Venise - Compte-rendu 1

Laurent Pécha | 2 septembre 2006
Laurent Pécha | 2 septembre 2006

Lost in translation …

 

Bienvenue à la Mostra de Venise et sa 63eme édition. Une première pour l'équipe d'Écran Large arrivée en force (on est deux !) qui découvre que la couverture du festival ne sera vraiment pas une partie de plaisir - collègues deauvillois, vous avez fait le bon choix. Réputé pour son organisation pour le moins branlante (le respect des horaires étant le cadet des soucis des organisateurs), le parcours du combattant débute sur les chapeaux de roue après tout de même presque une heure de transport (le bateau le long des canaux, c'est beau certes mais c'est lent, très lent). Après la découverte de la couleur de nos badges (bleus en l'occurrence) et leur importance dans la hiérarchie des accès aux projections (pas les derniers mais presque), l'étude du programme s'impose pour savoir comment pouvoir enfiler les films en maximisant notre temps. Suite à la vision commune du dernier Verhoeven (impossible de rater le retour gagnant de Paulo en Europe), nos routes se séparent aux quatre coins des différentes salles et c'est donc parti pour un marathon cinéphile et linguistique.

 

 

Linguistique car les films sont projetés en version originale sous-titrée en italien et en anglais lorsque la VO n'est pas anglaise. Élément donc important, il faut savoir se placer correctement dans la salle (quand on arrive à y entrer, le festival de Venise étant l'un des rares à autant privilégier le public, nombreuses sont les projections réservées avant tout aux spectateurs lambdas) sous peine de ne pas avoir une bonne vision sur ces précieux sous-titres. Un exercice d'autant plus périlleux que les films visionnés aujourd'hui par l'auteur de ces lignes avaient tous comme point commun de faire dans le multi-langues à outrance. Entre Black book et son utilisation du hollandais, de l'allemand, de l'anglais et de l'hébreu, Daratt et son arabe (tchadien) et son français et enfin Quelques jours en septembre et son français, anglais et arabe, il ne fallait pas s'y perdre pour savoir quand s'accrocher à la piste sous-titrée. Mais comme c'est le premier jour, la mission fut presque réussie (je ne dirais pas merci à celui qui m'a obligé à faire des contorsions houdinesques pour parvenir à capter les dialogues arabiques du film de Santiago Amigorena).

 

 

Après la claque signée Verhoeven (lire la critique de Black book en cliquant ici), on redescend d'un cran dans la compétition avec Daratt (Dry season en anglais). Troisième film de Mahamat Saleh Haroun, cinéaste tchadien de 46 ans ayant fait ses études en France, Daratt suit un jeune tchadien de 16 ans désireux de venger la mort de son père. Poussé par son grand-père qui lui offre un revolver, Atim part à la recherche de l'assassin de son père, un ancien criminel de guerre devenu un boulanger tranquille, futur père de famille. Pris comme apprenti par l'homme qu'il doit tuer, Atim va petit à petit nouer avec lui des relations presque filiales. Jusqu'au point de douter de l'utilité de son acte de vendetta…D'une sobriété parfois déconcertante (la musique est quasi inexistante), prenant son temps (souvent trop à tel point que le film aurait fait un excellent moyen métrage), Daratt n'arrive jamais à convaincre totalement mais reste suffisamment fascinant grâce notamment à l'interprétation puissante des deux comédiens principaux. De ce couple étrange aux réactions épidermiques, se dégage une émotion à fleur de peau qui touche à défaut d'émouvoir. À travers eux, le cinéaste dresse une radioscopie alarmante d'un pays qui va mal, ravagé par la guerre civile depuis plus de quarante ans. Et ce n'est pas le final, sans concession, qui changera la donne. Au contraire, l'ultime phrase finit par glacer le sang et nous hante longtemps après la sortie de la projection.
LP

 


Si Oliver Stone traite ouvertement du 11 septembre dans son World Trade Center si décrié et qui fut présenté en fanfare aujourd'hui, d'autres n'hésitent pas non plus à l'intégrer dans le récit au risque d'enfoncer le clou de manière peu subtile. C'est le cas de Quelques jours en Septembre de Santiago Amigorena. Pour son premier film, le co-scénariste du meilleur Klapish (Le Péril jeune) narre les retrouvailles impossibles entre un espion américain (Nick Nolte) et ses deux enfants, une française (Sara Forestier) et un américain (Tom Riley) chaperonnés pour l'occasion par un agent secret français, Irène (Juliette Binoche). De Paris à Venise, poursuivi par un implacable tueur à gages (John Turturro qui en fait des tonnes mais avec le talent qu'on lui connaît), l'improbable trio attend donc la venue d'Elliot, figure paternelle mystérieuse, admirée par son fils et détestée par sa fille, et qui détient des informations capitales sur des événements tragiques à venir. Étant donné que le film débute le 1er septembre 2001, le mystère est pour le moins éclairci très rapidement et au lieu d'être un film d'espionnage exaltant, Quelques jours en septembre s'oriente très vite vers…ben justement on ne sait pas. À trop vouloir jouer sur tous les tableaux, Amigorena laisse le spectateur perplexe. Pas crédible pour un sou au niveau espionnage (Binoche en agent secret, on n'y croit pas mais alors pas une seconde), ennuyeux dans la romance qui se noue entre les deux « enfants » Elliot (malgré des comédiens très justes), à peine amusant lorsque Turturro entre épisodiquement en scène (ses coups de fil à son psy pour calmer ses ardeurs de tueur sont toutefois relativement désopilants) et surtout inutilement longuet (même le charme vénitien de la dernière partie du récit n'y change rien), Quelques jours en septembre démontre une énième fois qu'une compilation d'acteurs de renom est inutile lorsqu'on patauge autant dans son récit.
LP

 

 

La Semaine de la Critique version dolce vita donne son coup d'envoi en présentant les premiers pas, off-screen, de l'honorable Jean-Pierre Daroussin. Au diable les rivalités enragées, nées de la dernière Coupe du monde, nos hôtes aiment la France et son cinéma ! La preuve incarnée dans cet habitué de Guédiguian qui débarque sur le Lido avec Le Pressentiment. Le pitch de ce film adapté du bouquin d‘Emmanuel Bove, se plante à mille lieues des calanques. Panam, Belleville, un quadra bien entamé par l'existence de rupin qu'il a menée depuis l‘enfance, se cloître dans un appart' modique pour y couler des jours monotones. Sa crise, celle qui lui a fait lourder femme, enfant, valet de pied, hôtel particulier, carrière d'avocat et valeurs bourgeoises, est encore fraîche. Aux regards des crampons bien-pensants qui s'accrochent à ses basques pour régler des questions d'héritage ou des rares personnes qui ressentent à son égard une réelle affection, cet ermite des temps modernes passe pour un triste fou. Tandis que ses voisins l'observent comme une bête curieuse, lui se détache du matériel et des quelques grammes de douceur qui subsistent dans son quotidien, pour se plonger dans l'écriture d'un roman flanqué du complexe de la page blanche. C'est ainsi que Daroussin jette les bases d'un film d'auteur qui ausculte Le Goût des autres, en adoptant la position d'un gardien de phare. Ce climat franco-français pêche parfois par excès de langueurs, mais une gamine de 13 ans, livrée à elle-même suite à une bastonnade familiale, va chambouler tout ça. Lui qui s'était donné tellement de mal pour se dépouiller de tout, va flancher. Ses bonnes intentions le tueront. D'autant que le fait de se frotter au contact de ces gens simples qui humanisent son nouvel univers, met sa grosse déprime en porte-à-faux. Subir les ingérences intempestives des fouineuses qui épient tous ses mouvements, sortir sa protégée, aider quitte à être arnaquer… La vie reprend ses droits jusqu'à ce que le destin sale l'addition, histoire d'épicer tout ça. L'ironie rentre en jeu et Daroussin s'envole à tire-d'aile en surplombant pas mal de clichés en vigueur. Comme le dirait un festivalier à la tchatche typiquement italienne : « il y a arnaque sur la marchandise, ce n'est pas un coup d'essai, c'est un coup de maître ».
AZ

 

 

Continuons avec un vétéran des mélos chorals, j'ai nommé Monsieur Alain Resnais, dont le dernier tour de chant, Pas sur la bouche, laissait à présager un sacré coup de mou… On craignait qu'Un cœur ne vienne confirmer cette tendance à l'anémie mais il y a du mieux dans ce chassé-croisé d'âmes solitaires qui étalent leurs peurs intimes sur la place publique. Cette hausse d'intérêt, on la doit essentiellement à Laura Morante et Isabelle Carré. En étoffant le casting ronronnant de ce vieux loup de mer, ces nouvelles recrues insufflent un peu de fougue dans cette cantate à la « je t'aime, moi non plus ». Par leur entremise, Resnais ravale ses grands classiques pour se mettre à la page. Fini le charme fou des roucoulades d'antan, voici venu le temps des rencontres par internet et des programmes de télé soft-porn. Comme quoi, le réchauffement de la planète n'épargne personne. Certes, on ne baigne pas encore dans le caliente bouillonnant, mais Sabine Azéma se livre à de savoureux numéros d'effeuillage nympho. Chapeau bas aux femmes de cœur de Resnais qui donnent du corps à cette chronique qui manque tout de même d'originalité. D'autant que personne ne l'avait attendu pour évoquer les galères typiques de Meetic, expertiser les quiproquos liés à la drague entre collègues de travail et sonder les cocasseries sexuelles des gens ordinaires.
AZ

 

 

Après notre mère patrie, place au dépaysement, aux productions internationales qui font la renommée de cette Mostra. Fin d'après-midi, tandis que le soleil se couche sur la lagune, nous traversons l'Atlantique, direction New-York et l'amouuuurr encore et toujours, cette thématique universelle, explorée cette fois, par un autre comédien aux velléités de metteur en scène : Ethan Hawke. Ce que l'on sait de ce tombeur, ex de Uma, c'est qu'il a plus d'une trentaine de films à son actif et qu'il se range volontiers dans la branche arty du showbiz. Ce que l'on ignore souvent, c'est qu'à ses heures perdues, cette bombe anatomique pond des romans qui se vendent comme des petits pains aux States. La tête bien faite, un physique très agréable, le gadjo a plus d'un tour dans son sac. Et même si Chelsea Walls, sa toute première réalisation, ne l'a pas propulsé direct sur le champ de gloire des derniers petits génies de la caméra, Ethan n'a pas lâché prise. Ambitieux, il a choisi de retenter l'expérience en transposant à l'écran l'un de ses propres bouquins. The Hottest State remonte à l'enfance du sentiment amoureux. Un passage à l'âge adulte marqué, à la vingtaine, par un coup de foudre inévitablement suivi d'un chagrin d'amour tonitruant. Squatteur de la Grosse Pomme, William, dandy nouvelle vague, trop fleur bleue pour son temps et pas assez sûr de lui pour la gente féminine, croise le regard d'une beauté qui le stupéfie. Touché, coulé ! Finis les flirts sans lendemain, ceux qu'il poursuit inconsciemment, pour ne pas reproduire le fiasco de ses géniteurs, son palpitant bât la chamade. La crise de tachycardie menace. Celui de sa douce, plus mesuré, ne reste pas insensible à ce Roméo un peu perdu. Et vogue une passion d'un an, une osmose originelle qui vire à la galère et plonge notre garçon dans un tel désespoir qu'on l'imaginerait bien à deux doigts de se jeter du pont des soupirs. Résumé ainsi, The Hottest State sent un peu la redite, mais grâce aux acquis glanés sur Before Sunrise/Before Sunset, Hawke étire ses scènes en plans-séquences qui lui laissent le temps de capturer toutes ces particules d'électricité aérienne qui passent d'ordinaire à la trappe. Pas de rendement abusif ici. Juste de la qualité. Un tandem de jeunes tourtereaux charismatiques (Mark Webber et Catalina Sandino Moreno), Laura Linney en mère adoratrice et vindicative, Ethan Himself en papa démissionnaire, une ironie mordante, tout ça baignant dans un bocal lumineux aux images léchées. Et cerise sur le gâteau : une B.O rock-mélancolique qu'on a hâte de retrouver dans les bacs. Que Mister Hawke adapte fissa son deuxième roman et qu'il déniche un rôle pour Julie Delpy !

 AZ

 

PS : il fut un temps question que l'on vous propose les meilleurs moments de la conférence de presse de Verhoeven et ses acteurs mais le syndrome Lost in translation était également présent et même plus qu'ailleurs dans cet exercice. Pourtant, tout avait bien commencé avec la possibilité d'avoir un casque qui traduit dans la langue de son choix les questions et réponses des intervenants. Mais avec une traductrice française qui décide de faire grève en plein milieu de la conférence (joli coup de Trafalgar lorsque la moitié des questions est en italien), un Verhoeven qui ne comprend pas les questions qu'on lui pose, ses actrices distraites qui n'utilisent plus leur casque et qui ne se rendent pas compte qu'on leur pose une question en italien, le résultat fut pour le moins désastreux. Après une bonne demie heure de dérushage à l'hôtel et la « satisfaction » d'avoir récupéré trente secondes d'informations potentiellement pertinentes (nombreuses idées du Black book proviennent des notes que Verhoeven et son scénariste avaient prises du temps des recherches effectuées pour Soldier of orange, soit il y a presque 30 ans), on a jugé bon de faire l'impasse sur cette conférence.

 

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