Gérardmer 2005 — Jour 4

Vincent Julé | 30 janvier 2005
Vincent Julé | 30 janvier 2005

Intoxication cinématographique

Journal de bord / 29 janvier 2005
En fin de festival, baisse de régime. Le réveil est une agression et le petit-déjeuner n'est qu'un signe de plus qui vous avertit d'une journée de gavage. Le chemin jusqu'aux films se fait avec difficulté, et souvent en retard. Les yeux sont gonflés et la bouche s'entrouvre sans que l'on s'en rende compte. On repense alors à la veille, aux séances de dernière minute ou aux séances tardives. Car un festival, c'est l'assurance de ne pouvoir rendre compte des films projetés en temps et en heure. Et comme par hasard, ce sont en général ces films qui créent la surprise ou l'engouement.

Petits exemples :

LA PEAU BLANCHE
Réalisateur : Daniel Roby (Québec, 2004)

Film canadien présenté en octobre 2004, le film de Daniel Roby a écumé tous les festivals avec la même réputation de petit film bien foutu. Effectivement, cette dernière n'est pas usurpée et le film surprend par sa gestion sans effets du fantastique. La peau blanche est plus proche de l'aspect romantique du genre, comme il y a quelques années, La sagesse des crocodiles de Po-Chih Leong, avec son approche sensuelle de la peau et de la chair dans une histoire qui tient parfois de la thèse sociologique fantastique sur le racisme. Sous ses allures austères que l'on jurerait emprunté au Dogme de Lars Von Trier, l'histoire de ce jeune étudiant blanc qui a une aversion maladive pour les rousses et qui tombe amoureux de l'une d'elle est une petite surprise. Du genre de celle que l'on garde pour soi car elle ne plairait à personne. La collection Arlequin qui tourne au sacrifice sanglant, gageons que le jury y sera sensible.

BUBBA HO-TEP
Réalisateur : Don Coscarelli (USA, 2003)

Star des festivals du monde entier depuis désormais deux ans, Bubba Ho-Tep ne pouvait qu'être projeté en séance de minuit pour les fous du genre et les accrocs du culte. Bruce Campbell, de retour pour jouer le King en maison de retraite devant la caméra du réalisateur de Phantasm (mieux vaut cela qu'ouvreur chez Sam Raimi), c'est un objet qui semblait dédié à cet horaire. Quand, en plus le pitch sent le culte (une momie vient déranger le calme de la maison de retraite d'Elvis Presley et J.F. Kennedy) et la mise en scène réserve des séquences du même acabit (le dit monstre fait une course poursuite avec un retraité en chaise roulante), l'audience ne peut que se lâcher. Effusion de rires et applaudissements pour cette série B subversive et trash, comme on aimerait en voir plus souvent. Le plus étonnant est que le réalisateur se permet des petits moments de poésie ringarde pour rappeler avec émotion que son style est maintenant parasité par les blockbusters et les trop petits budgets.

Restons lucide, il y a toutefois des contre-exemples parfaits.

CAMARA OSCURA (Deadly Cargo)
Réalisateur : Paul Freixas (Espagne, 2004)

Cinq personnes parties faire de la plongée sous-marine découvrent le cadavre d'un homme à la surface de l'eau. Peu après, ils perdent leur bateau et se retrouvent seuls au milieu de l'océan. Ils pensent être sauvés à la vue d'un cargo, mais sont en fait loin du compte. Avec son entrée en matière à la Open Water, ce Deadly Cargo espagnol présage non pas du meilleur, mais au moins du bon. Une fois embarqué à bord du maudit bateau, le réalisateur séduit toujours grâce à un traitement visuellement brut, et narrativement radical. Ainsi, au jeu des Dix petits nègres, les premières victimes ne sont pas toujours celles que l'on croit. Du genre : « les femmes et les enfants d'abord ! » Ce n'est qu'après avoir franchi cette extrême, un peu douteux tout de même, que le film commence à prendre l'eau. Les personnages courent, crient, comme dans tout survival – un terme à la mode en ce moment - qui se doit, mais ne meurent plus. Ils prennent la tasse tout au plus. Rapidement, le film se caricature lui-même et finit dans une fausse insouciance, bête et douteuse.

TRAUMA
Réalisateur : Marc Evans (Royaume-Uni, 2004)

Un homme sort du coma après un accident de voiture qui a coûté la vie à sa femme. Hanté par son souvenir, il va petit à petit perdre pied avec la réalité. Du jamais vu (Ouvre les yeux, Memento, Memories) ! Un traitement original (meurtres, paranoïa, visions) ! Et une fin à couper le souffle (schizophrénie) ! Malgré un Colin Firth convaincant, la seule surprise du film reste ces deux grands moments, où le micro du perchman apparaît dans le champ. Peut-être le signe d'une potentielle mise en abyme, ou d'un dernier tour de passe-passe. Mais même pas.

Sinon, pour bien commencer la journée, rien de tel que quelques entretiens avec les réalisateurs non starifiés du festival. Pour ces metteurs en scène dont les oeuvres ne sont pas attendues, c'est l'occasion de partager leur passion du cinéma et de discuter d'un travail dont beaucoup n'accorde que peu d'importance (ce qui est dommage). Pour retrouver le scénariste de La Peau Blanche, et les réalisateurs de Camara Oscura et Hypnos, il faut donc cliquer ici.

Mais, l'évènement de la matinée, et même de la journée, reste la projection de Saw. Aucune nécessité de raconter le pitch, ou de revenir sur le buzz entourant le film depuis plus de six mois. L'intérêt est simplement de voir – ou plutôt revoir dans notre cas – le film en public et sentir les réactions.

SAW,
Réalisateur : James Wan (USA, 2004)

A la lumière des applaudissements et des cris pendant le retournement final, force est de constater que Saw. est d'une efficacité redoutable. A la sortie, les premiers échos le confirment. « S'être fait avoir » devient un gage de qualité, voire la preuve d'être en présence d'un chef d'œuvre. Or c'est bien le problème. Le film n'existe que par et pour cette idée – aussi excellente soit-elle. Du propre aveu des auteurs, la scène de réveil et la fin ont été pensées en premier, avant la trame générale. Ainsi, entre les deux, le film semble obéir à une technique grossière de remplissage, à grand renfort de flash-back. Le tueur tout d'abord, omnipotent et machiavélique, dans la droite lignée du Kevin Spacey de Seven ou Usual Suspects. Malgré une apparence et une voix intrigantes, ses motivations sont d'une naïveté, en contradiction totale avec la gravité du traitement. Celui-ci obéit d'ailleurs aux lois du genre et emprunte sans vergogne au cinéma de Fincher. Mais, au final, les tortures ressemblent plus aux reconstitutions clinquantes de la série Les Experts. La mise en scène se contente alors d'user des effets habituels du clip, psychédéliques et agressifs. Seules certaines séquences en huit clos, crasseuses et énervées, interpellent – le défi aurait d'ailleurs été de rester dans cette unique pièce. Malheureusement, le film ne cesse de s'échapper à l'extérieur dans de longues scènes d'exposition à mourir d'ennui, et dont le seul but est de multiplier les fausses pistes (tous les personnages deviennent suspects) sans souci de cohérence. Reste donc ce dernier quart d'heure, et surtout cette dernière scène vraiment impressionnante. Les plus joueurs d'entre vous (à deux, c'est encore mieux) pourront s'amuser à ce Cluedo géant pour passer le temps.

Dans l'après-midi, en séance spéciale, après l'excellent Fil de la vie, un objet de culte asiatique.

SAVE THE GREEN PLANET
Réalisateur : Jang Jun-Hwan (Corée du Sud, 2003)

Vraiment barré ces coréens. C'est la conclusion inévitable que l'on se fait à la sortie de la salle de cette petite perle dont la réputation n'est plus à faire. Un jeune homme qui kidnappe un industriel pour lui faire avouer qu'il est un E.T., c'est pas mal comme début. Mais le plus surprenant est la façon dont il arrive à doper sa mise en scène sans vulgarité. Dosant, humour et émotion, gore et SF, le réalisateur met en image un OVNI réellement cinglant et émouvant. La base rappelle par ailleurs étrangement Saw. Un serial killer qui torture un homme dans une pièce alors que la police est à ses trousses... mais voilà, Jung Jun-Hwan est un maître dans sa partie alors que James Wan a le souffle court. Violent, osé, amusant et émouvant, Save the green planet est d'une folie qui n'est pas sans rappeler le Bad Taste de Peter Jackson (dans l'esprit plus que dans la forme). Réjouissant.

Ce même après-midi, un autre évènement se produit. Une apparition. Dans un paysage blanc et immaculé. La belle et glaciale Natacha Régnier. En pleine interview du réalisateur du film dans lequel elle joue avec Benoît Magimel, Trouble (sur lequel nous reviendrons plus longuement lors de sa sortie, avec entretiens des trois protagonistes), l'homme aux boots ne remarque même pas sa présence à ses côtés, et tombe nez à nez avec elle, sa peau blanche et ses yeux d'un gris profond.

La nuit tombe sur Gérardmer et le Grand Hôtel, où tout le monde s'agite depuis l'arrivée de Benoît Magimel, qui, avant la séance officielle de ce soir s'amuse comme il peut, la clope au bec.

Vincent Julé & Julien Welter.

PS : Ouhlàlà. Le timing est si serré que j'ai failli oublier de vous narrer le désarroi des boots en folie. Plus la fin du festival approche, plus elles sont gentilles, confortables et ne me quittent pas de la journée (LA journée, pas la nuit !!). D'ailleurs, j'ai senti quelque chose dans le regard de Natacha Régnier (qui a dit du mépris ?!!!).

Bonus :

Alain Berberian (Réalisateur)

Film fantastique préféré : « Alien de Ridley Scott. Il a révolutionné le genre de la science fiction. C'est une véritable oeuvre de suspense de la part d'un visionnaire. Les acteurs faisaient en plus parties d'une nouvelle génération. Je vois ce film une fois tous les ans et il est à chaque fois formidable. »

La scène qui a le plus terrifié : « La scène de la douche de Psychose. J'avais 13 ans. »

Gérard Delorme (Journaliste Première)

Film fantastique préféré : Aux frontières de l'aube, de Kathryn Bigelow.

Scène qui a le plus terrifié : « Une des premières scènes de nuit, dans La nuit des morts-vivants. Elle me terrifie de façon persistante. »

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