Marvel, DC... pourraient amener au fascisme, selon Alan Moore

Léo Martin | 11 octobre 2022 - MAJ : 11/10/2022 14:50
Léo Martin | 11 octobre 2022 - MAJ : 11/10/2022 14:50

Alan Moore, génial auteur de Watchmen et The Killing Joke, est très pessimiste quant à notre perception moderne des super-héros Marvel et compagnie. Un phénomène qui, selon lui, pourrait mener au fascisme.

Si vous cherchez parmi les auteurs de comics les plus reconnus et appréciés, le nom d’Alan Moore devrait vous parvenir assez vite. C’est l'homme derrière Swamp Thing, V pour Vendetta, La Ligue des gentlemen extraordinaires, The Killing Joke ou encore le cultissime Watchmen. À la fois figure de proue du genre et auteur en marge, Moore est autant un virtuose qu’un commentateur sévère de son propre art. S’il se révèle rarement en public, il a quelques fois exprimé très clairement son opinion controversée sur divers sujets, notamment sur l’adaptation de ses œuvres au cinéma (dont il déteste toutes les itérations). 

S’il a voué une partie de sa vie aux comics (étant à ce jour le scénariste le plus récompensé dans ce domaine), Alan Moore a néanmoins coupé les ponts avec le médium depuis 2016. Considérant que la bande dessinée s’est embourgeoisée – terme qu’il a utilisé en répondant à l’époque aux questions du Point –, il n’a, par la suite, pas été moins tendre avec les super-héros, et en particulier leur succès à Hollywood avec Marvel et compagnie.

Dans une interview donnée récemment à The Guardian, Moore a développé plus en profondeur sa pensée sur le sujet, cette fois moins méprisant qu’alarmiste. 

 

Watchmen - Les Gardiens : Photo Billy CrudupIdole nucléaire

 

"un précurseur du fascisme"

Il y a deux ans, Alan Moore exprimait déjà son dégoût envers les films de super-héros auprès de Deadline (dont il dit n’en avoir vu aucun depuis les Batman de Tim Burton), les considérant comme infantilisants et souvent une perte éhontée d’argent. Des propos dont on retrouvait déjà les racines dans son entretien à D-Side en 2005, avant même l’avènement du MCU :

"La majorité de la production est minable, quel que soit le support. Il y a des films merdiques, des disques merdiques, et des BD merdiques. La seule différence, c’est que si je fais une BD merdique, ça ne coûte pas cent millions de dollars."

Aujourd'hui, Moore s’inquiète encore davantage de la place qu’a pris le cinéma super-héroïque dans notre culture mondiale. Dans ses dernières déclarations à The Guardian, l’auteur a ainsi expliqué que les histoires de super-héros ont désormais pour effet de simplifier la pensée des adultes, ce qui pourrait ouvrir de dangereuses voies :

"Aux alentours de 2011, je m’inquiétais déjà des implications pour le futur de voir des millions d’adultes faire la queue pour voir des films Batman. Ce genre d’infantilisation – et notre désir d’avoir une époque et une réalité facile à comprendre – est souvent un précurseur du fascisme.

 

The Batman : photo, Robert PattinsonLe milliardaire qui tabasse des délinquants, habillé en chauve-souris, serait-il fasciste ?

 

super-héros de l'horreur

Alan Moore a ainsi indiqué que, selon lui, l’élection de Donald Trump en 2016, au moment de l’apogée des films de super-héros au cinéma, pourrait ne pas être une totale coïncidence. Une estimation assez hasardeuse, certes, mais qui ne repose pas sur rien.

Pour rappel, l’auteur de comics avait modifié le cours de notre histoire dans Watchmen : dans cette uchronie, la présence de super-héros en Amérique avait notamment provoqué la réélection de Richard Nixon, et des dérives d’extrême droite profondes.

D’une autre façon, l’excellente suite-série Watchmen de 2019, par Damon Lindelof, développait à sa façon la problématique de l’iconographie super-héroïque sur les idéologies politiques extrêmes. Par exemple, le super-héros Rorschach, justicier violent et cynique, devenu l’emblème d’une branche moderne du Ku Klux Klan. 

 

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Quoi qu'on en pense, difficile de ne pas prêter attention aux propos d'Alan Moore. L’artiste a vu l’évolution de son médium à travers les années et connaît sans doute bien l’impact que peut avoir une œuvre ou des personnages de fiction sur l’inconscient collectif. De la même façon que des figures de légende, la popularité des super-héros a pour effet l’identification de beaucoup de spectateurs, impliquant une remise en question très moindre du compas moral affiché dans les films où ils apparaissent ; surtout à l'ère du film pop-corn qui invite à soi-disant débrancher le cerveau.

Une conséquence qui pourrait évoquer par exemple le quatorzième critère d’Umberto Eco pour Reconnaître le fascime, celui pointant la notion de l’héroïsme, et qui dit entre autres :

"Dans une telle perspective, chacun est invité à devenir un héros. Le héros du fascisme éternel rêve de mort héroïque, qui lui est vendue comme l’ultime récompense d’une vie héroïque."

Alan Moore le réaffirme. Outre les dangers des simplications morales, des idoles douteuses et de la standardisation culturelle de l’art (Disney est passé par là), il y a aussi le plus gros risque à prendre en compte : celui de croire que les héros n’ont jamais tort. 

Tout savoir sur Watchmen

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commentaires
Badaboum
19/10/2022 à 01:27

Et autre chose, les gens comme @Pika pika qui insistent que les films Marvel font l'éloge du héros infaillible, "qui ne faiblit jamais, qui n'est jamais corrompu et pure de toutes mauvaises intentions", on a vu les mêmes films ?
Ces films sont loin d'être des chefs-d'œuvre, et sont pas très profonds non plus, du coup ça m'étonne de voir les gens passer à côté de thèmes qui reviennent encore et encore quant à la légitimité de ces personnages à avoir tant de pouvoir. Entre les nombreux méchants créés plus ou moins directement par l'hubris d'Iron Man ("I'm going to put a suit of armor around the world" sonne vraiment proche de "are you going to put the whole world in a bottle, Superman?" de Red Son), Thor qui arrive pas à rester "worthy" plus de 30 minutes, la puissance de Hulk qui est souvent utilisée par les méchants, Spider-Man qui hésite entre ses responsabilités et écouter sa libido, Black Panther l'autocrate qui change son idéologie pour la rapprocher de celui qu'il a vaincu, etc, ça fait déjà pas mal. Sans compter un film spécifiquement dédié à questionner la légitimité des Avengers avec Civil War.
On ne peut pas ignorer certains thèmes proto-fascistes non plus, comme Hydra devenant une cinquième colonne d'un système corrompu ne pouvant être défait que par des hommes d'exception. D'ailleurs le seul qui soit proche d'un Übermentsch moral c'est Captain America, mais même lui abandonne au final son poste sans le fameux sacrifice héroïque, et fait selon moi déjà part de critères moraux douteux dans Civil War.
Sans parler des "méchants qui ont peut-être pas complétement tort" qui sont légions chez Marvel, mais qui ont aussi été une des raisons du succès des Batman de Nolan, où les antagonistes questionnaient sans cesse la légitimité du status quo défendu par Batman.

Bref ces films méritent d'être critiqués, et ils vont pas franchement en s'améliorant, mais le nombre de critiques lobées complètement à l'ouest je trouve ça ouf pour des films franchement simplets. Je capte même pas où les gens vont chercher cette idée du héros infaillible, ça fait au moins 20 ans que c'est plus la norme.

Badaboum
19/10/2022 à 00:43

Ça fait des années (voir des décénies) que Moore tient ce même discours à qui veut bien l'entendre, et à chaque fois il est relayé par toute la presse qui se réjouit de l'attaque ironique contre l'hégémon culturel. Seulement le gros problème (en dehors de la répétition ad nauseum) c'est qu'il part de plusieurs postulats faux : celui qui voudrait que les notions d'héroïsme, de bien et mal, ne seraient l'apanage que des super-héros et du fascisme. C'est bien sûr faux dans les 2 cas, les histoires de personnages héroïques ont existé pendant des siècles avant l'arrivée de Superman et co, et même les démocraties les plus libérales mettent sur un piédestal des individus qui représentent un idéal de vertu. L'autre postulat qui est complétement à l'ouest c'est celui des super-héros comme infaillibles, et l'idée que c'est nécessairement un idéal de vertu que les lecteurs/spectateurs viennent chercher. Il n'y a vraiment pas à chercher loin pour trouver des contre-exemples.
Quand Moore a écrit Watchmen, il n'essayait pas d'influencer le genre vers une direction qui lui plairait, il a simplement voulu salir l'idéal si bien que plus personne ne le trouverait désirable, comme un enfant cassant un jouet qui le lasse. Simplement il a échoué car il avait mésestimé l'appétit du public pour les anti-héros et les héros faillibles (pourtant évident dès les années 70), et ça fait 30 ans qu'il baigne dans son jus aigre.
Autant le relativisme moral est sans doute sage dans la réalité, autant la fiction est faite d'archétypes, et la mode de déconstruire systématiquement les idéaux commence à être un peu éculée y compris chez les super-héros. C'est selon moi une des raisons incomprises du succès de Top Gun Maverick : un rare blockbuster qui ne cherche pas à déconstruire, ironiser, voir à condamner, ce que le public aime dans les films d'action.

Bob nils
13/10/2022 à 19:19

Alan Moore est vraiment le meilleur
Rien à ajouter de plus

casper
13/10/2022 à 08:11

C'est parce que vous mélangez censure et liberté d'expression.

Simon Riaux
12/10/2022 à 18:31

@Lord is Coming for the Tares

"être méga censuré sur Facebook et sur Twitter" est une remarque passablement absurde puisque :

- travailler bénévolement pour les GAFAM, même en écrivant ce qui vous passe par la tête, ne fait pas de leurs applications des champs d'application de la liberté d'expression.

- vous parlez de boîte privées, qui sont, évidemment dans le cadre de la loi, seules souveraines quant à ce qu'elles publient.

-ces services ont quelques années tout au plus, si vous les considérez (à tort) comme des moyens d'expression, vous bénéficiez donc de nouveaux moyens d'expression.

- il n'a jamais existé aucun canal d'expression qui ne s'accompagne pas de modération (y compris aux Etats-Unis)

- vous aurez un peu de mal à trouver dans l'histoire de ces derniers siècles une période où la liberté d'expression a été plus importante en France.

- si vous enviez la liberté d'expression des turcs ou des chinois, je vous souhaite bonne chance.

oss-sans-disquette
12/10/2022 à 18:23

Il appréciera la série The Boys du coup.

Simon Riaux
12/10/2022 à 15:07

@casper

Historiquement, ça ne veut pas dire grand-chose.

Mais pour le moment, en France on est plutôt dans une époque bénie niveau censure.

casper
12/10/2022 à 15:03

C'est la censure des élites bourgeoises qui mène au fascisme.

Simon Riaux
12/10/2022 à 14:03

@twohii

Léo ne supprime pas de commentaires. Et en l'occurrence, ce n'est même pas moi qui m'en suis chargé.

Et pourtant, la suffisance recuite et le français approximatif des idioties que vous proférez le justifiait largement.

twohii
12/10/2022 à 13:58

Mr martin vous avez encore supprimé ma réponse .
Une preuve de votre total hors sujet.

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