de cet épilogue étonnamment ensoleillé et très touchant (quoi qu'un rien tire-larmes), intervenant après des effluves d'évènements d'un désespoir confondant. On peut, à ce propos, saluer des instants aussi sobres qu'efficaces, qui auraient perdu toute leur force émotionnelle dans l'explication ; ainsi les adieux joyeux et sans fioritures d'une gamine qui pense rentrer chez elle à son groupe d'amis d'infortune, tous victimes d'un écœurant trafic d'enfants, en deviennent déchirants pour le spectateur qui sait parfaitement ce qui l'attend. Enfin, et ça n'est pas rien, The Man from Nowhere est porté par une pléiade d'acteurs efficaces, avec en tête un héros anonyme et fatigué, caché derrière une mèche qui lui mange la moitié du visage, ainsi que la petite Kim Sae-ron, héroïne en culottes courtes aussi juste que craquante. Après The Unjust, c'est fou ce que ça fait du bien !

 


 

 

DON'T BE AFRAID OF THE DARK

Projeté en guise de film de clôture, le remake produit par Guillermo Del Toro du téléfilm du même nom aurait, semble-t-il, divisé le public, composé d'une part d'enthousiastes louant la patte nostalgique d'un film à l'ancienne, et d'autre part de déçus consternés par un caractère prévisible et suranné. Nous appartenons à la seconde catégorie. A l'origine, l'histoire d'une famille recomposée, la petite Sally (insupportable Bailee Madison) emménageant avec son père (Guy Pearce) et sa compagne (Katie Holmes) dans une immense demeure, dont elle va découvrir une pièce secrète dont s'échappent d'étranges voix. Que du neuf donc, mais ne soyons pas mauvaises langues, des synopsis d'un classicisme forcené sont déjà parvenus à foutre à leur auditoire une trouille démente (Insidious). Don't be afraid of the dark ne fera pas partie de ceux-là, puisque de prévisibles jump-scares constituent l'unique partie « épouvante » du métrage, qui brille par son absence d'âme. Seuls quelques éléments distillés ça et là rappellent une influence horrifique ibérique un peu forcée et, à fortiori, la présence dans l'équipe d'un Del Toro qu'on préfère largement aux manœuvres d'œuvres ultra-personnelles telles que Le Labyrinthe de Pan (une petite fille coincée dans un endroit qui lui déplait, un labyrinthe dans le jardin, une porte ornée de symboles mystérieux, ça vous rappelle quelque chose ?). Là on l'on attendait une revisite intelligente et abyssale de la peur du noir qui, en toute logique, parle encore à une grande partie d'un public adulte, la photographie d'Oliver Stapleton manque le coche et sous-exploite totalement des jeux de lumières qu'on aurait voulus étouffants et désagréables (sur le même thème, le Darkness de Balaguero se montrait bien plus créatif... et tétanisant). Ajoutez à cela un scénario prévisible et ennuyeux, des personnages tous plus antipathiques les uns que les autres (dont un père qui accorde bien plus d'importance à la rentabilité de son business qu'à sa fille névrosée, joli), des boogeymen pas effrayants pour un sou (on pense aux bestioles de Troll Hunter passées au miniaturiseur de Chéri j'ai rétréci les gosses), et une morale des plus conservatrices. Que du bonheur !

 

 

 

Un très grand merci à Xavier Fayet, Estelle et son énergie, et toute l'équipe de l'Etrange Festival et du Forum des Images !

 

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