Le Pacificateur : quand George Clooney jouait les anti-James Bond

François Verstraete | 13 février 2023 - MAJ : 13/02/2023 12:26
François Verstraete | 13 février 2023 - MAJ : 13/02/2023 12:26

Avant de collaborer avec Steven SoderberghGeorge Clooney avait revêtu la même année la tenue de Batman et le costume d'un ersatz de James Bond bien bourrin dans Le Pacificateur.

En dépit de quelques apparitions ci et là et d’un second rôle chez Robert Rodriguez dans Une Nuit en enfer, George Clooney a peiné avant de percer véritablement sur grand écran. C’est pourquoi après un passage très réussi dans Urgences, il a finalement gravi la montagne hollywoodienne à partir de 1997.

Il endosse d’abord la tenue de Batman pour le compte de Joel Schumacher dans Batman & Robin (hélas) puis l'uniforme d’un colonel des services secrets à l’occasion du long-métrage Le Pacificateur, premier bébé des studios Dreamworks. Mis en scène par Mimi Leder (qui avait réalisé la première saison d’Urgences), ce film d’espionnage nanti d’un budget relativement important pour l’époque (50 millions de dollars presque autant que GoldenEye) essayait de s’affranchir des clichés liés au genre afin de proposer une expérience unique. Avec succès ?

 

Le Pacificateur : photo, George Clooney, Nicole Kidman"Tu ne me sers pas de faire-valoir"

 

Contexte brûlant pour film féroce

Plusieurs ogives nucléaires russes sont dérobées durant leur transfert par un mystérieux commando. Alertés, les États-Unis dépêchent Julia Kelly (Nicole Kidman), responsable de la sécurité atomique et le colonel de services secrets Thomas Devoe (George Clooney), pour traquer les criminels. Le duo entame alors une course contre la montre afin d’empêcher un incident à l’échelle mondiale.

Il est certain qu’à l’énoncé du synopsis, beaucoup désireront voir ailleurs si l’herbe y est plus verte et originale. Force est de constater que, de prime abord, le long-métrage de Mimi Leder ne promettait rien de bien nouveau, surtout dans une période marquée les succès de GoldenEye et de Demain ne meurt jamais. Pourtant, lorsque l’on dépassait le stade des aprioris certes légitimes, on découvrait un récit féroce qui ne craignait pas de souffler sur des braises encore chaudes.

 

Le Pacificateur : photo, George Clooney, Nicole Kidman"On va faire quoi pour se démarquer de James Bond ?"

 

En effet, l’intrigue du Pacificateur repose en grande partie sur les stigmates du terrible conflit qui a déchiré l’ex-Yougoslavie dans les années 90. Mimi Leder n’a donc pas hésité à se servir de ce contexte délicat pour justifier les enjeux de son long-métrage. Dans cette optique, elle expose avec précision tous les tenants et aboutissants géopolitiques durant 40 premières minutes de qualité. Pendant ce laps de temps, la cinéaste déploie un dispositif ingénieux digne des romans de Tom Clancy tandis qu'on assiste à une investigation bureaucratique sur fond d’espionnage en lieu et place d’un actioner pur et dur.

Et durant ces instants, les autorités cèdent peu à peu du terrain pendant que Julia dresse un constat glaçant : "Il faut craindre davantage celui qui ne convoite qu’une seule bombe que celui qui en veut douze". Avec ces mots, le personnage campé par Nicole Kidman, sans verser dans une tirade pompeuse, explique la différence entre fanatisme et appât du gain. Les motivations de toutes les parties sont désormais définies, la traque menée par la jeune femme et par Devoe peut commencer. 

 

Le Pacificateur : photo, Nicole Kidman"Allô les USA, il faut sauver le monde"

 

George Clooney et Nicole Kidman sauvent le monde 

Dès lors, on redoute d'assister aux tribulations d'un 007 du pauvre et d'une James Bond girl en faire-valoir. Mais que nenni, car Mimi Leder préfère présenter des personnages très éloignés des standards existants dans la franchise consacrée à l’agent britannique (du moins ceux affichés à l’époque). La réalisatrice écarte ainsi toute condescendance dans le traitement de leurs caractères, met les deux protagonistes sur un pied d’égalité et prend à rebours tous les principes du couple hollywoodien. 

Mimi Leder n'instille pas le jeu de séduction traditionnel, ôtant toute tension sexuelle dans les attitudes et les dialogues. On retient bien plus le passage poignant et cynique au cours duquel Devoe regrette la mort de son indic qu’une quelconque tentative de flirt. Pendant cette scène, Julia décochera d’ailleurs un cinglant « personne ne le mérite » à la réplique de son équipier, « il ne méritait pas de finir comme cela ».

 

Le Pacificateur : photo"Bon je vais devoir me venger après ça"

 

Et si ce dispositif fonctionne si bien à l’écran, c’est uniquement parce que la cinéaste utilise ses interprètes à contre-emploi. Gendre idéal depuis UrgencesGeorge Clooney dans Le Pacificateur n’a rien d’un gentleman. Poursuivi pour fraude, adepte de la torture et impitoyable, il ne s'approprie pas le flegme du héros de Ian Fleming, du moins au cinéma.

Quant à Nicole Kidman – épouse de Tom Cruise à l'époque et icône glamour – n’est jamais montrée comme un objet de désir, en atteste la scène où un soldat vient la chercher à la piscine. Mimi Leder ne s’attarde pas sur le corps de la comédienne. Elle préfère au contraire en terminer avec l'image d'Ursula Andress sortant de l’eau pour attirer le chaland. Et surtout, elle souhaite en finir avec les stéréotypes du genre en général, pour mieux se démarquer, quitte à déplaire.

 

Le Pacificateur : photo, George Clooney"Oui, on est tout le temps au téléphone"

 

À rebrousse-poil des clichés 

Pourtant, il est certain que, comme tout blockbuster moyen qui se respecte, Le Pacificateur doit remplir son cahier des charges. En outre, il a pour obligation de valoriser les fiers soldats américains, toujours prêts à stopper les catastrophes en cours (qu’ils auraient créé au préalable ?). Or, sur ce point, Mimi Leder se déleste des poncifs quitte à envoyer valser l’institution. Dans Le Pacificateur, nos braves combattants de la liberté brillent par leur incompétence et abattent même des civils à la place des terroristes.

Durant ces quelques scènes d’action, Mimi Leder égratigne avec force l’image de l’Amérique... et de George Clooney. Son personnage se moque de la morale, exécutant les ennemis à terre (enfin piégés dans leur véhicule), ne se préoccupe jamais des dommages collatéraux et fait preuve d’une brutalité inouïe (Daniel Craig de Casino Royale avant l’heure).

 

Le Pacificateur : photoLa situation est grave mais pas désespérée

 

La course-poursuite dans la foule new-yorkaise est assez impressionnante de réalisme. Quant au final, il ne déplairait pas à John Woo. Comme chez le metteur en scène de Volte/Face, les balles fusent ici dans les églises et les lieux de culte sont voués à partir en fumée. Un vrai jeu de massacre, toutes proportions gardées.

Fausse superproduction aseptisée, Le Pacificateur fait mine de se cacher derrière le sourire enjôleur de George Clooney pour mieux refuser les conventions. Voilà pourquoi le film est rentré tout juste dans ses frais. Culotté, le long-métrage de politique fiction signé par Mimi Leder n’a manifestement pas satisfait tout le monde. Et c’est dommage.

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commentaires
Pseudonaze
15/02/2023 à 11:45

Aaaaaah que ça fait plaisir de ne plus se savoir être seul à défendre ce film que je suis allé voir en salle à sa sortie et dont j'ai acheté le DVD dès qu'il a été proposé...dvd qui trône toujours dans ma dvdthèque/blu-raythèque!

Pat Rick
14/02/2023 à 10:14

A revoir mais j'avais bien aimé.
Très efficace dans son genre.

007 boy
13/02/2023 à 18:43

Excellent film... Visionnaire sur certains points géopolitiques... Plus proche de la réalité que james bond.
Il faut préciser qu une réplique a été reprise dans le film la somme de toutes les peurs :celle qu il faut craindre celui qui en a qu une plutôt que celui qui en a plusieurs.

thierry A
13/02/2023 à 15:46

J'aime beaucoup ce film. trop mésestimé. Merci de lui rendre un peu justice.
Mimi leder a toujours pris soin de mettre l'humain au centre du récit de ses films même les plus spectaculaires, comme en témoigne Deep impact, tellement plus poignant et réaliste que son concurrent d'alors. Une orientation qui explique une suite de carrière moins bruyante, et que j'ai moins suivit, hélas.

Deny
13/02/2023 à 13:12

Film dynamique, bourrée de bonnes idées que les prochains James Bond vont s'inspirer fortement!

Aktayr
13/02/2023 à 12:16

J'avoue que de ce film, je ne suis resté que sur le titre et l'affiche qui ne le mettaient pas particulièrement en valeur. Et le fait de ne pas être spécialement fan de George Clooney a dû jouer aussi ^^.
Mais votre article est très intéressant et fait état d'un film bien plus profond qu'il n'y paraît.
Je vais sans doute lui laisser une chance.

Merci François Verstraete pour votre article.

Aktayr
13/02/2023 à 12:10

J'avoue que de ce film, je ne suis resté que sur le titre et l'affiche qui ne le mettaient pas particulièrement en valeur. Et aussi George Clooney en actionner ne m'avait pas convaincu à le voir.
Mais votre article est très intéressant et fait état d'un film bien plus profond qu'il n'y paraît. Je vais sans doute lui laisser une chance.

Merci François Verstraete pour cet article.