Sitges contre l'Inquisition

Simon Riaux | 7 mars 2011
Simon Riaux | 7 mars 2011
Le procureur de la République espagnole de Barcelone vient de déposer plainte contre le Festival de Sitges et son directeur, Angel Sala, pour diffusion de pornographie infantile, suite à la projection de A Serbian film dans une version non censurée. La nouvelle fait déjà frémir, et ce n'est pas la lecture de l'articulo 189.7 del còdigo penal qui va nous rassurer :

« Est prévue une peine d'emprisonnement de trois mois à un an, et/ou une amende pour quiconque produit, vend, distribue, exploite ou facilite par quelque moyen que ce soit la vision de matériel pornographique incluant directement ou indirectement des enfants, le son de leur voix ou des images, qu'elles soient authentiques ou transformées. »

 

 


 

Personne ne remet en cause que A Serbian film, en plus d'être un film au propos jamais très loin de la franche dégueulasserie, soit choquant. Le spectateur un peu curieux y découvrira effectivement des scènes sexuelles incluant des enfants. Toutefois, nous sommes ici dans une oeuvre de fiction, où l'action est commise hors-champ, suggérée. Or, jusqu'à preuve du contraire, la pornographie consiste à filmer un acte réel et non simulé, sans autre but que le dévoilement de ce dernier.

Au-delà de la classique problématique de la liberté d'expression et du droit de choquer revendiqué par le cinéma et l'art en général, se trouve un véritable problème de sens. Si l'on en croit l'acte d'accusation porté contre Angel Sala, raconter le viol d'un enfant revient à filmer un véritable viol pour ensuite l'exploiter. Si l'on suit la logique délirante et inquisitrice du procureur espagnol, tout film mettant en scène un meurtre violent ou dérangeant pourrait se voir attribuer le qualificatif de snuff movie.

 

 


 

A Serbian film est une cible facile, contre laquelle il est aisé de s'indigner (ce que le monde du cinéma ne s'est pas privé de faire), à l'évidence, s'il est aujourd'hui la cible des censeurs, c'est dans le but de créer un précédent judiciaire auquel il sera subséquemment possible de se référer. Le procureur compte à l'évidence sur l'effroi que génère le film à sa simple évocation pour mettre un coup et au cinéma, et à la liberté d'expression. Que se passera-t-il si un parangon de vertu inspiré par nos amis Ibériques décide de s'attaquer aux festivals français ayant diffusé le film, ou des oeuvres du même accabit ? Quid de Gérardmer, ou encore de l'Étrange Festival ?

En ces temps de langage policé et de bienpensance, ne doutons que ce type de pratique à mi-chemin entre la censure et le terrorisme intellectuel nous toucherons également de plein fouet. Affutez vos arguments, ne baissez pas la garde, et regardez ce que vous voulez, pas ce que vous devez.

 

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