Venise - Compte-rendu 3

Laurent Pécha | 4 septembre 2006
Laurent Pécha | 4 septembre 2006

L'avantage d'être deux membres de la rédaction à une projo, c'est que l'on peut (normalement) compter sur l'autre en cas de grosse fatigue. Car, oui, la vie de festivalier contrairement à ce que certaines mauvaises langues peuvent penser, n'est pas de tout repos. A force de perdre du temps dans des projections dans lesquelles on ne rentre pas, à force d'attendre un câble réseau que votre voisin le photographe scotché à son téléphone ne veut pas rendre, à force de faire des aller-retour dans notre casier (histoire de voir si on ne serait pas invité à la méga fête de la soirée), on finit par perdre du temps pour le compte-rendu quotidien. Conséquence, les nuits sont courtes et le résultat se voit à la projection du matin (8h 30). Certains craquent (ok, moi, pour être franc) et piquent un bon roupillon (désolé chers collègues pour mes ronflements mais celui qui me trouve une pharmacie à Venise pour soigner mon rhume est plus que le bienvenue) tandis que d'autres (soit Audrey) fidèles au poste, suivent attentivement (ou presque) le film du matin. C'est pourquoi la dernière croute sur une jeune femme fantôme aux cheveux propres qui traumatise la vie d'un flic, soit Retribution de Kurosawa, ne sera pas chroniqué par le dormeur du matin (qui se contente largement de ce qu'il a vu et notamment cet inénarrable plongeon dans la casserole) mais par Audrey plus bas dans cette page.

 


Après cette mini sieste matinale, tout était en place pour apprécier à sa pleine mesure l'un des films les plus attendus de la compétition, le dernier Alfonso Cuarón, Children of men. Cinéaste extrêmement ambitieux, touche à tout de génie, aussi à l'aise dans l'intimiste (Et ta mère aussi !) que dans le spectaculaire merveilleux (Harry Potter 3), Cuarón s'attaque ici à la fable futuriste sociale. Avec son casting séduisant (Clive Owen, Julianne Moore, Michael Caine) et une équipe technique de haute volée (le chef op du Nouveau monde, Emmanuel Lubezki,…), le réalisateur mexicain nous plonge dans un monde chaotique où la procréation n'existe plus, où l'assassinat du plus jeune être humain sur terre émeut le monde entier. Nous sommes en 2027 et il ne fait pas bon de vivre sur notre planète Terre comme va nous le faire comprendre Cuarón avec une roublardise technique hors du commun (multiplication de plans séquence, montage sonore tonitruant,...) durant deux longues heures.

 

Avec son Clive Owen dépassé par les événements (un beau regard de bovin qui nous rend presque heureux que Daniel Craig lui ait piqué le rôle de James Bond) et qui semble sortir de Closer, une Julianne Moore qui ne fait que passer (honte à Cuarón d'avoir la meilleure actrice du monde et de s'en débarrasser au bout de vingt petites minutes), un Michael Caine désormais habitué au cabotinage décontracté dans des grosses prod, le constat n'est pas des plus brillants. Il s'alourdit de minute en minute quand Cuarón tente d'imposer à sa fable des allants moralisateurs même s'il avoue ne pas avoir voulu le faire. Beaucoup de bruit pour rien (la dernière demi-heure situé en pleine guerre civile est à ce titre auditivement épuisante) pour une œoeuvre de toute évidence ambitieuse mais qui rate sa cible même si les fans de la première heure du réalisateur de La Petite princesse trouveront matière à se réjouir.
LP

 

 

Encore une journée Orient express qui s'entame avec Sakebi de Kiyoshi Kurosawa. Télescoper l'univers de ce spécimen à 8h30 du mat', en n'ayant engrangé que quatre heures de sommeil, donnerait du fil à retordre aux plus cinéphiles des cinéphages. À l'issue de cette expérience éprouvante, les lève-tôt qui parvinrent à se décoller de leurs sièges, se divisaient en trois catégories : il y a ceux qui ont fini leur nuit en ronflant comme des sonneurs, ceux qui se sont chopés un coup de massue en tentant de garder un œil ouvert, et ceux (une espèce rare) qui ont vidangé les 90 minutes de ce polar spectral, en criant au génie anti-conformiste. Auteur hermétique, Kurosawa ne fait pas l'unanimité malgré le buzz qui auréole Cure et Charisma. Chacun de ses morceaux de bravoures s'inscrivant dans un genre spécifique, sa dernière odyssée racole sur le terrain de l'invasion fantomatique. Mais ne vous attendez pas pour autant à ce que la chair de poule vous hérisse le poil. Car les apparitions qui hantent les personnages torves de Kurosawa ne sont pas du genre à faire grincer les portes ou à squatter votre piaule dans un déshabillé cotonneux. Non, ce que cet olibrius recherche, en peuplant Tokyo d'ectoplasmes, c'est à démanteler la terreur qu'ils nous inspirent. Pourquoi les fantômes nous foutent-ils tellement les jetons, puisque par essence ils sont morts et donc inoffensifs ? Selon Kurosawa, ce qui nous glace d'effroi, ce ne sont pas tellement les apparitions mais le passé qu'elles font remonter à la surface. Tout cela ne manquerait pas d'intérêt, si son concept n'était pas grippé d'emblée par une mise en scène aussi fuligineuse que branquignol. Où va-t-il chercher cette histoire de meurtres par noyade dans des flaques d'eau salée ? Quels sont leurs mobiles ? Quel rapport, sa revenante entretient-elle avec les assassins et leurs victimes ? Et quid du plongeon kamikaze de ce second rôle, renvoyé ad patres façon chasse d'eau, parce qu'il a le malheur de renifler de trop près la cuvette ? Vous ne captez rien à cette troisième dimension ? Nous non plus. Pire, non seulement on n'accroche pas mais en plus on s'en fout …
AZ

 

 

 

 

Plus réjouissant car dopé aux hormones mâles, Jakpae décline une recette remise au goût du jour par le maestro Tarantino. Ici, pas de prise de tête scénaristique qui risquerait de nous mettre au tapis, mais une rafale d'uppercuts calqués sur Kill Bill, sans pouvoir prétendre à jouer dans la catégorie poids lourds. Au départ, cette vendetta entonne le même refrain que « Les grands hommes » de Bruel. Quatre copains d'enfance se sont donnés rendez-vous dans dix ans. Sauf que ce sont les funérailles de l'un de leurs frères d'armes qui servent de décor à leurs retrouvailles. Cette première d'une longue série d'exécutions intestines, pousse les plus bagarreurs de la bande à mener l'enquête. Le bâton de dynamite s‘embrase, en se frottant d'abord gentiment aux groupuscules de jeun's sauvageons qui quadrillent la cité. Punks, majorettes, batteurs, skateurs, tous les petits monstres de cette jungle urbaine apprennent à respecter leurs aînés à grandes volées de tatanes dans une sorte de Guerriers de la nuit survitaminé. Passée cette mise en bouche récréative, le feu d'artifice éclate à intervalles chronométrés, sans étincelle ni clinquant particulier. L'efficacité prime sur la chorégraphie des castagnes, tout comme l'ironie burlesque masque la superficialité des personnages. C'est du fast-food à vocation cathartique, une tambouille divertissante, aussi vite consommée que digérée.
AZ

 

 

 

Last but not least, Tsai Ming-liang, le réalisateur qui élonge ses plans pour en extraire la substantifique moelle de ses comédiens fétiches, présentait Hei yanquan, hier soir. Dans le genre sibyllin, le malaisien coiffe Kurosawa au poteau. Qui a déjà vu The Hole ou Goodbye Dragon Inn sait qu'il faut une patience d'ange pour s'accoutumer à son tempo molto molto moderato. Contemplatif jusqu'à la catalepsie, le réalisateur s'en est allé ausculter la solitude citadine de sa Malaisie natale. Dans la moiteur de Kuala Lumpur, quelques vermines tabassent à mort un sans-abri. Abandonné comme un chien sur le bord de la route, un homme le recueille dans son home sweet home insalubre. À mesure qu'il lui prodigue ses soins, l'infirmier s'éprend de son malade. Leurs rapports suggestifs fleurent bon l'interdit, jusqu'à ce qu'une femme s'immisce dans leurs désirs. Précédé du parfum de souffre dont embaumait déjà La saveur de la pastèque, ce ménage à trois atteint, dans son dernier quart d'heure, des sommets de sensualité. Il faut dire qu'à force de mariner à température ambiante, le thermomètre met tellement de temps à grimper, qu'on frise rapidement la crise de nerfs. Comme ces images fixes ont une sérieuse tendance à l'indolence, on poireaute entre impatience, méditation et somnolence. C'est pas que ces flottements non dialogués sont désagréables, c'est juste qu'ils requièrent une zénitude qui ne sied pas à tous les tempéraments occidentaux, même si l'applaudimètre prouve qu'une frange exponentielle du public apprécie ces shoots anesthésiques.
AZ

 

 

 

 

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